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12 octobre: le futur est autochtone

Publié par Darío Aranda, Agencia Tierra Viva, 10 octobre 2024

Les peuples autochtones indiquent des voies possibles face à la crise socio-environnementale et économique. Leurs voix sont très claires – bien qu’elles ne soient généralement pas écoutées – et elles l’expliquent depuis longtemps : l’extractivisme n’apporte rien de bon aux majorités populaires du continent. Du Quinto Centenario au Malón de la Paz, du génocide à la récupération des territoires, du peuple mapuche au zapatisme. 532 ans plus tard, ce sont des peuples qui construisent leur avenir.

Ils ont été les premiers à subir un génocide.

Ils avaient des formes de gouvernement bien avant que la démocratie grecque n’existe.

Ils ont été (et sont encore) les premiers écologistes.

Dans ces régions du monde, ils sont parmi les rares à proposer des avenirs différents : ils construisent des autonomies territoriales, sans se soumettre aux bureaucraties des partis ou à l’extractivisme qui dévaste la nature.

Face à un autre 12 octobre, longtemps appelé « Jour de la découverte », 532 ans après l’arrivée de Christophe Colomb, les peuples autochtones établissent un agenda plein de présent et d’avenir.

« En Argentine, il n’y a pas de peuples autochtones », enseignait-on dans les écoles dans les années 1990. “Le pays le plus européen d’Amérique latine”, une phrase encore courante dans la pensée de la classe moyenne. Et, très à la mode ces dernières années : « Les Mapuches sont chiliens ». Ce ne sont là que quelques exemples de ce mélange d’ignorance et de racisme local.

Selon le dernier recensement national, l’Argentine compte 1,3 million de personnes qui s’identifient comme faisant partie des peuples autochtones. Toutes les organisations autochtones affirment que le chiffre réel est bien plus élevé.

L’Argentine compte 38 peuples autochtones. Ils préexistent à l’État argentin. La Constitution nationale elle-même le reconnaît : « La préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones d’Argentine est reconnue (…) La possession et la propriété communautaires des terres qu’ils occupent traditionnellement doivent être reconnues ; et la mise à disposition d’autres terres adaptées et suffisantes pour le développement humain doit être réglementée (…) Leur participation à la gestion de leurs ressources naturelles et des autres intérêts qui les affectent doit être assurée ».

Le tableau actuel de la situation des peuples autochtones est plus que préoccupant. La justice vient de condamner deux communautés mapuches de Río Negro (Quemquemtrew et Lafken Winkul Mapu) pour « usurpation ». Les gouvernements provinciaux avancent de concert avec les compagnies minières de lithium. Quant au gouvernement national, il a pris des mesures qui ne tiennent pas compte des droits des Autochtones, tout en compromettant la protection des forêts indigènes.

Wayra Quique González est Kolla, vit à Jujuy et lutte activement pour les droits des Autochtones. Par exemple, au moment de l’appel téléphonique, il participait à une manifestation devant une conférence sur l’industrie du lithium. Nous sommes confrontés à une véritable caste « économique » fusionnée avec la véritable caste politique qui oppose son veto à des lois contre nos grands-pères, nos grands-mères et nos grands-mères et contre l’éducation publique. Comme il y a plus de 500 ans, les ll’unkus (flagorneurs) de cette époque continuent d’être fonctionnels, serviles aux empires néo-colonisateurs d’aujourd’hui qui viennent perpétuer leur domination vorace et leur destruction sur nos territoires », contextualise-t-il.

Comme pour les gouvernements précédents, il n’est pas nouveau pour les fonctionnaires de revendiquer des territoires autochtones, comme ce fut le cas lors de la campagne dite du désert (qui n’était pas un désert). Le régime d’incitation aux grands investissements (RIGI) en est un autre exemple. Comme il y a un siècle, ils veulent les territoires pour les introduire dans le marché capitaliste : mines, pétrole, agro-industrie, forêts (entre autres).

 

C’est l’image. Mais le film comprend aussi :

– Des peuples qui renaissent, se réorganisent, affrontent les discriminations et crient « nous sommes, nous sommes vivants ». À titre d’exemple, à la fin des années 1990, l’État argentin ne reconnaissait que 16 peuples autochtones sur le territoire national actuel. Grâce à la lutte des communautés autochtones, l’État national reconnaît aujourd’hui la préexistence de 38 peuples autochtones et d’au moins 1 600 communautés. Le peuple Nivaclé de Formose est un paradigme, toujours en cours de reconnaissance.

– Contrairement à ce qui se passait il y a quelques décennies, les peuples autochtones sont des sujets politiques actifs, en lutte, visibles, protagonistes. Un tournant continental s’est produit en 1992, à l’occasion du cinquième centenaire et du slogan « rien à fêter ».

– Le peuple mapuche a récupéré plus de 230 000 hectares au cours des dernières décennies. Lorsque le pouvoir politique détourne le regard et que les juges et les procureurs n’appliquent pas la loi, les communautés autochtones ont pris des mesures directes pour récupérer des territoires qui étaient aux mains de grands propriétaires terriens. La communauté de Santa Rosa Leleque, contre la multinationale Benetton, est un cas emblématique.

