Image: Carlos Choc travaillant à Izabal, Guatemala
Une collaboration d’une vingtaine de médias, dont EL PAÍS, révèle les manœuvres de Solway, le géant russo-suisse du nickel qui extrait des milliers de tonnes de minerai de la réserve de biosphère d’Izabal au Guatemala pour les transformer en Ukraine.
Le 22 de chaque mois, Carlos Choc se rend au tribunal d’El Estor, à quelques kilomètres de Puerto Barrios, sur la côte caraïbe du Guatemala, pour s’inscrire. Peu importe où il se trouve, si son fils est malade, s’il a un emploi ou si sa vie est en danger, chaque fois il se rend au bureau du ministère public. Tous les 22 du mois, il doit se présenter devant un fonctionnaire pour ratifier les mesures provisoires prises à son encontre. Choc est un journaliste autochtone de sa municipalité, El Estor, qui compte près de 75 000 habitants. Il couvre normalement les accidents de la route, les crues des rivières, le manque d’eau ou les inaugurations du maire de la région maya Q’eqchi’ Q’chi, composée de dizaines de communautés parsemées à travers le vert imposant des montagnes du Guatemala. Il visite les communautés, magnétophone et carnet de notes en main, posant des questions sur l’augmentation des cas de dengue ou les retards dans la construction du quai, qu’il envoie depuis son vieil ordinateur à son journal Prensa Comunitaria. On peut dire que Choc, qui vient d’avoir 39 ans, est le journaliste de son peuple. Ou du moins, il l’était jusqu’à ce que la mine de nickel appartenant au géant russe Solway, basé en Suisse, vienne dominer l’actualité. L’énorme cratère, l’une des plus grandes mines à ciel ouvert d’Amérique centrale, a transformé son village en un point d’arrêt pour des dizaines de camions qui partent chaque jour chargés de terre rouge à destination de l’Ukraine. Depuis, il recueille des histoires sur les éruptions cutanées, une tache étrange apparue dans le lac, les lamentations d’un ouvrier licencié ou les conséquences de l’état de siège décrété par son président.
Une fuite de huit millions de documents reçus par Forbidden Stories, dont des conversations internes, des ordres de gestion, des stratégies répressives, des états financiers et des courriels, révèle la soumission de l’État guatémaltèque à la compagnie minière, la dissimulation des dommages environnementaux et les bons résultats financiers obtenus au moment où la mine aurait dû cesser ses activités en raison d’une décision de la justice exigeant une consultation préalable. L’enquête, à laquelle ont collaboré des journalistes de Le Monde, The Guardian et de The Intercept, fait partie de la série « Green Blood », qui traite du travail de journalistes qui ont été menacé.e.s, emprisonné.e.s ou tué.e.s alors qu’ils et elles enquêtaient sur des questions environnementales. Deux ans plus tard, l’enquête se poursuit avec la publication de « Mining Secrets ».
Le 27 mai 2017, Carlos Choc a eu le malheur d’être le seul journaliste à prendre une photo qui a changé sa vie. C’était le corps de Carlos Maaz, étendu sur l’asphalte. Maaz faisait partie d’un groupe de pêcheurs qui protestaient contre la mine de ferronickel qui perce des trous sur les terres de leur village et qui aurait déversé une étrange tache rouge qui a brutalement réduit les prises de poissons du lac. Au cours de la répression, la police a nié que quelqu’un ait été tué, mais Choc a prouvé le contraire, et la mine et les autorités l’ont accusé d’incitation à commettre un crime.
Le poids de l’État s’est abattu sur lui. Un mandat d’arrêt a d’abord été émis contre lui, puis une procédure judiciaire a été ouverte à son encontre. Dans son village, El Estor, il ne s’en sort pas mieux non plus. Il a été menacé, sa maison a été cambriolée, son chien a été tué et le procès en cours menace de l’éloigner de ses enfants. La seule chose que Carlos Choc n’a pas cessé de faire est d’écrire sur son vieil ordinateur, bien qu’il se rende de moins en moins dans son village à cause des menaces.
