Article publié par Comentario Internacional (Marcelo Solervicens) le 15 octobre 2023
Le lundi 2 octobre dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution autorisant le recours à la force par une mission internationale d’assistance à la sécurité en Haïti. La mission a deux objectifs : d’une part, elle doit lutter contre les groupes criminels qui se sont emparés d’une grande partie du territoire haïtien, d’autre part elle doit contribuer à créer les conditions nécessaires à l’organisation d’élections et au renforcement de l’État de droit. Le Canada, qui avait été sollicité par Washington, s’est retiré en mars et la mission sera finalement dirigée par le Kenya.
Une nouvelle mission de paix internationale
La décision du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) répond à la demande expresse du Premier ministre haïtien (non élu), Ariel Henry, dans son discours devant l’Assemblée générale le 22 septembre, a insisté sur « l’urgence » d’une mission internationale pour faire face à la « crise structurelle et multidimensionnelle » à laquelle son pays est confronté.
La proposition a été rédigée par des représentants des gouvernements américain et équatorien. L’ambassadeur adjoint des États-Unis aux Nations unies, Jeffrey de Laurentis, a déclaré que la mission répondait à la demande du gouvernement haïtien et de la société civile de faire face à une longue crise humanitaire à court terme et de « promouvoir les conditions de sécurité nécessaires pour que le pays se remette de la crise ».
Le déploiement de la force d’intervention multilatérale devrait commencer le 1er janvier 2024. En juillet dernier, le Kenya avait proposé de diriger la mission avec un millier de policiers. Les Bahamas, Antigua et Barbuda se sont engagés à envoyer du personnel de sécurité, et plus récemment la Guyane et le Belize. Le Canada s’était également engagé à participer à la mission. Pour sa part, le gouvernement américain s’est engagé à financer la mission à hauteur d’au moins 100 millions de dollars.
Bien que la force internationale soit prévue pour une durée d’un an, comme les missions précédentes, elle pourrait être prolongée après une évaluation de neuf mois de son fonctionnement.
Examinons quelques éléments qui remettent en question les perspectives d’une nouvelle intervention internationale dans la perle des Antilles.
Chapitre VII. Intervention militaire autorisée
Premièrement, bien que le Conseil de sécurité ait autorisé la force d’intervention militaire internationale, il ne s’agit pas à proprement parler d’une mission de maintien de la paix de l’ONU. Cela contraste avec les missions précédentes. Elle relève plutôt du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui stipule que le Conseil de sécurité peut autoriser le recours à la force lorsque toutes les autres mesures de maintien de la paix et de la sécurité internationales ont été épuisées.
Il convient de rappeler que ce type de résolution s’inscrit dans le cadre de la doctrine de la « responsabilité de protéger ». Cette doctrine du jus ad bellum (le droit de faire la guerre) est très controversée. Elle a été invoquée en 2011 pour autoriser l’opération militaire contre Mouammar Kadhafi en Libye, une intervention qui a ouvert la voie au chaos actuel dans ce pays. Elle a également été appliquée au Darfour (Soudan) sans meilleurs résultats.
La mission d’intervention armée internationale en Haïti a été adoptée avec 13 voix, mais avec l’abstention de deux des cinq membres disposant d’un droit de veto (la Russie et la Chine). La Chine a justifié son abstention par le fait que le chapitre VII a été utilisé dans le passé pour s’ingérer dans d’autres pays et qu’elle s’attend à ce que la mission soit déployée en étroite coopération avec le gouvernement haïtien et à ce que des rapports réguliers soient présentés au Conseil. La Russie s’est abstenue au motif que ses questions n’ont pas reçu de réponse.
Des interventions internationales catastrophiques en Haïti
Une deuxième complexité réside dans le fait que l’interventionnisme international en Haïti n’a pas donné les résultats escomptés dans le passé.
Il s’agirait d’un nouveau déploiement de forces de sécurité internationales après l’échec de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti). Cette mission a été créée par la résolution 1542 du Conseil de sécurité le 30 avril 2004, après le renversement et l’exil du président Jean Bertrand Aristide, au motif que la situation en Haïti menaçait la paix et la sécurité dans la région.
La MINUSTAH était dirigée par les forces armées brésiliennes et comprenait du personnel militaire de l’Argentine, du Chili, de la Bolivie, de l’Équateur et de l’Uruguay. Elle s’est achevée le 15 octobre 2017 sans avoir rempli ses objectifs et dans la controverse.
