Source image: Justice For Mariano / Mining Watch Canada
Description:
Ce prochain 8 novembre, des organisations mexicaines et canadiennes iront devant la cour d’appel fédérale pour tenter de renverser la décision de la Commission pour l’intégrité de l’administration publique du Canada de ne pas enquêter sur le rôle de l’ambassade du Canada dans l’assassinat du défenseur Mariano Abarca en 2009. Abarca a dirigé le mouvement de résistance contre la mine de Chicomuselo, Chiapas, de propriété de la société minière canadienne Blackfire. Il a aussi cofondé le Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière (REMA).
Nouvelle:
Des organisations sociales du Mexique et du Canada vont devant la Cour d’appel fédérale du Canada pour renverser la décision de ne pas enquêter sur le rôle et la complicité de l’ambassade du Canada au Mexique dans l’assassinat du leader Mariano Abarca. Le crime est lié à une mine appartenant à la société canadienne Blackfire à Chicomuselo, Chiapas.
L’avocat José Luis Abarca, fils du défenseur assassiné, membre du Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière, REMA, et directeur de la Fondation environnementale Mariano Abarca, nous raconte les faits :
«Je veux partager un peu sur mon père, son combat contre la mine et pourquoi nous avons déposé une plainte au Canada pour exiger une enquête sur l’ambassade du Canada au Mexique.
Mon père Mariano Abarca était un leader communautaire important lorsqu’une mine de barytine, appartenant à une société minière canadienne, a commencé à causer des dommages sociaux et environnementaux dans la communauté. Il a également été l’un des fondateurs du Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière, REMA.
La société minière Blackfire a fonctionné de fin 2007 à fin 2009. La mine a été fermée pour les dommages à l’environnement quelques jours après le meurtre de mon père. En juin 2009, il a voyagé de Chicomuselo avec un groupe de personnes de la communauté et avec le soutien d’Otros Mundos Chiapas pour participer à une manifestation devant l’ambassade du Canada. Là, il s’est entretenu avec une représentante de l’ambassade canadienne. Il a parlé des promesses de travaux non tenues, des dégâts que les camions de l’entreprise causaient à nos maisons et nos rues, et surtout la pollution de nos rivières. Il a parlé aussi d’un groupe d’employés de l’entreprise qui étaient armés et qui l’intimidaient ainsi que d’autres.
Trois semaines plus tard, mon père a été arrêté par la police à la suite d’une plainte déposée par l’entreprise. L’entreprise a fait de nombreuses fausses accusations, disant que mon père était impliqué dans le crime organisé. L’ambassade a reçu 1 400 lettres de partout dans les Amériques exprimant une grande inquiétude pour l’emplacement et la vie de mon père et après 8 jours, il a été libéré sans jugement en raison du manque de preuves. Trois mois plus tard, le 27 novembre 2009, un homme a tiré et a tué mon père. Toutes les personnes impliquées dans le crime étaient liées à la société minière et jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’enquête sérieuse.
Nous avons déposé une plainte contre les autorités mexicaines devant la Commission interaméricaine des droits humains et nous avons également déposé une plainte demandant une enquête sur l’ambassade canadienne au Mexique parce que nous avons obtenu des documents du gouvernement canadien qui montrent combien l’ambassade canadienne savait et comment elle n’a rien fait pour appuyer mon père.
Cette documentation nous montre que même avant que la mine n’était opérationnelle, l’ambassade savait que l’entreprise avait des difficultés à conclure des accords avec la communauté. Depuis lors, l’entreprise a exercé des pressions diplomatiques sur les autorités de l’État du Chiapas pour faire entrer en opération à la mine. Une fois que la mine est entrée en opération, la documentation montre également que l’ambassade a suivi de près les médias au Chiapas au sujet des protestations constantes et a donc appris le profond mécontentement de la population. Tout cela aurait dû être mauvais signe pour l’ambassade. Pourtant, au lieu de s’inquiéter, l’ambassade a continué à collecter des informations et communiquer avec les autorités mexicaines.