Carlos Choc est victime d’une chaîne de corruption dont il fait les frais et dont une société minière russe est le protagoniste. Une vaste pluie de millions s’abat de haut en bas sur toutes les branches du gouvernement au Guatemala. L’enquête menée par Forbidden Stories (FS) et ses partenaires révèle les pratiques de la mine Fénix, propriété de Solway Investment Group, une multinationale russe basée en Suisse et opérant au Guatemala sous les acronymes Compañía Guatemalteca de Níquel (CGN) et Pronico. Située dans une réserve de biosphère, Fénix est l’une des plus grandes mines à ciel ouvert d’Amérique centrale, avec un accès au lac Izabal et un port atlantique à quelques kilomètres. La multinationale du nickel emploie directement quelque 2000 personnes et indirectement 2000 autres, mais elle est en confrontation avec une partie de la population qui dénonce la pollution du lac, les atteintes à la santé, la corruption et le climat de terreur qui s’est installé parmi les opposant.e.s à la mine : pêcheurs, journalistes, politiciens de l’opposition et même le curé du village. Les manœuvres comprennent la manipulation d’une injonction de la Cour constitutionnelle, l’achat de dirigeants et de policiers mayas, des cadeaux aux juges et des soupçons entourant plusieurs ministres et le président lui-même, Alejandro Giammattei, qui a persécuté les juges et les procureurs qui ont tenté d’enquêter sur ses liens avec les compagnies minières russes, les forçant à s’exiler les uns après les autres.
Des milliers de courriels et de documents stockés sur un disque dur de deux téraoctets révèlent des plans visant à déplacer des villages de la zone d’influence de la mine, des tableaux classant les voisin.e.s comme ami.e.s ou ennemi.e.s de la mine, la menace de répandre des rumeurs d’épidémie de sida et, bien sûr, l’espionnage de pêcheurs et de journalistes populaires tels que Carlos Choc.
Pour avoir une idée du ton employé, dans l’un des courriels, la direction de la mine demandait en octobre dernier au président Giammattei de mettre fin aux protestations à El Estor, qui empêchaient le passage de leurs camions : « Nous demandons l’intervention immédiate des autorités pour participer activement à la stabilisation de la situation ». À l’époque, selon le médiateur des droits humains, Jordán Rodas, la mine fonctionnait « illégalement » car un ordre de la Cour constitutionnelle, émis deux ans plus tôt, l’obligeait à organiser une consultation publique avec la population. Deux semaines plus tard, le gouvernement guatémaltèque a déclaré l’état de siège à Izabal et a décidé d’envoyer 500 soldats à El Estor et un nombre similaire de policiers et de forces anti-émeutes.
Dans d’autres cas, le ton est au paternalisme, comme lorsque la mine a distribué des masques (« pour nous garder sur le radar ») ou utilise les pêcheurs de la communauté, qui aujourd’hui pêchent moins que jamais, pour promouvoir sur les médias sociaux la qualité de vie dont ils bénéficient depuis que le géant du nickel a débarqué dans leur village. Dans d’autres cas, la mine n’hésite pas à recourir à des stratégies mafieuses pour diviser les communautés mayas, comme lorsque Victor Castellanos a demandé dans un courriel envoyé le 6 octobre 2014 à Crisanto Reyes, coordinateur des projets communautaires, » de penser à des actions pour enlever la force des communautés usurpatrices (…) une stratégie d’espionnage pour obtenir des informations. S’il suffit de payer pour obtenir ces informations, de demander une autorisation, nous le ferons », déclare-t-il dans le courriel.
La police guatémaltèque au service de la compagnie minière
En juin 2019, EL PAÍS a rendu visite à Carlos Choc, a fait le tour d’El Estor et a interrogé des dizaines de voisin.e.s, de pêcheurs et pêcheuses, de représentant.e.s du conseil municipal, de travailleurs et travailleuses de la mine, le directeur général de CGN, Dimitri Kudriakov, et même le prêtre du village. Parmi d’autres anecdotes, l’un des courriels trouvés confirme que EL PAÍS et d’autres collègues européens qui passaient par El Estor étaient espionnés à l’aide de drones et de photographies pendant leur couverture.
