22 septembre 2021
Texte original: José Victor Salcedo, OjoPúblico
Source image: Álvaro Franco, OjoPúblico
Dans un contexte de conflit social et d’attentes élevées, le président du Conseil des ministres peruvien Guido Bellido Ugarte s’est rendu six fois au corridor minier pour traiter les demandes des communautés de Apurímac et Cusco (départements péruviens). Pourtant, ils ne sont pas parvenus à un accord, et les demandes des communautés continuent. Dans la province de Chumbivilcas, la route de transport minier est bloquée depuis deux mois. Parmi les demandes principales, la compensation pour les territoires incorporés en 2016 au passage national pour le transport minéral par les entreprises MMG Las Bambas, Hudbay et Glencore. Au total, 20 communautés Quechua ont rejoint ces revendications.
Dans les 15 dernières années, la route qui traverse les principales exploitations minières du sud du Pérou a donné lieu à de multiples conflits entre les communautés quechua, le gouvernement et les entreprises. Le soutien électoral pour le président Pedro Castillo était d’un pourcentage élevé dans cette région, en particulier dans Cusco et Apurímac. Les attentes d’une meilleure attention à leurs revendications se sont soulevées lorsque Guido Bellido Ugarte a été nommé à la tête de la présidence du Conseil des ministres (PCM), car il est originaire de Chumbivilcas, l’une des provinces où des conflits miniers existent depuis des mois.
Deux mois se sont écoulés depuis que membres de 10 communautés ont bloqué l’autoroute – connue sous le nom de corridor minier – à travers laquelle le minerai est transporté. Bellido Ugarte a promis des solutions et s’est rendu six fois dans la région, mais le gouvernement n’a toujours pas pu résoudre les différents conflits signalés dans les deux régions.
Le corridor minier sud traverse les territoires de 37 communautés paysannes quechua: 12 d’entre elles situées dans la province de Cotabambas (Apurímac), 24 à Chumbivilcas et Espinar (Cusco) et un à Caylloma (Arequipa). En plus de la pollution entraînée par le corridor minier, 20 de ces communautés dénoncent depuis 2016 que 6 routes communales étaient classées comme routes nationales à la demande des gouvernements régionaux.
Des 20 communautés affectées identifiées par l’entité d’investigation OjoPúblico, 12 sont de Chumbivilcas: Huininquiri, Idiopa Ñaupa Japo Urinsaya, Tincurca Huaylla, Lacca Lacca Yanque, Parccobamba, Cancahuani, Cruzpampa, Huascabamba, Huaylla Huaylla, Hatun Ccollana, Sayhua et Tuntuma. À l’exception des deux derniers, le corridor minier a été bloqué dans les 10 autres communautés, et il y existe une grève illimitée.
Le corridor minier sud traverse 37 communautés paysannes quechua, à Apurímac, Cusco et Arequipa.
En plus de cela, il existe une communauté d’Espinar (Tintaya Marquiri) et sept de Cotabambas, dans la région Apurímac: Arcospampa Congota, Pisacasa, Miraflores, San Miguel, Quehuincha, Pitec et Pumamarca.
« Chaque jour, de dix heures du matin à quatre heures de l’après-midi, les camions qui nous contaminent passent. Il y a 14 kilomètres de passage dans notre communauté et plus de 160 familles sont touchées », dit Huamaní Castro à OjoPúblico. L’homme ajoute que la poussière soulevée par les camions affecte également les pâturages qui nourrissent le bétail. « Ils sont couverts de terre et nos animaux n’en mangent plus, ils sont maigres. Cela signifie que la production de viande et de lait n’est plus ce qu’elle était », se plaint Sixto Huamaní Castro, président de la communauté quechua de Huininquiri, province de Chumbivilcas, à Cusco.
Le corridor minier sud permet le transport du matériel de la société minière MMG Las Bambas. Un camion de cette entreprise transporte plus de 34 tonnes de minerais extraits à la mine de Las Bambas, qui est située dans le district de Challhuahuacho, province de Cotabambas, dans la région d’Apurímac. Les véhicules parcourent 482,2 kilomètres entre les régions d’Apurímac, de Cusco et d’Arequipa.
