GATINEAU, Qc — Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a révélé lundi les noms de 2800 enfants autochtones morts dans quelque 80 pensionnats fédéraux tenus par des communautés religieuses à travers le pays pendant plus de 120 ans.
Au cours d’une cérémonie empreinte de tristesse, lundi matin au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau, des chefs autochtones et des survivants des pensionnats fédéraux ont déployé une banderole rouge de 50 mètres de long portant les noms d’enfants morts aux pensionnats. La cérémonie avait pour but de briser le silence sur le sort d’au moins quelques-uns des milliers d’Autochtones qui ont disparu de ces pensionnats pendant des décennies.
«C’est un jour spécial, non seulement pour moi, mais pour des milliers d’autres, comme moi, dans tout le pays, pour enfin rendre hommage à nos camarades de classe, à nos cousins, à nos neveux et nos nièces, qui sont enfin reconnus et honorés», a déclaré Barney Williams, survivant d’un pensionnat et membre du comité des survivants du Centre national pour la vérité et la réconciliation.
«Il est essentiel que ces noms soient connus», a déclaré Ry Moran, directeur du Centre national pour la vérité et la réconciliation, qui a compilé cette funeste liste. Le travail a nécessité des années de recherche pour déterminer ce qui était arrivé aux nombreux enfants emmenés de force dans ces pensionnats et qui n’en sont jamais revenus; les archivistes ont dû fouiller des centaines de documents des gouvernements et des communautés religieuses.
La réalisation de ce registre national des élèves morts dans les pensionnats constituait l’un des 94 «appels à l’action» contenus dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, publié en 2015.
Au total, 150 000 enfants autochtones auraient séjourné au moins un certain temps dans un pensionnat fédéral. Les 2800 noms d’enfants inscrits sur la liste dévoilée lundi sont ceux dont la mort et le nom ont pu être confirmés; M. Moran indique toutefois que 1600 autres personnes mortes restent pour l’instant anonymes. Et des centaines d’autres ont tout simplement disparu sans laisser de traces dans les archives — jusqu’ici, du moins.
De tous les âges
Certains pensionnats ont soumis une longue liste d’élèves décédés alors que d’autres n’en signalent aucun, ce qui fait sourciller M. Moran. Par ailleurs, la tranche d’âge des enfants morts est très large: «des nourrissons, des enfants de trois ans et de quatre ans, jusqu’à l’adolescence, précise M. Moran. Nous avons quelques élèves sur cette liste identifiés comme « bébés ».»
Des leaders nationaux autochtones ont pris la parole, lundi, lors de la cérémonie qui prenait les allures de funérailles pour les nombreux enfants victimes de maltraitance et de négligence dans les pensionnats fédéraux.
Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a déploré la mort de ces «petits enfants», dont plusieurs ont été enterrés sans cérémonie dans des tombes anonymes. Il a qualifié la mort de ces enfants de «génocide» — reprenant un terme du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, publié en juin.
«Nous ressentons toujours le traumatisme intergénérationnel de ce génocide. Nous le constatons tous les jours dans nos communautés, a expliqué M. Bellegarde. Mais maintenant, nous disons qu’il y a de l’espoir, car nous ne voulons pas utiliser seulement le terme « survivants »: les gens commencent à s’en sortir, à devenir fiers de ce que nous sommes en tant que nations autochtones.»
Bien que les noms des victimes dévoilés lundi soient publics, l’accès aux détails que les chercheurs ont pu découvrir à leur sujet sera limité aux familles.
Le travail ne s’arrête toutefois pas là, a ajouté M. Moran. L’équipe continue de rechercher les noms des 1600 autres personnes décédées et de trouver une explication pour les autres enfants qui ont disparu. Les chercheurs prévoient revenir dans les communautés pour peaufiner la liste et combler les lacunes. Beaucoup d’autres tombes doivent notamment être retrouvées.
Les chercheurs essaieront également de rattacher derrière ces noms le plus grand nombre possible de récits. «C’est la prochaine étape: veiller à ce que, lorsque nous nous souvenons de ces enfants, nous leur redonnions la vie et comprenions ce qui est arrivé, explique M. Moran. Cela doit être mené par les communautés et les familles; nous sommes là pour les aider.»
Référence : L’Actualité
Photo : L’Actualité