La population a protesté, par exemple, contre les 150 camions qui traversent leur village matin, midi et soir, chargés de montagnes de minerai sans payer la moindre taxe, contre la tache rouge suspecte apparue sur le lac, contre les étranges maladies de peau ou contre la brutalité policière appliquée pour disperser les pêcheurs lors de la dernière manifestation qui s’est terminée par la mort d’un pêcheur, abattu par un policier en 2017. Grâce aux courriels examinés par cette équipe, on sait maintenant que l’essence, les voitures de patrouille et même les repas des agents de la Police Nationale Civile (PNC), envoyés par le gouvernement pour pacifier la protestation, ont été payés par la mine. Entre 2014 et 2017, CGN-Pronico a fourni à la police nationale d’El Estor et de Río Dulce 35 gallons d’essence par mois, en plus de fonds supplémentaires pour la nourriture du personnel policier, le loyer des locaux et d’autres dépenses telles que les réparations de véhicules et les pneus. Au total, la police a reçu 1 443 940,36 quetzals (environ 193 000 dollars) de la société russe. Les comptes révisés de la société minière ont révélé que les paiements à la police ont augmenté chaque fois que les pêcheurs ont organisé et protesté contre l’expulsion des communautés installées sur des terres que CGN-Pronico revendiquait comme les siennes. Selon deux avocats guatémaltèques consultés, recevoir de l’argent d’une entité privée n’est pas illégal, pour autant que l’argent passe par le trésor national et suive une lourde procédure administrative.
Imposer sa volonté ne s’est pas limité aux rues. En février 2018, l’entreprise a lancé une offensive pour expulser la population Q’eqchi’ établie dans une communauté connue sous le nom de Setal, à proximité de la mine. Pour garantir le succès de l’expulsion, selon les courriels qui ont fait l’objet d’une fuite, la mine a budgétisé un paiement extraordinaire de « soutien » à la police d’El Estor et de la municipalité voisine de Río Dulce. Selon leurs calculs, un investissement de 650 856 quetzales (environ 90 000 dollars) serait nécessaire pendant les huit jours de l’opération policière, selon le document résumant la réunion entre la mine et le chef de la police d’El Estor.
Le plan de dépenses prévoyait de payer la nourriture et le logement de 2000 policiers et la mobilisation de 300 patrouilles « provenant de différentes parties du pays », selon un tableau établi par la direction de la sécurité en février 2018 et envoyé aux directeurs généraux de la mine. Les dépenses laissaient entrevoir différents scénarios au cas où l’expulsion serait violente et où il y aurait des « blessé.e.s, retenu.e.s, enlevé.e.s ou tué.e.s ». À la question « avez-vous fait des dons à la police (PNC) pendant les expulsions à Izabal et Panzós ? », la compagnie minière a répondu « Non », dans un courriel envoyé par Forbidden Stories.
Une mine en confrontation avec les Mayas
En 1970, les terres rougeâtres entourant le plus grand lac du Guatemala, Izabal, situé à l’est du pays au milieu de la luxuriance la plus spectaculaire, ont attiré l’attention des entreprises étrangères en raison de la quantité de nickel qu’elles contenaient. Jusqu’à cette époque, la région ne comptait que quelques petites communautés d’origine maya qui vivaient de la pêche. Le gouvernement du dictateur Carlos Arana Osorio, surnommé le « chacal de l’Est » pour sa brutalité, a accordé une concession pour son exploitation à une société canadienne. Après plusieurs décennies entre les mains des Canadiens, au cours desquelles la mine a produit de moins en moins, elle a finalement cessé ses activités dans les années 1990. En 2011, la mine est passée aux mains des Russes et des Suisses lorsque Solway a démarré la mine Fénix pour extraire autant de nickel que possible, la demande augmentant en raison du boom de l’utilisation dans les batteries et les véhicules électriques. De Puerto Barrios, sur la côte caraïbe du Guatemala, il était acheminé par bateau jusqu’en Ukraine où, jusqu’au début de l’invasion russe, il était traité.
Selon Solway, la mine crée 2000 emplois et « contribue au développement social et des infrastructures », peut-on lire sur son site web. C’est l’un des 64 miness du Guatemala et elle contribue à hauteur de 0,7 % au PIB, selon l’Institut d’études fiscales d’Amérique centrale (ICEFI).
Ces dernières années, la mine a été au centre d’une controverse en raison de la dégradation de l’environnement et des protestations de la population. En 2019, la Cour constitutionnelle a contraint le ministère des Mines à interrompre les opérations jusqu’à ce qu’une consultation publique soit organisée pour demander aux dirigeants mayas s’ils souhaitent ou non que la mine continue. En fin de compte, la consultation a été gagnée par la mine.
