Oaxaca est un État situé au sud-est du Mexique. Son territoire de 93 757 km2 le place au cinquième rang du pays. Il est divisé en 8 régions et 570 municipalités, dont 417 sont régies par des systèmes normatifs internes (SNI). De plus, il compte une grande variété linguistique et culturelle, ce qui en fait l’État avec le plus grand nombre de locuteurs d’une langue autochtone au Mexique.
Cette diversité est également géographique, car son territoire abrite des richesses naturelles qui ont été historiquement protégées par les peuples autochtones qui les habitent. Toutefois, depuis quelques temps, l’accélération de l’extractivisme maintient de nombreux peuples et communautés autochtones en résistance face à la menace de méga-projets tels que les mines, les parcs éoliens, les barrages hydroélectriques et bien d’autres.
C’est dans ce contexte qu’est né, en 2007, le Conseil des peuples unis pour la défense de la rivière Verde (COPUDEVER) composé de peuples métis, chatinos, mixtèques et afro-oaxacans. COPUDEVER défend la vie et le territoire face à la menace de la construction du projet hydroélectrique « Barrage Paso de la Reina » qui menace l’une des rivières les plus importantes de l’État de Oaxaca : la rivière Verde.
La rivière Verde
Le bassin de la rivière Verde (ou Atoyac) couvre environ 20% du territoire de Oaxaca. Alors que la plupart des courants fluviaux de la région sont saisonniers, celui de la rivière Verde est permanent.
La rivière prend sa source à la jonction des rivières Atoyac et Yolotepec situées dans les vallées centrales de Oaxaca. Elle est bordée au nord par les bassins des rivières Papaloapan et Balsas, au sud par l’océan Pacifique et les bassins de la 21e région hydrologique, à l’est par le bassin de la rivière Tehuantepec et les bassins des rivières Ometepec et La Arena.
La rivière varie selon la région où elle se trouve. Que ce soit dans la sierra ou sur la côte, la relation que les communautés entretiennent avec la rivière est empreinte d’un profond respect et d’un grand amour. Les habitants affirment qu’elle a été sacrée : « L’eau est la vie et la rivière est la vie. La rivière nous nourrit, elle nous donne du calme, elle arrose nos cultures, elle donne à boire à nos animaux, elle est tout pour nous ».
Le barrage
L’un des mégaprojets les plus ambitieux du gouvernement, promu par la Commission fédérale de l’électricité (CFE), est le barrage hydroélectrique à usages multiples de Paso de la Reina appelé « Barrage Paso de la Reina » qui était prévu depuis les années 1960, mais qui a été dévoilé en plein conflit social à Oaxaca en 2006.
La construction du barrage prévoit pour une hauteur de 155 mètres, couvrant une superficie de 2 468 hectares et affectant plus de quarante communautés dans six municipalités des régions de la côte et du sud de Oaxaca : Santiago Jamiltepec, Santiago Ixtayutla, Tataltepec de Valdés, Santiago Tetepec, Santa Cruz Zenzontepec et Villa de Tututepec de Melchor Ocampo.
En plus de mettre en danger le bassin de la rivière Verde ainsi que la vie communautaire de ceux qui y habitent, la construction du barrage représente également une menace pour le parc national Lagunas de Chacahua, une importante réserve naturelle de la région. Historiquement, les communautés habitant près de la rivière savent que des essais ont été réalisés sur leurs territoires pour favoriser la construction du barrage depuis les années 60, mais ce n’est qu’en 2006 que la CFE a rendu l’information publique.
En 2018, l’ancien président Enrique Peña Nieto a émis un décret pour lever l’interdiction d’utiliser divers bassins fluviaux du pays, dont la région hydrologique RH20 à laquelle appartient la rivière Verde, sans procéder à aucune consultation préalable comme l’indique la Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail.
Selon l’avocate Claudia Gómez Godoy, ce décret suspendait la fermeture de divers bassins et n’importe quel individu ou entreprise privée pouvait faire usage des eaux sans le consentement des communautés, et même priver les communautés d’en faire usage. Ce décret mettait en péril 70% des bassins qui n’étaient pas protégés de l’exploitation, y compris par le secteur industriel et extractif.