Les camions partent de l’unité minière de Las Bambas et déchargent le concentré minéral à la station de transfert de la ville de Pillones, dans le district de San Antonio de Chuca, dans la province d’Arequipa de Caylloma. De là, le minerai est transféré par train jusqu’au port de Matarani, à Moquegua, pour l’exportation.
Cette route est aussi traversée par les entreprises Hudbay et Glencore, qui dirigent respectivement le projet Constancia à Veille et l’extraction minérale du projet Antapaccay à Aspinar.
La grève à Chumbivilcas
En juillet de cette année, huit communautés de la province de Chumbivilcas, à Cusco, ont mené une grève illimitée pour exiger un paiement équitable et une compensation pour l’utilisation de leurs terres qui font partie du corridor minier. Dans la matinée du 2 août, le président du Conseil des ministres, Guido Bellido Ugarte, est arrivé à cheval dans la région de Muyoqorcco, à Chumbivilcas, où il a déclaré que l’il répondrait aux revendications des communautés quechua en 60 jours.
« En tant que chumbivilcano, notre compatriote se bat pour ses frères qui souffrent. Nous exigeons seulement que [Bellido Ugarte] nous donne une solution », a déclaré José Carlos Cayllahua Peláez, président de la communauté Cruzpampa à l’époque.
Cependant, à ce jour, Bellido Ugarte n’est pas en mesure de résoudre le conflit ni de mettre fin aux blocages. Le 29 août, le président du Conseil des Ministres a installé le Bureau technique pour le développement intégral de la province de Chumbivilcas et le Groupe de travail temporaire pour répondre aux demandes de huit communautés quechua de Chumbivilcas.
En plus du paiement pour l’utilisation de leurs propriétés, les communautés demandent une remise en état des terres communales traversées par l’autoroute, une compensation pour l’impact de la poussière causée par les camions encapsulés, et elles souhaitent devenir fournisseurs de la société minière.
Au départ, il y avait huit communautés qui protestaient, et la première semaine de septembre, deux autres communautés se sont jointes : Ccollana et Huaylla Huaylla, du district de Velille. À la fin d’août, pendant sa deuxième visite, Bellido a dit que le processus de consultation durerait jusqu’en décembre au plus tard. Cependant, les représentants des 10 communautés ont repris le blocus dans le couloir minier vendredi 10 septembre, car ils ne sont pas parvenus à un accord dans un groupe de travail qui faisait partie du cadre de dialogue installé le 29 août. L’arrêt se poursuit jusqu’à l’écrit de ce rapport.
« Les travailleurs de la société minière Las Bambas ont refusé d’incorporer les communautés affectées à la chaîne de valeur de la société minière. Nous ne l’acceptons pas et c’est pourquoi nous continuons à protester », a déclaré à OjoPublico Sixto Huamaní Castro, président de la communauté Huininquiri.
Le 13 septembre, le gouvernement a de nouveau échoué dans sa tentative de rétablir le dialogue lors d’une réunion tenue dans la ville de Cusco. Les représentants du PCM, de la société minière Las Bambas et les présidents communaux de Chumbivilcas ont assisté à la réunion. Il n’y a pas eu d’accords malgré le fait que les représentants de Las Bambas ont évoqué à nouveau la possibilité que les communautés soient des fournisseurs de la compagnie minière, tant qu’elles débouchent le corridor minier. En réponse, les dirigeants ont déclaré qu’ils maintiendraient le statu quo et que les pourparlers devraient se poursuivre dans ces conditions.
Bellido, originaire de Chumbivilcas, n’as pas réussi à mettre fin aux blocages dans le corridor minier.
Guido Bellido Ugarte est né et a grandi dans la communauté paysanne quechua de Quehuincha (qui n’est pas affecté par le conflit), située dans le district de Livitaca, province de Chumbivilcas. Le président du PCM s’est rendu deux fois dans cette province: le premier a eu lieu le 2 août, lorsqu’il n’a pas signé les procès-verbaux avec des accords et a provoqué des insatisfactions parmi les dirigeants des communautés. La deuxième fois, c’était le 29 août, lorsqu’il a installé le cadre de consultation.
