La communauté de Putaendo lutte pour continuer d’être un territoire sans exploitation minière et pour ne pas devenir l’une parmi les « zones de sacrifice » qui existent au Chili. Située dans la zone centrale du pays, cette communauté est confrontée à la pire sécheresse de l’histoire du Chili. En pleine pandémie, la Commission d’évaluation environnementale a approuvé, sans concertation auprès des citoyens, le projet de forage minier Las Tejas, appartenant à l’entreprise « Las Vizcachitas holding ». Depuis l’année 2007, l’entreprise Vizcachitas holding appartient à la société minière canadienne « Los Andes Copper ».
L’approbation de ce projet permet à l’entreprise de poursuivre les travaux d’exploration minière qu’elle mène depuis déjà plus de 10 ans. Dans le passé, la société a été accusée et sanctionnée due à l’irrégularité et à l’illégalité de ses opérations. Le projet prévoit le forage de 350 nouveaux puits au cours des quatre prochaines années, afin de pouvoir par la suite installer une usine de concentration et une mine à ciel ouvert du molybdène, du cuivre et de l’argent. Si la phase d’exploration se termine et que la mine s’installe dans les prochaines années à Putaendo, Los Andes Cooper pourrait alors devenir propriétaire de la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du Chili.
Soucieuse des impacts sociaux et environnementaux générés par le projet et malgré le confinement instauré pour faire face à la pandémie de la Covid-19, la communauté de Putaendo a décidé de sortir dans la rue quelques jours après son approbation pour exprimer son rejet du projet. Au cours de la mobilisation pacifique de Putaendo le 25 avril dernier, des militaires et des forces de l’ordre se sont rendus sur le territoire, ce qui a suscité de l’inquiétude et un rejet au niveau national. Il convient de noter qu’avant la pandémie, le Chili était en pleine soulèvement social depuis octobre dernier. La répression et les violations des droits humains se poursuivent jusqu’à ce jour.
Au milieu de cette crise sociale, une loi avait été voté pour accorder des fonctions d’ordre et de sécurité normalement octroyés à la police aux militaires pour la protection des infrastructures dites “critiques”. En entrant en vigueure, cette loi laisse pressentir un scénario de violence accrue, de répression et de contrôle des manifestations publiques. L’intervention militaire dans le conflit entre la communauté de Putaendo et la société canadienne « Los Andes Copper » donne un aperçu de la puissance des intérêts canadiens dans le développement extractif au Chili.
Le Comité pour les droits humains en Amérique latine, CDHAL, s’est entretenu avec deux membres du groupe « Putaendo Resiste ». Ce mouvement, né en 2015, s’est uni à d’autres organisations afin de se mobiliser et de résister contre l’installation du projet sur le territoire. Gastón Arancibia, militant de Putaendo Resiste qui habite dans le secteur Los Patos, l’endroit le plus proche où le projet minier sera installé, nous parle des derniers événements liés au projet et aux mobilisations de la communauté :
« Ces dernières semaines, s’est répandu parmis nous, un profond sentiment d’impuissance, en voyant ce projet de forage minier être autorisé dans une ville déclarée zone de catastrophe hydrique. Tout s’est déroulé en pleine pandémie et sans aucune consultation auprès de la population alors qu’ils savent la gravité que représente ce projet pour nos communautés. C’est pourquoi plus de 300 personnes sont sorties à la rue pour manifester leur opposition au projet. Dès le lendemain, le gouvernement , en réponse à la manifestation , a militarisé les rues de Putaendo avec les forces spéciales de la police et l’armée qui, ont surveillé, intimidé et donné des amendes aux manifestant-e-s. Cette réaction nous montre bien à quel point l’État chilien protège le modèle extractiviste au détriment de la vie. La communauté de Putaendo demande et exige vouloir continuer à vivre dans une ville libre de contamination, en conservant notre système de vie, en préservant nos paysages, nos glaciers et toute notre biodiversité. Préserver notre patrimoine, et défendre notre droit humain à l’eau. Et nous le défendrons quoi qu’il en soit »
Putaendo est la seule vallée de la zone centrale du Chili libre d’exploitation minière. Par ailleurs, cette vallée est considérée comme une zone de catastrophe, étant donné la grave crise de l’eau qui s’est aggravée au Chili au cours des dix dernières années. Le projet minier affecterait tout particulièrement la rivière Rocín, le principal affluent de la rivière Putaendo. Il faut souligner que le projet « Vizcachitas » a débuté en 1993 et qu’à ce jour 175 forages ont été réalisés. Depuis l’acquisition du projet par la société canadienne Los Andes Cooper en 2007, 79 puits ont été forés bien que la permission leur avait été refusé en 2008. Au cours des dernières années, ils ont été accusés de s’approprier d’eau, d’altérer les cours d’eau et de contaminer la rivière Rocin par la présence de métaux lourds. Les glaciers ainsi qu’une partie de la flore et de la faune de la région ont également été affectés. Ces opérations illégales ont provoqué diverses actions de la part de la communauté du Putaendo.