Toutefois, des documents ayant fait l’objet d’une fuite ont révélé que la fermeture et la consultation n’étaient qu’un simulacre. Les données comptables révisées montrent que pendant les années de sa fermeture, la mine a continué à fonctionner, a retiré plus de terres et a enregistré des bénéfices records pendant cette période. Selon la réponse de la mine à cette enquête, « depuis la suspension du permis, le ministère de l’Énergie et des Mines a effectué plusieurs inspections pour s’assurer qu’aucune activité extractive n’est réalisée en violation de la décision judiciaire, y compris un examen de l’état des entrepôts contenant le minerai extrait du permis Fénix avant la suspension ». Concernant l’augmentation de la surface détectée par satellite, l’entreprise a répondu que « la végétation a été enlevée afin de réaliser des études hydrogéologiques et des systèmes de canalisation des eaux de pluie pour contrôler l’érosion du sol. Ces deux activités sont des mécanismes requis selon le plan de gestion de l’environnement (…) la suspension du permis d’exploitation minière ne limite pas la poursuite des activités d’engagement environnemental du projet », a-t-elle déclaré.
Dans le même temps, les documents consultés font état d’efforts pour manipuler la consultation depuis les bureaux et un autre détaille la nécessité “d’acheter des leaders » dans trois quartiers d’El Estor avec des dons pour les « acteurs et parties prenantes clés » liés à la question. Ils présentent une feuille de route pour diriger et prendre le contrôle du vote. L’un des dossiers comprend des documents sur les acteurs impliqués dans la consultation, les concepts, les discussions dans les communautés, les « questions toxiques » que les opposants à la mine pourraient poser et les arguments desquels ils pourraient se dégager. Il comprend également une cartographie des 46 communautés qui ont décidé de participer à la consultation, avec des positions en faveur de l’entreprise (29), contre l’entreprise (5) et neutre (12). En réponse à la question que Solway a posée aux membres de la communauté qui ont participé au processus de consultation, la compagnie minière a simplement répondu que « ces informations ne correspondent pas à la réalité ».
Dans au moins un cas, les journalistes ont confirmé comment une dirigeante, Guadalupe Xol Quinich, a été expulsée du Conseil autochtone, qui a rencontré la mine après avoir refusé un paiement de CGN-Pronico. Xol Quinich, cheffe ancestrale et membre du conseil autochtone d’El Estor, a refusé de signer un accord à l’amiable pour confirmer que l’entreprise avait consulté les communautés locales de manière adéquate. Le prix de sa signature était de 3000 quetzales (400 dollars), a-t-elle déclaré dans une interview à EL PAÍS. Lorsqu’elle a refusé de signer, elle a été exclue de tout organe directeur. « Nous sommes très divisé.e.s entre frères et sœurs dans la communauté », dit-elle, assise sur un banc dans sa maison, dans une cour bordée de bananiers et de bougainvilliers.
La division des communautés comme stratégie
Les documents consultés confirment la stratégie de la compagnie minière visant à acheter, coopter ou diviser la communauté. Les documents examinés montrent que Solway a fait un don de 34 000 dollars pour l’achat de dix pièces d’équipement de pêche afin de garder comme alliés les dirigeants et les membres de l’Association des pêcheurs de Bocas del Polochic, indique le document de CGN-Pronico intitulé « participation communautaire » de 2019. L’argent a conduit certains pêcheurs à participer à des vidéos promotionnelles sur les médias sociaux pour remercier la mine de l’aide reçue pour améliorer la pêche.
En d’autres occasions, la stratégie a été moins amicale, comme dans le cas de Las Nubes, une communauté qui a refusé d’être relocalisée en invoquant des liens ancestraux avec la terre. La réponse de la mine en février 2020 a été de lancer un « plan de travail » visant à réaliser la réinstallation avec une stratégie qui proposait de licencier les travailleurs qui refusaient de céder leurs terres ou de contaminer les cultures de cardamome avec des produits chimiques. Dans un autre document datant du même mois, les idées pour déplacer les habitants de Las Nubes étaient encore plus radicales et comprenaient la diffusion de rumeurs d’épidémie de sida parmi les chefs de la communauté, l’allumage d’incendies, la destruction des cultures de cardamome avec des produits chimiques ou la diffusion de rumeurs selon lesquelles un médiateur aurait reçu sa maison comme pot-de-vin. Les auteurs du rapport soulignent les « pour » et les « contre » de chaque stratégie. Dans la section sur les aspects positifs de l’incendie des cultures, ils soulignent « la destruction de leurs modes de subsistance ». Les inconvénients incluent le risque d’engager des criminels et d’être pris pour cela. La stratégie prédominante se résume en une phrase souvent répétée : « payer un pot-de-vin ». A la question « les représentants de la société avaient-ils l’intention de répandre des rumeurs selon lesquelles les dirigeants de la communauté seraient atteints du VIH/SIDA ? Ces plans ont-ils été mis en œuvre ? », la société minière a répondu que « ces informations ne correspondent pas à la réalité ».
