Por Juan Almendares
Source: Movimiento Mesoamericano contra el Modelo extractivo Minero-M4
«Nous n’avons pas de pouvoir, nous ne faisons pas partie du gouvernement, nous n’avons pas de multinationales, nous ne dominons pas la finance spéculative mondiale, nous n’avons rien de tout ça. Qu’est-ce que nous avons alors pour nous opposer? Rien de plus que la conscience.»
José Saramago
Très chère conscience humaine et planétaire : partenaire solidaire de l’amour, de la réalité et de la vie.
Se sont écoulés cinq cents ans de souffrance et d’exploitation coloniale, néo-coloniale, patriarcale, structurelle et historique qui précèdent notre existence du 21e siècle et expliquent l’essence de la réalité des phénomènes de la violence dont les causes se cachent, se mêlent, se déforment à travers la séparation de l’existence de l’être social avec les relations métaboliques et sociales de production comme réalité objective, c’est-à-dire indépendante de nous (l’ontologique) et la connaissance comme construction sociale critique, scientifique et politique des sujets (l’épistémologique).
Dans la dialectique historique, le mouvement et l’articulation de la structure économique et politique avec les agents actifs ou les sujets sont réalisés par les relations de travail (qu’elles soient d’exploitation, aliénation ou plus-value), et par les contradictions de classes, genre et racisme. De ces luttes surgissent les événements qui peuvent être de caractère fonctionnel ou pas pour le système, ou au contraire amener à impulser des réformes ou des transformations sociales.
L’assassinat de Berta Cáceres, dirigeante du COPINH (Conseil civique d’Organisations populaires et autochtones du Honduras), récipiendaire du prix international Goldman, défenseure des rivières, de la forêt et des territoires autochtones, est un acte criminel représentatif de la violence extrême du système capitaliste. Cet événement qui nous a frappé le 3 mars 2016 avait été précédé par l’assassinat du leader lenca Tomás García en juillet 2013, commis par un militaire hondurien aux portes principales du barrage hydroélectrique Aguas Zarca, un crime qui demeure jusqu’aujourd’hui impuni.
Quelle est l’histoire structurelle, économique et politique de cet événement mortel?
Le 28 juin 2009 marque le coup d’État militaire au Honduras, patronné par des multinationales minières et hydroélectriques, l’oligarchie locale et la géopolitique de l’occupation militaire. Le 24 août 2009, le gouvernement de facto approuvait la Loi générale des eaux et dérogeait tous les décrets sur les aires protégées. Entre 2010 et 2013, le projet hydroélectrique Aguas Zarca a été approuvé, prévoyant générer 21,3 Mw grâce à la concession de la rivière Gualcarque, sacrée pour la culture lenca, en générant une énergie non pas pour les peuples lencas, mais bien pour le commerce des oppresseurs.
Le projet mentionné est mené par la compagnie hondurienne Desarollos Energéticos S.A. De C.V. (DESA) avec un capital de 24.4 millions de dollars prêtés par la Banque centre-américaine d’intégration économique (BCIE). DESA sous-traite deux compagnies : SINOHYDRO de chine et Voith Hydro Holding GmbH & Co. KG de capital allemand destinée à la construction des turbines (https://ejatlas.org/conflict/proyecto-hidroelectrico-agua-zarca-honduras).
Les bureaux de l’Ombudsman pour la Société financière internationale de la Banque mondiale (BM) communique dans le Rapport d’évaluation de décembre 2013 que l’IFC/CAMIF a cessé de considérer activement le financement du projet.
Nonobstant les violations de la Convention 169 de l’OIT, dont le Honduras est signataire, et le retrait de la BM et de SINOHYDRO du projet Aguas Zarca à cause de conflits d’intérêt avec la communauté lenca, la compagnie DESA a continué à opérer à travers l’appui de banques hollandaises et finlandaises et le consentement de l’État hondurien.
Devant la protestation mondiale, douze jours après l’assassinat de Berta Cáceres, le 3 mars 2016, les deux banques, la FMO de Hollande avec 15 millions de dollars et le FINNFUND avec 5 millions de dollars d’investissement, ont décidé de suspendre temporairement (et non pas d’annuler) le projet Aguas Zarca.
Quelle est la réalité ontologique existante au Honduras?
Nous sommes un des pays les plus pauvres et exploités d’Amérique latine, avec le taux d’homicides sur 100 mille habitants le plus haut du monde et le taux d’impunité dépassant le 90%. Plus de 30% du territoire appartient à des concessions minières, hydroélectriques et à des mégaprojets touristiques, d’agro-combustibles, transgéniques et dédié à l’exploitation de la biodiversité de la forêt.
Le capital multinational articulé avec l’oligarchie locale a mis notre pays en vente, ce qui se reflète à travers la mise en place de zones spéciales de «développement» qui correspondent à des zones autonomes d’exploitation pour le capital multinational.
La sécurité des projets prédateurs est assurée par la militarisation de la société, les bases militaires américaines et un système de sécurité et d’intelligence qui fonctionne sous l’expertise des polices latino-américaines, européennes et américaines. Le système de justice se caractérise par le fait qu’il est punitif, accusatoire, persécutif et qu’il manque de crédibilité. Le scénario de traumatisme, de terreur et de torture que nous vivons au Honduras est mis à l’évidence quand se produit le massacre de douze jeunes trois jours suivant l’assassinat de Berta Cáceres, l’assassinat de Nelson García, membre du COPINH, le 15 mars 2016, et la persécution de leaders paysans, autochtones et garífunas.
Dans l’événement entourant la mort de Berta Cáceres, s’est aussi produit une tentative d’assassinat sur Gustavo Castro, défenseur des droits humains et de l’environnement, sociologue, chercheur et intellectuel mexicain de renommée mondiale dans l’étude des mines et des barrages. Il a inspiré le principe selon lequel «l’éducation est le chemin vers la liberté» et est allé au Honduras pour partager volontairement ses expériences et recherches au centre pédagogique lenca Utopía.
Le système de justice hondurien a commis ce qui se nomme «l’erreur épistémologique» en excluant de l’analyse du crime la réalité objective ontologique de violence structurelle et historique causée par le modèle d’extrativisme minier et hydroélectrique du capital mondialisé, en centrant l’enquête sur les victimes et sur Gustavo Castro en non sur les compagnies et les corps répressifs.
L’intellectuel mexicain, après avoir rempli toutes les exigences de lois nationales et internationales, a été empêché de quitter le pays et a dû rester à l’Ambassade du Mexique parce que la juge lui avait ordonné de manière illégitime et illégale la détention spéciale pour trente jours, l’empêchant ainsi de quitter le Honduras.
Paulo Freire disait : «Nous rêvons et travaillons pour créer le monde, parce que notre rêve est un rêve avec une réalité moins mauvaise, moins pervertie, dans lequel il est possible d’être personne plus que chose. Or, en même temps nous travaillons dans une structure de pouvoir qui exploite et domine et cela nous pose cette dualité qui nous fait mal.»
Devant la perversité de la mondialisation du capital, nous demandons justice pour les peuples autochtones, garífunas, pour les familles paysannes et les habitats, nous demandons liberté pour Gustavo Castro et respect à la vie, à la souveraineté et à la dignité historique de nos peuples.
Tegucigalpa, 23 mars 2016