Grâce au financement du Fonds pour l’éducation et l’engagement du public à la solidarité internationale (FEEPSI) de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), le CDHAL a pu mettre en œuvre cette campagne visant à dégager une analyse critique de l’héritage de presque vingt ans d’application de l’ALENA, de ses impacts sur les droits humains.
Le choix de la région du Chiapas s’est imposé de facto pour des raisons historiques qui ont orienté le travail du CDHAL depuis plus de vingt ans. D’une part, le CDHAL entretient des relations avec l’organisme le FRAYBA (Fray Bartolome de las Casas, un organisme local impliqué dans les communautés zapatistes) et d’autre part, le soulèvement zapatiste se déclenche en réaction à la mise en vigueur de l’ALENA. Pour cette raison, le CDHAL a acquis une connaissance et une sensibilité du mouvement zapatiste et de son contexte socio-économique déterminé par l’ALENA.
Bien que les zapatistes présentent un manifeste à saveur politique tributaire de l’histoire des guérillas paysannes marquant celle de l’Amérique Latine du 20e siècle, une dominance nouvelle les caractérise, soit celle d’un altermondialisme et d’un rejet flagrant de la modernité. En dénonçant les ajustements structurels passés et la démocratie représentative, ils dénoncent les bienfaits de la modernité promise par l’ALENA annoncé dans les discours du président mexicain de l’époque, Carlos Salinas de Gortari. Pour cette raison, nous voulons orienter notre analyse de la situation vers les reliefs témoignant la nouveauté que présente le contexte socio-économique qui a marqué la période de l’application de l’ALENA à nos jours. Le mouvement zapatiste, nous semble donc une manifestation sociale riche de témoignages pour nous permettre de comprendre la reformulation du rapport politique actuel.
Cette campagne aborde la question des violations des droits humains qui affectent les communautés paysannes et autochtones du Chiapas depuis la signature de l’ALENA en 1994. Ce point d’entrée sur la compréhension des conditions de vie de ces dernières nous amène à dégager ce qui réside en amont de ces violations. Ainsi, les caractéristiques qui composent le cadre économique-politique dans lequel se produisent l’ALENA et l’impunité économique, montre une nouveauté de la situation, soit celui du capitalisme financier mondialisé. C’est en se penchant sur les spécificités de la structure économique-politique de la situation que nous allons produire un travail militant intellectuellement engagé, voire utile à la poursuite du politique. Lors de la dernière phase, nous allons tenter de comprendre la nouveauté du rapport politique qui détermine les luttes menées par les zapatistes et les militants solidaires à la grandeur des Amériques. En somme, ce travail théorique et militant, produit dans les milieux intellectuels et politiques, nous permettra de rassembler des analyses qui viendront enrichir les espaces communs habités par les luttes paysannes et autochtones, notamment au Chiapas, et celles touchant la question de l’ALENA à travers les Amériques.
Le projet comporte une phase de compilation d’informations et de création de comités de travail de recherche. Pour ce faire, nous sollicitons les universités dans le but de recruter des stagiaires-étudiants-es qui seraient intéressés à effectuer un travail de recherche documentaire, de synthèse et d’analyse. Ceux-ci formeront des comités de travail divisés en 4 blocs d’analyse thématique qui ont été choisis préalablement par l’équipe de coordination du projet. Le travail des stagiaires consiste à produire une revue littéraire, une série de fiches de lecture ainsi qu’un article clôturant la recherche sur un sujet précis dégagé à l’intérieur des blocs. Par exemple, un comité de travail peut décider d’analyser le phénomène de la dévaluation du peso pour aborder la démystification de l’ALENA, celui de la monoculture pour traiter de la désappropriation des citoyens à la terre, à l’économie, etc. Aussi, un jumelage entre étudiants du Mexique et du Québec qui travaillent sur le même thème pourrait être organisé. Le CDHAL s’engage, à ce sujet, à fournir les contacts et les outils technologiques pour le faire. Vous trouverez ci-dessous la description des différents blocs d’analyse, ainsi que des thèmes qui pourraient être développés.
1. À près de 20 ans, démystifions l’ALENA. Les promesses non tenues!
Ce bloc va être orienté vers la remise en question des portées économiques et sociales promises par l’élite qui a défendu le projet de l’ALENA. Démystifier les promesses faites par cette élite implique une analyse du contenu de son discours et des conditions économiques-politiques d’émergence de celui-ci. Cette compréhension va nous amener à redéfinir l’élite dans la nouveauté de la situation, soit une dérive capitaliste engagée vers une financiarisation de l’économie mondialisée, qui prend forme au tournant des années 1980. Ce qui nous amène, d’une part, à dégager trois composantes de son discours, soit la croissance, l’inclusion et la modernisation et d’autre part, de faire état de l’envers de ses promesses, soit la stagnation, l’insolvabilité, l’éjection des paysans en tant qu’acteur économique, ainsi que la « barbarisation » des conditions de vie.
