Article publié dans Censat Agua Viva (Nelson Ravelo Franco) le 27 septembre 2023
La proposition de décret réglementant les communautés énergétiques a du potentiel et est liée à l’engagement en faveur d’une transition énergétique juste. Cependant, elle est loin de reconnaître ce que les communautés construisent depuis des décennies sur la base de l’énergie communautaire, qui, loin d’être reconnue, pourrait être ignorée ou estompée par ce mécanisme réglementaire.
Le gouvernement de Gustavo Petro a remis en question, au niveau international, les actions mondiales censées s’attaquer à la crise climatique et a lancé des appels spécifiques pour, par exemple, laisser le pétrole brut dans le sol sur la base des recommandations de scientifiques du monde entier qui indiquent la nécessité urgente d’une action en profondeur. Au niveau national, son discours s’est traduit par la nécessité d’une transition énergétique à laquelle il a également ajouté l’adjectif « équitable » et, par conséquent, des outils de politique publique ont été générés pour exprimer plus concrètement en quoi consiste cet engagement officiel.
L’un de ces outils est le projet de décret qui vise à réglementer les communautés énergétiques (CE), l’une des références du gouvernement en matière de transformation sur cette question. Cependant, pour les organisations communautaires, environnementales et syndicales concernées par les mégaprojets énergétiques, qui promeuvent depuis des années la proposition d’une transition énergétique juste loin d’être acquise, le décret est un outil qui ignore cette trajectoire et pourrait même empêcher une véritable gestion communautaire de l’énergie.
Il faut reconnaître que le document est un pas en avant qui, par exemple, clarifie la responsabilité et le délai dans lequel la Commission de régulation de l’énergie et du gaz (CREG) doit réglementer la commercialisation de l’énergie par les CE et garantir l’achat d’énergie pendant 15 ans. Il vise également à leur donner un statut privilégié en ajoutant l’adjectif « collectif » à certains termes présents dans la législation du secteur de l’énergie (comme dans le cas de l’autoproduction collective ou de la production distribuée collective). Malgré cela, le décret réduit le champ d’action des CE à la composante de production d’électricité, ce qui implique d’ignorer le fait qu’une grande partie des expériences liées au sujet génèrent d’autres types d’énergie pour répondre à des besoins spécifiques à travers des mécanismes tels que les biodigesteurs, les séchoirs solaires, les cuisinières efficaces, les potagers à bois, etc.
La contribution de ces initiatives, fondamentales pour le bien-être de milliers de familles, est de répondre aux besoins de base en privilégiant l’autoconsommation, mais en exploitant directement certaines sources d’énergie, en évitant non seulement la consommation de combustibles fossiles, mais aussi les pertes liées au transport et aux transformations successives de l’énergie. Ainsi, par exemple, lorsqu’il faut chauffer l’eau, au lieu d’utiliser l’énergie produite dans une centrale hydroélectrique éloignée, qui perd une partie de cette énergie dans le transport à travers le réseau et dans la transformation entre électricité et chaleur, on utilise le rayonnement solaire avec des appareils de chauffage qui concentrent directement la chaleur du soleil. Il est clair que ces initiatives évitent les discours qui perpétuent la dépendance fossile, la concentration de la matrice énergétique dans quelques entreprises et qui normalisent l’existence des injustices climatiques. C’est pourquoi il est contradictoire qu’alors qu’au moins 69 expériences communautaires en Colombie ont déjà été cartographiées par le biais de l’exposition virtuelle des expériences communautaires de transition énergétique juste, le décret les ignore en tant que CE parce qu’elles ne génèrent pas nécessairement de l’électricité.
La limite conceptuelle du décret concerne également la notion de « communauté ». En fixant comme objectif « la production, la commercialisation et/ou l’utilisation efficace de l’énergie », il ignore l’essence même de ce qui a conduit bon nombre des expériences susmentionnées à s’organiser. Ce n’était pas l’intérêt personnel de produire de l’énergie, mais plutôt la volonté de répondre à des besoins insatisfaits afin de rendre les conditions de vie collectives plus dignes. Par exemple, dans le nord-ouest d’Antioquia, les Semeurs de territoires, d’eau et de communautés autonomes (Setaa) affectés par la construction du barrage hydroélectrique de Hidroituango et le changement de microclimat qui en découle, ont commencé à sécher le café à l’aide de déshydrateurs solaires, car l’humidité avait non seulement affecté la qualité du café, mais aussi le temps nécessaire au processus. De même, la Asociación de Cabildos Indígenas del Norte del Cauca (ACIN), bien que située dans une région dépourvue d’assainissement environnemental, a décidé de construire un biodigesteur à l’Institución Educativa Agropecuaria « Las Aves », ce qui a permis de résoudre le problème de la contamination des eaux souterraines par les déchets de porc, de faire fonctionner la cuisine de l’école pour 350 élèves au biogaz, et le biodigesteur fait désormais partie des cours de chimie de l’école.
Le décret reconnaît que des personnalités autonomes peuvent constituer une CE, mais n’insiste pas sur le caractère démocratique et participatif que doit garantir la gestion communautaire de l’énergie par les habitants de la zone affectée ou bénéficiaire, qu’il s’agisse ou non de personnalités autonomes, d’une alliance public-populaire ou privé-populaire.
Il est surprenant qu’en misant sur les CE, le gouvernement actuel puisse finir par estomper le caractère communautaire de certaines initiatives qui contribuent à une transition énergétique juste. Ceux qui promeuvent et défendent les aqueducs communautaires, qui ont dû se battre pour ne pas perdre leur but non lucratif et ne pas devenir des services publics, le savent suffisamment pour tenter de causer les mêmes dommages aux organisations qui s’engagent en faveur de l’énergie communautaire.
Si le décret ne change pas radicalement et n’assume pas une politique interministérielle de promotion de ces initiatives propres et populaires, les ambitions du gouvernement avec les CE finiront par être frustrées, en voyant l’émergence d’entreprises fournissant des services d’électricité sans vocation ni racines communautaires.