La résistance
Le 9 juin 2007, face à la menace de la construction du barrage sur la vie de la rivière Verde et de ceux qui y vivent, le COPUDEVER s’est constituée grâce à plusieurs réunions préalables d’articulation et d’organisation. Le Conseil est composé de femmes et d’hommes qui défendent leur territoire, ou comme ils disent, « défenseurs de la vie, car la rivière Verde est la vie ».
COPUDEVER est une organisation régionale de peuples, de municipalités, d’ejidos, de communautés et d’organisations du sud et de la côte de Oaxaca. Sa mission est de protéger et de sauvegarder les territoires, les biens naturels et culturels des peuples Chatino, Mixteco, Afro-Oaxacan et métis de la région contre les projets hydroélectriques comme « Paso de la Reina » et « Río Verde », ainsi que d’autres projets extractifs.
Selon ces défenseurs, les principales forces pour maintenir la défense de leur territoire ont été l’organisation et l’union des peuples affectés, les leçons apprises de cette lutte qui dure depuis 15 ans, l’accompagnement d’organisations comme EDUCA ainsi que l’amour de la rivière et de la vie.
La violence contre les défenseurs
Selon le Centre mexicain pour le droit à l’environnement (Cemda), l’État de Oaxaca s’est classé au premier rang des États ayant enregistré le plus grand nombre d’attaques mortelles contre des défenseurs de l’environnement, avec un total de huit en 2021.
La communauté de Paso de la Reyna, principale communauté touchée par la construction du barrage, n’a pas fait exception à ce type d’agression. Au cours de l’année 2019, Hugo Gómez Cruz, un défenseur communautaire engagé dans la défense de la rivière, a été assassiné. En 2021, Fidel Heras Cruz, Noé Robles Cruz, Raymundo Robles Riaño, Gerardo Mendoza Reyes et Jaime Jiménez Ruiz ont également donné leur vie pour défendre la rivière Verde. Ces meurtres ont été perpétrés alors qu’il y avait une suspension de tout type de concession pour la rivière en raison du procès d’amparo intenté par l’autorité agraire de l’ejido de Paso de la Reyna en 2018, juste après la levée de l’interdiction par l’ex-président Enrique Peña Nieto.
Malgré la violence qui s’est intensifiée dans la région, les membres de COPUDEVER affirment que le cœur de ces six défenseurs des biens communs, du territoire et de la vie continue de battre sur la rivière Verde.
L’amparo et le jugement en faveur de la rivière et de la vie
Le 3 mai 2022, alors que la lutte des peuples, communautés et ejidos du COPUDEVER est active depuis 15 ans, le Journal officiel de la Fédération a publié un décret du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles (SEMARNAT) dans lequel le décret pris le 6 juin 2018 par Peña Nieto est rendu caduc. Selon l’avocate Claudia Gómez Godoy, depuis que l’amparo a été déposé en 2018, il existe une mesure de suspension qui empêche l’octroi de concessions dans la région, malgré le décret d’interdiction, une situation qui constitue un premier triomphe pour les communautés affectées. « Un deuxième triomphe serait d’avoir obtenu que pour toute mesure législative ou administrative que l’État veut prendre, il doit d’abord consulter les peuples autochtones et respecter le droit à l’autodétermination et le droit à l’autonomie, les systèmes normatifs internes des communautés ainsi que les décisions des assemblées », a déclaré Claudia Gómez.
L’avocate considère qu’il s’agit d’un jugement historique puisqu’il établit que les droits des autochtones sont des droits reconnus au niveau national et international, et qu’il crée un précédent pour que les autorités étatiques et fédérales respectent les droits des peuples autochtones en termes de droits territoriaux, de droit à l’eau et de ressources naturelles.
Les membres de COPUDEVER se remémorent le chemin parcouru et se souviennent de chaque apprentissage et échange de connaissances entre les peuples qui vivent autour de la rivière. Ils remercient également les réseaux de soutien, les organisations et les alliés qui les ont accompagnés au cours de ces 15 années de résistance. Ils honorent et se souviennent des noms de leurs voisins, amis, frères et sœurs, camarades de lutte qui ont été assassinés pour avoir défendu la vie. Ils sourient en sachant que grâce à leur lutte, la rivière Verde est libre, comme elle l’était pour leurs grands-parents et elle le sera pour leurs petits-enfants.
Nouvelle publiée le 10 août 2022 par Servicios para una Educación Alternativa