« Nous avons commencé à réagir lorsque nous nous sommes rendu compte en 2015 des dommages engendrés par la contamination de l’eau que cette compagnie minière avait provoquée avec son forage illégal au milieu de la rivière Rocin, qui est de plus la seule source d’eau de la vallée de Putaendo. Suite à notre réaction, plusieurs organisations ont commencé à se créer ou à nous rejoindre pour défendre l’environnement et notre peuple. Au cours de ces cinq années de lutte, nous avons essayé de faire face à cette menace sur différents fronts afin de bénéficier de différents moyens de protection tel que le soutien de l’Observatoire latinoaméricain de conflits environnementaux OLCA, et de son avocat Alvaro Toro. À deux reprises, nous avons demandé la consultation des citoyens. La seconde fois, plus de 2000 lettres de personnes et d’organisations sociales ont été rejetées par le service d’évaluation environnementale. Nous avons organisé des marches avec plus de 2000 personnes, des intrusions dans le bureau du gouverneur afin de communiquer directement avec lui, des manifestations à la mairie, des ateliers d’information, des visites de notre territoire, etc. Toute le peuple de Putaendo essaie d’aider à informer pour rendre compte des impacts de ce projet. Une de nos camarade de »Putaendo Resiste » s’est même rendue au Canada pour témoigner au sein d’une ONG et a rendue visite au ministère de l’intérieur. De plus des documentaires ont été réalisés pour informer et rendre visible notre opposition ».
Ces dernières années, plusieurs mouvements environnementaux et pour la défense de l’eau se sont organisés face à l’intensification de l’extractivisme et du pillaje, ce qui a contribué à la plus grande crise de l’eau et à la sécheresse qui touche le pays. La phase de construction et d’exploitation de la mine à ciel ouvert à Putaendo devrait commencer avant 2024 et laisserait place au développement de l’exploitation minière à grande échelle dans la région centrale du pays. Cela laisse entrevoir un scénario critique pour les années à venir, étant donné qu’une grande partie de la zone centrale est actuellement déclarée zone d’urgence agricole. Selon l’Observatoire latinoaméricain des conflits environnementaux (OLCA), plus de 11 millions de personnes de plusieurs régions du Chili sont actuellement dans la même situation. Dans la zone centrale, une attention particulière est accordée à la situation de Putaendo, où les pénuries d’eau affectent le droit d’accès à l’eau destiné tant à la consommation humaine que pour l’agriculture paysanne. Par ailleurs, depuis l’année dernière, des milliers d’animaux reproducteurs sont morts en raison du manque de nourriture et d’eau pour leur survie. Il faut souligner que le modèle de l’eau au Chili est basé sur des droits de propriété privé. Ce modèle privilégie davantage la croissante demande de l’industrie extractive au détriment du respect au droit humain à l’eau pour la consommation humaine. Au sein du secteur extractif, l’industrie minière est la principale consommatrice d’eau, cette dernière étant indispensable au fonctionnement de ses activités. Selon l’Observatoire des citoyens du Chili, la législation chilienne accorde aux concessions minières un droit préférentiel d’utilisation des eaux sans aucune restriction. Ainsi, elles ne sont pas obligées de justifier leur utilisation, et encore moins le volume d’eau extrait.