Des sources du ministère de l’Énergie et des Mines (Minem) consultées par OjoPúblico conviennent que l’une des difficultés pour surmonter ce désaccord entre les communautés et l’exécutif a été le récent changement promu par le gouvernement dans les équipes techniques de l’Office général de la gestion sociale de ce secteur, du ministère des Transports et des Communications, et de la Présidence du Conseil des ministres.
Les techniciens se sont rapprochés des leaders communautaires, car ils ont accepté de refuser l’intervention d’aucune autorité politique (comme les maires) ou des syndicats de district ou de province, en dehors du Front uni pour la défense des intérêts des Chumbivilcas (Fudich), dirigé par Wilber Fuentes Agüero. Les leaders ne font confiance qu’à cette institution, parce que c’était la seule qui les a soutenus depuis le début des manifestations.
Parmi les difficultés à surmonter le conflit, les récents changements dans les équipes techniques de l’Exécutif
L’un des moments de désaccord entre Bellido et les communautés s’est produit le 11 août, date à laquelle la consultation devait commencer, sauf que le PCM n’a pas convoqué la réunion. Cinq jours plus tard, les communautés ont décidé de suspendre la trêve qu’elles ont accordée à Bellido et le corridor minier était bloqué à nouveau. Ce jour-là, le président du PCM est arrivé à Cusco et, interrogé sur la reprise des manifestations, a accusé la présence d’avocats aux intérêts obscurs qui incitent la population « avec le mythe » qu’ils recevraient certains avantages économiques.
Le politicien de Cusco Víctor Villa Zambrano est l’avocat derrière les revendications communautaires. Il représente les syndicats paysans depuis quelques années et il a déclaré à OjoPublico qu’il n’avait aucun intérêt financier dans cette affaire.
En 2018, Villa Zambrano s’est présentée à la mairie de la province de Cusco pour le Parti chrétien populaire (PPC), qui a perdu son inscription aux élections de cette année. « Je fais partie de ces hommes politiques qui, non seulement lors des élections, visitent constamment des associations, des collectivités et des associations pro-logement. Lorsqu’ils demandent mon assistance [juridique], je les soutiens. S’il y a un intérêt [dans le conflit de Chumbivilcas] ce serait l’intérêt politique. Si à un moment donné je me présente [pour un poste], j’espère qu’ils [les communautés] pourront m’aider », a-t-il déclaré à OjoPúblico.
Les revendications à Apurímac
Le conflit avec les communautés quechuas à Chumbivilcas (cusco) n’est pas le seul dans le corridor minier sud. Le 27 août dernier, les communautés du quartier de Mara, à Cotabambas (Apurímac), ont également organisé une grève de 48 heures pour demander à l’État la même revendication que les autres : le paiement d’indemnités pour l’usage de leurs terres.
La protestation a commencé parce que pendant la pandémie, les négociations avec le ministère des Transports et des Communications (MTC) pour l’acquisition de terrains ont été suspendues. Le processus d’achat de terrains avait commencé en décembre 2019, après une réunion avec des représentants du ministère. Dans ce contexte, le 27 août, la société minière MMG a décidé de parcourir une route alternative pour transporter son personnel. Ce jour-là, un bus appartenant à la société minière s’est écrasé et 16 travailleurs sont morts.
Álex Roque Mío, président du comité des personnes affectées par le projet de corridor routier dans le district de Mara, a déclaré que l’une de ses demandes est que le gouvernement augmente le prix du mètre carré de leur terrain. L’année dernière, six communautés quechua de ce district (Arcospampa Congota, Pisacaca, Miraflores, San Miguel, Quehuincha et Pitec) ont entamé des négociations avec le MTC pour payer l’indemnisation pour leurs terres.
Les communautés de Cotabambas, à Apurímac, ont également entamé une grève de 48 heures en août.
Quelles sont les demandes précisées? Ronald Quispe Bello, président du Front de Défense de Mara, a expliqué à OjoPúblico que l’État avait engagé une entreprise pour s’occuper des procédures liées au paiement de leurs terres, mais qu’elle ne s’était pas conformée jusqu’à présent. C’est pourquoi ils demandent à Provías d’assister à leurs réclamations. « Par exemple, dans la liste des bénéficiaires, il y a des personnes qui ne sont pas de la communauté, il y a des retards de paiement et un service médiocre », a-t-il déclaré.