En effet, la mission internationale a été accusée d’avoir commis des atrocités contre des civils. De plus, elle a accepté la responsabilité d’une épidémie de choléra qui, en 2010, a fait plus de 10 000 victimes. D’autre part, les fonctionnaires de l’ONU et des forces de sécurité ont été accusés de violences sexuelles généralisées, y compris d’abus sur des enfants. Dès 2011, des personnalités internationales dont Adolfo Pérez Esquivel et des organisations de défense des droits humains ont demandé la fin de la MINUSTAH.
Après la fin de la MINUSTAH, la MINUJUSTH (Mission des Nations Unies pour la justice en Haïti) a duré du 16 octobre 2017 au 15 octobre 2019, sans meilleurs résultats. Depuis 2019, une mission politique des Nations unies opère en Haïti sous le nom de BINUH (Bureau intégré des Nations unies en Haïti) créé en 2019. Ses objectifs sont de soutenir le processus politique en cours, de renforcer les institutions gouvernementales et les structures de l’État de droit, et de promouvoir et protéger les droits humains en Haïti. Son mandat a été prolongé jusqu’au 15 juillet 2024.
Une nouvelle intervention qui suscite des inquiétudes
Le bilan des missions de l’ONU depuis 2004 est pour le moins douteux. Rien n’indique qu’une nouvelle intervention internationale, cette fois-ci non placée sous l’égide de l’ONU et des règles du droit international, atteindra ses objectifs. C’est pourquoi l’autorisation par le Conseil de sécurité de la nouvelle intervention internationale ne suscite pas d’applaudissements parmi les Haïtiens. Nombreux sont ceux qui craignent une répétition des résultats catastrophiques des précédentes missions de sécurité. Le quotidien mexicain La Jornada parle d’une « formule pour la catastrophe ».
Il est très paradoxal que Washington, puissance tutélaire néocoloniale historique d’Haïti, rédacteur de la résolution et concepteur de cette nouvelle intervention, soit réticent à assumer la responsabilité de diriger la force d’assistance internationale et cherche des alliés pour le faire.
Ainsi, lors de sa visite à Ottawa en mars dernier, Joe Biden a demandé au Canada de prendre la tête de la mission. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a rejeté cette idée en invoquant la complexité de la situation, les échecs des missions précédentes et la nécessité de ne pas répéter les mêmes erreurs. Pour sa part, le chef d’état-major, le général Wayne Eyre, a déclaré que le Canada ne disposait pas des ressources nécessaires pour diriger un déploiement militaire en Haïti. Suite à l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que le Canada était prêt à faire plus pour Haïti et la mission internationale, sans préciser comment il le ferait.
Le Kenya ne garantit pas le succès de la mission internationale
Les pays d’Amérique latine qui avaient participé à la précédente mission se sont également retirés. Les pays européens, comme le Royaume-Uni, l’Espagne et la France, ancienne puissance coloniale, ainsi que d’autres pays de la communauté internationale, n’ont pas non plus montré d’intérêt à entrer en Haïti. Aucun des pays du Core Group (organe informel composé des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, d’Espagne, du Canada, des États-Unis, de la France, de l’Union européenne, de l’OEA et du Secrétaire général de l’ONU) n’a pris ses responsabilités. Cependant, après l’assassinat de Jovenel Moïse, c’est Ariel Henry qui serait l’actuel dirigeant haïtien de facto.
C’est le Kenya qui prendra la tête de la mission, afin de s’attirer les bonnes grâces des États-Unis, selon des experts cités par la BBC. Mais des doutes subsistent, car le Kenya n’assure pas le succès de la mission internationale. D’une part, la mission internationale crée des controverses juridiques d’inconstitutionnalité au Kenya même : un pays d’Afrique de l’Est anglophone et swahiliphone qui n’a pas de liens majeurs avec Haïti. D’autre part, il existe des doutes quant à sa capacité à diriger la mission. En effet, des organisations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International se sont inquiétées du fait que les forces armées kényanes ont depuis longtemps fait un « usage illégal et continu de la force contre les manifestants » dans leur propre pays. Des voix s’élèvent pour réclamer des mesures de protection des droits humains.
D’autres dénoncent ce qu’ils appellent une nouvelle invasion menée par les États-Unis. En effet, le bilan de l’intervention américaine en Haïti a récemment été marqué par la démission en 2021 de l’envoyé spécial de Washington pour Haïti, Daniel Foote, pour avoir renvoyé des immigrants haïtiens illégaux en Haïti. Dans une lettre de démission, Foote a qualifié la politique américaine en Haïti de profondément défectueuse : « Ce que nos amis haïtiens veulent vraiment et ce dont ils ont besoin, c’est la possibilité de tracer leur propre voie, sans marionnettistes internationaux et sans candidats triés sur le volet, mais avec un véritable soutien pour [atteindre] cette voie » (BBC). Cela ne fait pas partie du portefeuille de la nouvelle mission d’intervention.
