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Colombie. COP16 : les femmes autochtones, piliers de la biodiversité

Publié par Étienne Leblanc, Radio-Canada, 31 octobre 2024

Les femmes autochtones de la planète ne se sont jamais autant fait entendre dans les négociations internationales sur la protection de la biodiversité. Entrevue avec l’une d’entre elles, Fany Kuiru Castro, protectrice de l’Amazonie colombienne.

Fany Kuiru Castro est issue de la Nation uitoto, un peuple qui vit dans la forêt amazonienne dans le sud-est de la Colombie, à la frontière du Pérou. Elle dirige le Comité de coordination des organisations autochtones du bassin du fleuve Amazone (COICA).

Au fil des ans, elle est devenue une des voix les plus influentes pour la protection de la forêt amazonienne et pour la place des femmes dans ces négociations. Elle est conseillère juridique pour les groupes qui représentent les femmes autochtones dans les négociations sur la diversité biologique.

Quel message portez-vous à la conférence des Nations unies sur la diversité biologique?

Très concrètement, à la COP16, nous voulons que l’accord mondial sur la biodiversité devienne plus que des mots, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance du savoir traditionnel autochtone. C’est inscrit dans l’article 8 de l’accord, mais il faut que ce soit concret, qu’on se donne les moyens pour que les pratiques des peuples autochtones et des communautés locales soient vraiment intégrées dans les efforts de conservation. Il s’agit d’une question fondamentale. En Amazonie, comme dans la plupart des territoires où vivent les Autochtones de la planète, nous sommes obligés de vivre en harmonie avec la nature : c’est une question de survie. Ce savoir traditionnel doit être incrusté dans l’accord, il doit percoler dans toutes les discussions qui visent à protéger la nature et les communautés autochtones doivent être au cœur des négociations.

Que proposez-vous concrètement?

D’abord, la création d’un organe auxiliaire à l’entente sur les questions autochtones. Cela forcerait les négociateurs à avoir des réunions sur le sujet des savoirs traditionnels entre les COP et cela ferait avancer le dossier plus rapidement. On a le même genre d’organe pour des questions scientifiques dans l’Accord de Paris sur le climat, par exemple. Ensuite, nous voulons que les fonds qui nous aident à protéger davantage de territoire nous arrivent plus directement, sans se perdre dans la bureaucratie. Les ressources arrivent difficilement aux communautés qui protègent vraiment le territoire. Cela doit changer.

Qu’est-ce que la biodiversité pour vous?

Nous avons appris au fil des millénaires que nous devons vivre en harmonie avec notre environnement et avoir une vision holistique qui nous permette de vivre en solidarité. Pourquoi? Parce que pour nous, la biodiversité, c’est une nature remplie d’êtres vivants sensibles et dont nous faisons partie. Par conséquent, nous devons vivre de manière solidaire avec la nature.

En quoi les femmes autochtones jouent-elles un rôle particulier dans la protection de la biodiversité?

D’abord parce que les femmes sont les dépositaires des connaissances ancestrales. Nous sommes les premières transmettrices de ces connaissances. Dans la communauté, nous fournissons la nourriture : nous la cultivons, nous la récoltons, nous la préparons. Nous sommes à la base d’une économie de la famille et de la communauté, nous prenons soin des autres. Nous travaillons de nos mains. Tous les jours, nous cultivons, nous reboisons, nous restaurons et pollinisons nos territoires. S’il y a toujours des forêts, c’est beaucoup grâce à nous. Tout comme nous sommes donneuses de vie, nous prenons soin de la vie sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations.

La Colombie est réputée pour faire la vie dure aux défenseurs de l’environnement. Selon un rapport de Global Witness, 196 militants environnementaux ont été tués en 2023 dans ce pays, ce qui en fait le pire endroit au monde pour militer en faveur de la protection de l’environnement. C’est dangereux de faire ce que vous faites?

Il y a déjà tous les dangers de vivre dans le bassin de l’Amazone. L’extractivisme, tout comme l’exploitation minière et le secteur pétrolier, est en train de détruire la vie en Amazonie, non seulement celle de la biodiversité, mais aussi celle des humains. Cependant, le plus grave, c’est la persécution, la criminalisation et l’assassinat de nos défenseurs territoriaux. C’est horrible. Nous sommes menacés par des groupes en marge de la loi, par des extractivistes et par les organisateurs de l’économie illégale. Pour eux, je suis un risque : ils voudraient me voir disparaître. Depuis que j’ai été élue [à la tête de la COICA], il y a plus d’un an, je n’ai pas eu un seul jour de repos sans être intimidée, sans être victime de diffamation ou de discrimination économique. Ils ont tout essayé contre moi. J’ai résisté aux attaques internes, notamment de la part d’hommes, de leaders masculins qui ne veulent pas que les femmes soient présentes dans les instances de décision ni dans nos structures organisationnelles. Ça se passe aussi au Pérou et au Brésil. Les militants sont en danger. Ils sont menacés par des entreprises qui entrent dans leurs territoires. Il y a des risques partout en Amazonie.

Qu’est-ce que vous voulez que les gens retiennent du message que vous diffusez ici à la COP16?

Que tout ne se résume pas à l’argent, qu’il doit y avoir une véritable volonté politique pour bien faire les choses et pour que ce ne soit pas qu’une question d’image. Qu’au lieu de toutes ces conférences, on pourrait entreprendre des actions réelles, concrètes, du vrai financement qui aiderait à régénérer les écosystèmes dégradés et qui soutiendrait ceux qui travaillent à maintenir le climat et la biodiversité en bon état, comme nous le faisons, nous, les peuples autochtones et surtout les femmes.

 

Source: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116465/cop16-femmes-autochtones-piliers-biodiversité