Thèmes suggérés aux stagiaires: « Overclass », insolvabilité, mythe de la croissance, « barbarisation » des conditions de vie, dévaluation du peso, dumping, crise de la tortillas, le démantèlement de l’État et son coût, la notion de globalisation et de l’international.
2. À près de 20 ans d’oppression économique! Un moyen d’assurer la pérennité de la soumission
Ce bloc va traiter de la privatisation de la terre comme démarche de désappropriation des citoyennes et citoyens mexicains (paysans et autochtones) à leur économie, à leur culture, à leur autonomie. Cela nous amène à mettre en relation la dimension économique-politique nationale avec celle de l’international en abordant entre autres la question du démantèlement de l’État, de la gouvernance nationale et de la restructuration de la production. Aussi, cela implique de faire l’histoire de la privatisation de la terre pour aborder celle de la désappropriation à la terre et ce, en soulevant la contradiction entre le droit collectif et le droit privé.
Thèmes suggérés aux stagiaires: monoculture, article 27 de la constitution Mexicaine, les OGM, « l’agribusiness », la politique nationale mexicaine, l’économie locale informelle et formel, l’invasion minière, Plan Merida, les crises écologiques, la mobilisation de la main d’œuvre.
3. À près de 20 ans, la formation d’un apartheid des femmes. Quand la nation se tourne vers l’exploitation du travail invisible!
Ce bloc abordera les répercutions de l’ALENA sur la vie des femmes mexicaines. Tenant compte de la division sexuelle du travail qui structure la réalité socio-économique des paysans-nes du Chiapas et la perception du corps des femmes comme ressource naturelle appropriée à la nation, celles-ci se retrouvent en situation d’exploitation spécifique. En d’autres mots, la dépossession de leurs richesses naturelles exacerbe le rapport d’exploitation des corps et de la valeur de ceux-ci. Dans ce cadre économique-politique structuré par l’ALENA, il y a donc renforcement de l’exploitation des femmes en tant que moyen de production de valeur sexuée, domestique et reproductive du capital vivant. Ce qui vient justifier l’importance de l’orientation de ce bloc vers l’analyse de la catégorie femme. Ce bloc va donc traiter du domaine de la reproduction, de la mobilité de la main d’œuvre féminine et de l’expansion de l’économie informelle comme la prostitution et le trafic humain.
Thèmes suggérés aux stagiaires: La santé reproductive et sexuelle, la prostitution, l’émigration, l’accès au marché, la sécurité et la militarisation du territoire, l’éducation et la sécurité alimentaire, la féminisation du milieu rural mexicain.
4. À près de 20 ans de luttes zapatistes! Prenons le temps de porter un regard sur son héritage politique
Ce dernier bloc constitue la phase la plus importante de la campagne, car il engage un défi de rétrospection de l’ensemble des savoirs produits par les luttes zapatistes et militantes sur la question. Pour arriver à faire un constat de ce conflit politique, nous allons orienter notre travail d’analyse sur l’état des lieux du droit politique des paysans-nes du Chiapas. Toujours dans une poursuite de compréhension de la nouveauté de la situation, où il y a restructuration du rapport politique, nous allons nous pencher sur les imaginaires politiques déployés par le Ejercito Zapatista de Liberación Nacional (EZLN) et les solidarités syndicales nationales et internationales.
Thèmes suggérés aux stagiaires: la spiritualité autochtone, la cosmogonie de la terre-mère, le syndicalisme, le droit d’association, la démocratie populaire et les tribunaux populaires, le droit culturel.
La seconde phase va consister à créer des outils et des activités de diffusion et de sensibilisation. Les comités de travail ainsi que les autres personnes sollicitées, lors de la première phase, vont nous permettre d’organiser des évènements et de produire des fiches d’analyse qui vont composer nos outils de sensibilisation et de mobilisation sous la forme de conférences, débats, manifestations, évènements artistiques, blogue, pamphlets, affiches et banderoles.
En somme, ce projet se veut un pilier entre les différentes campagnes de sensibilisation que le CDHAL met en œuvre, notamment les brigades civiles d’observation internationale (BriCOs) qui consiste en la formation d’observateurs-trices qui vont sur le terrain au Chiapas grâce à notre partenaire, le Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas (Frayba). Aussi, il nous semble essentiel d’amasser les expériences de celles et ceux qui ont participé au programme BriCOs et de les mettre en dialogue avec des savoirs pertinents venant de diverses universités à la grandeur des Amériques. Cela va donc nous permettre de construire collectivement un constat global de la situation pour partager nos expériences aux populations concernées et ainsi, de contribuer à leurs actions politiques.