Est-ce la véritable solution à la crise haïtienne?
À cela s’ajoutent les doutes sur l’efficacité du mécanisme adopté par les États-Unis et leurs alliés au sein du Conseil de sécurité de l’ONU dans le contexte haïtien actuel.
Selon les analystes du CELAG, « l’appauvrissement structurel d’Haïti est dû à une politique d’ingérence déguisée en aide humanitaire, qui favorise sa dépendance à l’égard de l’aide extérieure. »
Jean Lavalasse attribue la crise à la succession des gouvernements du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) depuis 2011. Les gouvernements de Michel Martelly, Jovenel Moïse et l’actuel premier ministre non élu Ariel Henry ont contribué à la crise. Bien entendu, l’assassinat du président Jovenel Moïse par des tueurs à gages colombiens implique également des politiciens haïtiens, tels que l’ancien sénateur Josep Joel John, condamné aux États-Unis.
Certes, il existe un consensus pour dire qu’Haïti répond à la définition d’un État failli, non seulement en raison de l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, mais aussi parce que les institutions ne contrôlent pas le territoire.
Les conflits frontaliers sont une autre source de tension, soit le conflit ouvert avec la République dominicaine voisine sur l’utilisation contestée des eaux du fleuve frontalier Masacre, la crise de gouvernance et l’action de groupes criminels, selon la BBC. Face aux migrations, la République dominicaine a construit un mur en 2022.
Le rapport de l’expert américain William O’Neill, commandé par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Volker Türk, indique que les gangs, qui étaient à l’origine des milices engagées par des politiciens et des hommes d’affaires pour leur propre sécurité, « ont évolué vers des groupes autonomes qui contrôlent de larges portions de territoire » (HRW). Ces gangs reçoivent des armes par voie maritime depuis les États-Unis et la frontière de la République Dominicaine.
En effet, la corruption règne en Haïti et les groupes criminels contrôlent une grande partie du territoire. Il n’y a pas de pouvoir législatif, il y a un gouvernement de facto qui gouverne par décret, la justice et la police sont minées par la corruption.
Mais le problème est plus vaste. D’une part, l’ONU certifie que depuis le début de l’année, entre le 1er janvier et le 9 septembre, 3 000 meurtres ont été signalés. À cela s’ajoutent 1 500 enlèvements contre rançon. D’autre part, la violence des gangs a chassé 200 000 personnes de leur foyer, dont la moitié sont des enfants.
En outre, le Programme alimentaire mondial (PAM) classe Haïti parmi les pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire : 169e sur 189 pays étudiés.
Des perspectives complexes en Haïti
En effet, le silence international règne sur ce qui se passe en Haïti, car ce pays appartient à la sphère d’influence de Washington. Certains affirment que la crise haïtienne est économique, sociale, politique et idéologique. Le journaliste Lyonel Trouillot, entre autres, affirme que les appels à une force internationale de maintien de la paix ne proviennent pas du peuple haïtien, mais d’un gouvernement de facto et d’associations patronales.
Même le Bureau de suivi de l’accord de Montana du 21 août 2021 pour une transition démocratique s’oppose à toute nouvelle intervention en Haïti. Les organisations sociales s’opposent à une nouvelle intervention. Elles soulignent que « la situation chaotique en Haïti est largement liée à la mise sous tutelle internationale de l’État et à la mise en place d’un système économique basé sur la rente, la corruption et la violence criminelle. »
Beaucoup craignent qu’une force internationale permettra à ce pouvoir de fait de rester en place jusqu’à ce qu’une parodie d’élections soit organisée. Les critiques soutiennent que ce qui est nécessaire, c’est une politique nationale, un gouvernement résultant d’un consensus haïtien.
Haïti est devenu un État défaillant et cela est lié précisément à l’intervention des forces internationales depuis le renversement et l’exil du président Jean-Bertrand Aristide, organisé par Washington en 2004.
Le rôle des interventions étrangères, tout en prétendant être guidées par les meilleures intentions, a contribué à la crise profonde d’Haïti.
Dans ce contexte, nous pensons qu’il est difficile d’imaginer que la mission de sécurité proposée et autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies puisse résoudre les problèmes d’Haïti.