En octobre 2009, l’ambassade a organisé une délégation au Chiapas, quelques semaines avant le meurtre de mon père. Ils se sont adressés au gouvernement de l’État et leur ont demandé de réprimer les manifestations.
Moins de six semaines plus tard, mon père a été assassiné. Nous ne disons pas que l’ambassade a ordonné la mort de mon père, mais en lui refusant la protection et en travaillant uniquement pour les intérêts de l’entreprise, nous pensons qu’elle l’a exposé à un plus grand risque et, si elle avait agi différemment, mon père n’aurait pas été assassiné.
C’est pourquoi nous sommes allés à Ottawa pour déposer une plainte auprès du Commissaire à l’intégrité de la fonction publique et pourquoi nous continuons d’insister auprès de la cour fédérale qu’il y ait une enquête sur le rôle de l’ambassade dans cette affaire.
Jennifer Moore, associée de recherche au Global Economy Program de l’Institute for Policy Studies, explique les enjeux du processus :
Cette audience, qui aura lieu le 8 novembre devant la Cour d’appel fédérale, est la dernière instance que nous ayons au Canada pour exiger une enquête sur l’ambassade du Canada au Mexique. L’audience entendra nos avocats, le gouvernement canadien.
Ce qui est nouveau, et quelque chose qui, nous l’espérons, donnera plus de force à nos arguments, c’est que trois organisations pourront aussi présenter leur avis. Et il est bon de rappeler que, même si la décision de la Cour fédérale du Canada n’était pas celle que nous voulions, elle a quand même affirmé que si l’ambassade avait agi différemment, les choses auraient été différentes.
LA Cour d’appel fédérale va évaluer la décision prise par la Commission pour l’intégrité de l’administration publique du Canada de ne pas enquêter sur cette affaire. Dans ce cas, toute l’intégrité de la fonction publique est mise en question: d’une part, les documents officiels et les représentants du gouvernement déclarent à la presse, au Parlement, à la société qu’il y a une politique qui entraînent de la responsabilité face à tels conflits, alors que, d’autre part, ils font tout le contraire. Jusqu’à présent, la Cour et la Commission nous ont dit qu’elles ne sont pas obligées de prendre des mesures à cet égard, car il ne s’agit pas des politiques officielles. Cette position nous conduit à la question: Le gouvernement canadien a-t-il donc le droit de tromper tout le monde? Alors ces trois groupes présenteront leurs arguments juridiques pour que la Cour d’appel fédérale puisse mieux évaluer les faits, et nous espérons que cela nous aidera à obtenir une décision favorable.
Selon Gustavo Castro, de l’organisation Otros Mundos Chiapas, le processus peut générer des impacts importants et devrait être largement diffusé :
« Il me semble qu’il s’agit d’un processus sans précédent qui pourrait avoir de nombreuses répercussions. J’ai la foi que quelque chose va avancer, même si nous considérons que c’est un cas très difficile voire parfois impossible pour qu’il avance. Il me semble que le fait même de remettre à la justice le gouvernement canadien à travers les actions de son ambassade est paradigmatique. Il faudra le rendre visible, le garder dans les médias, et concevoir une bonne stratégie de diffusion ».
Libertad Díaz, du Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière, REMA, souligne l’importance de considérer tous les acteurs impliqués dans l’assassinat de Mariano Abarca :
« Je pense qu’il faut continuer à mettre en évidence les raisons pour lesquelles une telle enquête est d’intérêt public. Je pense qu’il figure comme l’un des arguments les plus forts. Ce cas est paradigmatique car il est très bien documenté, très bien argumenté. Et malgré toutes les évidences, il faut questionner pourquoi on continue à refuser de mener une telle enquête…, Quelles sont les raisons qui l’empêchent d’avancer malgré l’importance de cette affaire ? Je trouve qu’il est très important de souligner non seulement le pouvoir des entreprises, mais aussi le rôle de tous les autres acteurs qui jouent en leur faveur. Depuis déjà quelques années, on commençait à parler des processus de criminalisation et des risques pour les personnes défenseuses. Nous sommes rendus à une époque où il existe déjà de nombreux arguments qui montrent que ces enquêtes devraient être beaucoup plus compréhensibles et devraient avoir beaucoup moins de blocages. Et ce n’est pas toujours le cas. Je veux dire, il est important de continuer à souligner qu’il existe tout un appareil d’État autour des entreprises. Il faut insister qu’il s’agit d’un cas important, qui est d’intérêt public au Canada et aussi l’intérêt public au Mexique, reprenant également les autres cas de menace minière canadienne dans mon pays ».