Il y a aussi des revendications à Tambobamba. Le président de la communauté de Pumamarca, Néstor Vargas Quispe, a dit a OjoPúblico que le MTC ne leur a payé que « $9 millions pour 8 kilomètres de terrain» . Mais il a assuré qu’il manquait le paiement de quelque $7 millions pour 7 kilomètres supplémentaires de terres communales incorporées dans le corridor de la route minière sud, sans son consentement.
Vendredi dernier, le Premier ministre Guido Bellido est arrivé à Cotabambas pour reprendre les négociations avec les communautés affectées par le corridor minier sud.
L’origine des poursuites
Ce qui est aujourd’hui connu comme le corridor minier jadis unissait les routes communale, de district et régionales à Cusco, Apurímac et Arequipa; en 2016, le ministère de Transports et de Communications (MTC) a approuvé le décret suprême 011-2016 pour convertir ce réseau en route nationale. Deux ans plus tard, six sections des routes communales à Cusco et Apurímac étaient finalement reclassées après la publication de la résolution ministérielle 372-2018-MTC.
Cela s’est produit quelques années après que la société de Las Bambas a modifié son étude d’impact environnemental (EIE) afin que le transfert du cuivre ne se fasse plus par pipeline fermé -comme elle l’avait initialement proposé-, mais par la route.
Lorsque le projet appartenait à Xstrata Las Bambas (du groupe suisse Glencore), il était prévu de construire un pipeline pour transporter le concentré jusqu’à l’unité minière Antapaccay Expansión Tintaya, propriété de Xstrata Tintaya S.A, du même conglomérat. Cependant, Xstrata a vendu le projet Las Bambas à la société chinoise MMG Limited en avril 2014, qui a abandonné le projet de pipeline.
La spécialiste de CooperAcción, Ana Leyva, a analysé les modifications apportées à l’EIE et souligne que la zone d’influence sociale établie dans l’EIE initiale comprenait 20 autres adjacentes au tracé du pipeline.
L’origine du problème était le reclassement des routes communales de Cusco, Apurímac et Arequipa en route nationale.
En outre, selon Ana Leyva, le deuxième amendement à l’EIE de Las Bambas n’a pas pris en compte les engagements ou les obligations vérifiables concernant le transport des concentrés pour Las Bambas. « De cette façon, les impacts qui ont été générés par le transport des minerais sont transférés aux entreprises qui sous-traitent le transport ou à l’État propriétaire de la route », dit-elle.
D’autre part, depuis 2019, l’Exécutif a commencé la remise en état des terres communales qui font partie du corridor minier, c’est-à-dire le processus d’achat. L’une des premières tâches du MTC a été d’identifier les propriétaires et possesseurs des terrains incorporés dans le corridor routier pour leur compenser. Selon le MTC, il a déjà acquis les propriétés de cinq communautés et de 223 membres de la communauté dans le corridor routier, pour un montant total de $24,9 millions.
De plus, pour la compensation économique, il a déboursé $56,2 millions. « Tout cela est le résultat du travail coordonné et consensuel du MTC avec les communautés paysannes », a déclaré ce ministère dans une note d’information.
Maintenant, ils ont commencé à visiter les communautés de la région de Cusco pour négocier l’achat de leurs terres communales. Cependant, les communautés souhaitent d’abord que le gouvernement reconnaisse les compensations et indemnisations pour l’utilisation de leurs terres depuis 2014.
OjoPúblico a demandé un entretien avec un représentant du MTC, mais celui-ci n’a été pas finalisé lors de l’écrit de cet article. En attendant, le PCM, dirigé par Bellido, a convoqué les dirigeants des communautés Chumbivilcas qui restent en grève pour le mercredi 22 septembre. Le rendez-vous sera dans la communauté de Cancahuani, district de Ccapacmarca. Wilbert Fuentes, du Front uni pour la défense des Chumbivilcas, a annoncé sa présence, mais la résolution du conflit dépendra de la capacité de Bellido à trouver un accord avec ses compatriotes.