Sara Gómez, présidente du groupe de l’eau potable rurale dans le secteur nord de la commune de Putaendo, nous parle des impacts du projet.
« La vérité c’est qu’il s’agit d’un problème très préoccupant surtout à cause de la sécheresse qui sévit. Cette pénurie d’eau n’est pas propre à la commune de Putaendo, il y en a déjà eu d’autres dans le nord où les compagnies minières ont également développés leurs activités. En achetant des actions pour avoir accès à l’eau ils nuisent directement à l’agriculture. Ici à Putaendo, le secteur agricole est prédominant. Les familles agricultrices qui exportent leurs produits seront d’une certaine manière également affectées par cette contamination car leurs produits ne seront plus certifié comme venant d’un environnement sain. L’exploitation minière va donc affecter globalement la vie quotidienne des habitant.e.s. De plus, de nombreuses personnes âgées vivent dans cette vallée et comme il s’agit d’une route rurale, en particulier le secteur de Los Patos, à Casablanca, il n’y a pas de chemins piétonniers. Ce projet est donc problématique et met en danger la circulation des personnes et celles des animaux puisque les agriculteurs déplacent leur bétail sur cette route. Tout cela m’amène à m’interroger sur les intérêts des autorités, quand on remarque qu’elles autorisent ce type d’activité minière qui sera facteur que de mauvaises conséquences sur le plan environnemental. Nous exprimons notre opposition catégorique à l’installation de l’exploitation minière à grand échelle ici à Putaendo car nous ne croyons pas que cela va apporter des choses positifs comme essai de nous dire l’entreprise”.
Le conflit entre la communauté Putaendo et la société canadienne Los Andes Cooper n’est pas une surprise puisque les investissements canadiens sont la principale source d’investissements étrangers au Chili dans le secteur minier. Comme l’a dénoncé Observatoire latinoaméricain de conflits environnementaux OLCA, il y a actuellement plus de quarante sociétés minières canadiennes et plus de 100 projets dans le pays. Il est donc impossible de nier le rôle des investissements canadiens dans l’exploitations et saccage des territoires au Chili.
Malgré le soulèvement social et la grave situation de violations des droits humains que connaît le Chili, le gouvernement de Sebastián Piñera était présent le mois de mars à Toronto, au Canada, pour participer à la plus importante réunion du secteur minier au monde. Il convient de noter que la première source d’investissement étranger au Chili provient du secteur minier. Cela révèle les intérêts du Chili et du Canada d’accroître les exploitations en cuivre et en lithium. Le Chili possède les plus importantes réserves et il est le premier producteur de cuivre au monde. Si la mine de cuivre à ciel ouvert est installée dans les prochaines années à Putaendo, les prévisions indiquent que Los Andes Cooper posséderait la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du Chili. Ce scénario s’annonce catastrophique quand on se rend compte que la communauté de Putaendo est déjà impacté sur le plan socio-environnemental, qu’elle est déjà victime de violations des droits humains et que tout cela va s’intensifier dans les années à venir. Dans ce scénario, il n’est pas possible de ne pas mentionner le rôle de l’État canadien qui apporte un soutien financier et politique aux investissements canadiens à l’étranger dans le secteur minier et extractif. On peut noter par exemple le rôle de l’agence gouvernementale de crédit à l’exportation, Export Development Canada, qui a apporté un soutien financier non négligeable aux opérations minières chiliennes. Le Canada n’a pas de souci et continue à soutenir ces projets extractifs qui ont été historiquement impliqués dans des cas emblématiques de violations des droits humains des communautés affectées par des sociétés minières canadiennes en toute impunité.