Miguel Ángel Mijangos, également de REMA, donne contexte aux dommages causés au Mexique par les entreprises canadiennes avec la complicité de la diplomatie économique canadienne :
« Comme vous le savez, de toutes les mines d’or, d’argent du platine au Mexique, le capital canadien exploite 80%. Cela a une très grande influence sur l’extractivisme et évidemment, le problème que nous avons est si grand. C’est ainsi que le gouvernement canadien nous a appris à lutter, depuis notre force, mais contre les mensonges. Pour donner un peu plus de contexte à ce que nous voulons dire, au modèle de comportement de l’ambassade :
Douze ans après l’arrivée des entreprises canadiennes à l’État de Guerrero,d’abord Goldcorp et, plus tard, Torex Gold, on retrouve présentement 5 projets en opération, 4 canadiens et un autre mexicain. Dans cette région, dans les 10 dernières années, près de 16000 familles ont été déplacées à cause de la violence déchaînée par le pouvoir lié à la protection, il faut le dire franchement, à la protection offerte par des groupes armés aux sociétés minières canadiennes.
À travers des actes d’omission, des actes de négligence – car des plaintes ont été déposées – un processus de tolérance politique s’est instauré. L’ambassadeur approche constamment le gouverneur, les autorités provinciales et municipales pour parler de responsabilité sociale des entreprises, d’exploitation minière verte et durable, d’investissements et de programmes bénéfiques pour les communautés.
Pourtant, c’est le même gouvernement qui établit dans la même région des alertes afin que les touristes du Canada ne visitent pas le territoire de Guerrero en raison de l’incidence élevée de la violence. Pour nous, cela est une expression de racisme : que tous les investissements canadiens arrivent, qui détruisent la nature, qui génèrent des processus de conflit, que nous souffrons pleine de dommages à la santé et à l’environnement, qu’il y ait impunité totale et qu’ils se comportent de telle manière qui non seulement entraîne malheureusement des événements comme ce qui s’est passé avec notre compañero Mariano, mais qu’ils se répètent constamment.
Il est important de mentionner que dans ce gouvernement, nous avons la liste la plus élevée de l’histoire du Mexique des meurtres liés aux défenseurs du territoire – pas tous liés au Canada, mais il existe beaucoup de cas qui sont tout à fait liés à des entreprises canadiennes.
C’est alors très important de continuer avec tels processus de revendication sans oublier que nous ne luttons pas pour donner de la visibilité au cas – nous nous battons pour les tenir responsables parce que Mariano le mérite, parce que sa famille le mérite, et parce que toutes personnes qui se battent ce modèle le méritent, car nous savons que ce modèle ne génère pas de progrès ni de développement.
José Luis Abarca, fils de Mariano Abarca conclut au sujet de la procédure d’appel :
« Mon père ne reviendra pas, mais nous pensons que ce processus peut créer un précédent important pour la lutte d’autres communautés qui sont en danger car elles se battent pour protéger leur environnement et leur santé contre les énormes dommages miniers ».
Quelques temoignages qui figurent dans cette production audio ont été faites lors de l’événement Que dit le meurtre du militant Mariano Abarca au Chiapas, au Mexique, sur la responsabilité du gouvernement canadien ?, organisé par Miningwatch, REMA, Otros Mundos Chiapas, et d’autres organisations de la société civile canadienne.
L’enregistrement de l’événement peut être accédé à travers ces liens:
(Anglais) (Espagnol)