– De même, les peuples Mbya (Misiones), Atacama (Catamarca) et Kolla (Jujuy) sont des références dans la défense de leur territoire contre les entreprises forestières et minières.

 

L’histoire des peuples autochtones est écrite par les autochtones eux-mêmes, avec leur propre poing ou avec leur témoignage, et toujours avec leur propre corps. Sans vision idyllique, avec des contradictions et même des détracteurs, une brève (et incomplète) revue des noms qui ont aidé à comprendre la lutte autochtone en Argentine : Israel Alegre, Chaco Liempe, Argentina Paz Quiroga, Román Guitián, Guillermina Guanco, Noolé Palomo, María Piciñan, Mauro Millán, Jorge Nahuel, Jorgelina Duarte, Angel Cayupil, Verónica Chávez, Marcos Pastrana, Clemente Flores, Juan Chico, Jeremías Chauque, Mariela Alancay, Orlando Carriqueo, Enrique González, Pety Piciñam, Santiago Ramos, Nilo Cayuqueo, Daniel Morales et don Patricio Huichulef.

Les peuples autochtones et les paysans sont les plus grands gardiens de la biodiversité de la planète. Même les Nations unies ont reconnu que les peuples autochtones sont essentiels pour protéger ce qu’il reste de la nature et pour lutter contre le changement climatique.

Or, dans un monde à l’envers, les peuples autochtones sont parmi les plus persécutés et les plus tués pour s’être opposés aux activités extractives. Le dernier rapport de l’ONG Global Witness indique que l’Amérique latine est l’une des régions les plus dangereuses pour les défenseurs des territoires (85 % des meurtres y sont commis). Et parmi eux, les peuples autochtones sont les principales victimes.

L’Argentine compte également des victimes fatales : Javier Chocobar, Roberto López, Mario López, Miguel Galván, Florentín Díaz, Rafael Nahuel et Elías Garay Cañicol, entre autres noms d’une longue liste.

Lorsque le jeune Mapuche Rafael Nahuel a été assassiné par derrière (novembre 2017), au milieu d’une avancée répressive qui avait inclus la disparition et la mort de Santiago Maldonado, le message d’espoir est venu d’un autre jeune Mapuche, Lefxaru Nawel : « Nous sommes très en colère, avec de l’impuissance et de la douleur, mais nous allons aller de l’avant. Notre peuple a survécu à deux génocides, celui de Roca et celui de la dernière dictature militaire. Nous allons continuer.

L’historique Malón de la Paz de 2023, au cours duquel des centaines d’hommes et de femmes autochtones se sont rendus de Jujuy à la ville de Buenos Aires, est un exemple de la décision des communautés d’exiger le respect de leurs droits et de jouer un rôle de premier plan dans la défense de leur territoire. « Ils doivent comprendre que nous avons des droits, que nous vivons sur ce territoire et que l’eau vaut plus que le lithium. C’est pourquoi nous allons continuer à rester fermes sur notre décision : pas de compagnies minières ! », a expliqué Mariela Alancay, de la communauté indigène d’Aguas Blancas (dans les Salinas Grandes – une zone convoitée par les compagnies minières), qui se rendait pour la première fois dans la ville de Buenos Aires.

Wayra González, du peuple Kolla d’Abra Pampa, donne un aperçu de l’avenir : « Des profondeurs de notre Pacha, quelque chose de nouveau est en train d’éclore, alimentant la lumière et la chaleur du feu de notre grand-père. Ces jours-ci, à Jujuy, on peut percevoir la rébellion de nos ancêtres qui se matérialise dans nos sœurs, nos warmikunas (femmes) qui tissent et font du changement définitif d’un monde plus humain une réalité ».

Le 1er janvier a marqué le trentième anniversaire du soulèvement zapatiste, une révolution née, conçue et réalisée par des communautés autochtones du Mexique.

Le dernier communiqué, datant de début octobre, dédie ses mots à des hommes et des femmes spécifiques : « Dans les différents coins du monde, il y a des gens qui disent “non” quand la majorité acquiesce avec un désintérêt résigné, des gens qui lèvent la tête quand la majorité s’incline, qui marchent pour trouver quand la majorité s’assoit et attend, qui luttent quand la majorité abandonne ».

« Ces gens-là. Si petits. Si différents. Si différents. Si minoritaires. Si nécessaires. Ces personnes sont là. Même si elles ne sont pas nommées, même si le regard du pouvoir ne les prend pas en compte, même si elles ne sont pas entendues au sommet, même si elles n’apparaissent pas dans les enquêtes et les statistiques, ces personnes… Pour elles, notre cœur, notre parole qui les cherche, notre étreinte commune malgré la géographie et les calendriers. Ces personnes… Nos cœurs vont vers elles, nos mots les cherchent, notre étreinte commune se fait en dépit de la géographie et des calendriers. Pour eux, et avec eux, la fête des rencontres ».

Beaucoup de ces personnes sont – comme les zapatistes – autochtones.

 

Source : https://agenciatierraviva.com.ar/12-de-octubre-el-futuro-es-indigena/?utm_source=brevo&utm_campaign=ANTV_News_205&utm_medium=email