Le tapis magique
En juin 2020, le président Giammattei, au pouvoir depuis deux ans, reçoit une lettre du directeur général de CGN-Pronico, Sergey Nosachev, demandant un « soutien pour garantir la gratuité de la locomotion dans la municipalité d’El Estor ». Un mois plus tard, Giammattei répond avec force à cette demande en déclarant l’état de siège dans le département d’Izabal. Le président guatémaltèque a ensuite mobilisé des centaines de militaires à El Estor pour mettre fin à des « actes de violence » contre la police « instigués par des groupes criminels dont l’objectif est de déstabiliser les autorités départementales et municipales », indique le décret officiel. Ces jours-là, la police, les services de renseignement et les membres du ministère public ont perquisitionné les domiciles des dirigeants Q’eqchi’ qui ont mené la manifestation pacifique et des journalistes communautaires qui ont couvert ces événements, et que la mine avait inscrits depuis des années sur ses listes “d’opposants » au projet.
D’où vient toute cette diligence? Les soupçons de liens entre le président Giammattei et les hommes d’affaires russes du secteur métallurgique ont commencé avec une plainte du procureur anti-corruption, Juan Francisco Sandoval, publiée dans le New York Times. Le 23 juin, son bureau (FECI) a ouvert une enquête après qu’un témoin se soit plaint qu’un groupe de ressortissants russes et kazakhs liés à l’entreprise Mayaníquel avait livré à Giammattei un tapis rempli de billets de banque pour sa campagne, que la presse a surnommé le « tapis magique ». Selon le témoin, une délégation de trois hommes d’affaires russes et d’un Kazakh associés à Mayaníquel est arrivée au Guatemala le 26 avril 2021 dans un avion privé en provenance de Bruxelles. Trois jours plus tard, selon le témoin qui s’est adressé aux procureurs, les étrangers ont rendu visite à Giammattei, à qui ils ont remis « un tapis qui était emballé dans un papier cadeau avec un ruban rouge qui l’attachait ». Lorsque j’ai chargé le paquet avec une autre personne, j’ai pu déterminer qu’il contenait de l’argent liquide emballé dans des paquets », a-t-il avoué. Un mois après cette prétendue livraison, le 28 mai 2021, Mayaníquel a obtenu une nouvelle licence pour exploiter le nickel et d’autres métaux dans le sud d’Izabal. La société avait demandé la licence 11 ans plus tôt, mais le permis n’est arrivé qu’après la visite de la délégation russe. « C’est ce dossier », dit Sandoval depuis une maison à Washington, où il a dû s’exiler, qui a incité sa patronne, la procureure générale Consuelo Porras, à le démettre de ses fonctions un mois plus tard. Un tapis, l’exil massif de juges et de procureurs et les imposantes cheminées de Solway dans la réserve de biosphère sont autant d’éléments d’un scandale comprenant de nombreux dénominateurs communs, que l’on appelle au Guatemala le complot russe.
L’impitoyable juge Arteaga
L’habileté de l’argent minier est qu’il a réussi à imprégner tous les niveaux sociaux et politiques. Des policiers, des chefs mayas et des ministres ont tous bénéficié des millions russes. Même le juge qui reçoit toutes les affaires judiciaires à El Estor, l’implacable Edgar Aníbal Arteaga López, du Tribunal de première instance pénal, trafic de drogue et délits contre l’environnement d’Izabal, n’est pas resté en marge de la cascade. Le nom d’Arteaga est apparu pour la première fois dans les journaux du pays lorsque deux trafiquants de drogue mexicains ont été arrêtés il y a quelques années avec un avion léger récemment écrasé contenant un million de dollars. Le juge a estimé qu’il n’y avait pas de risque de fuite s’il les laissait poursuivre leur processus judiciaire en liberté et, bien sûr, on n’a plus jamais entendu parler d’eux, ni d’une partie importante du million de dollars.
Dans une petite salle d’audience où la climatisation est à fond, Arteaga fait claquer ses bagues sur la table en ordonnant le silence et en menaçant de quitter la salle. En mai 2019, lors de l’audience préliminaire contre plusieurs pêcheurs et pêcheuses, le juge s’est montré implacable avec les personnes autochtones qu’il accuse de crimes tels que tentative de meurtre, enlèvement ou instigation à commettre un crime, le même crime qu’il attribue au journaliste Carlos Choc qui couvrait la manifestation. Au cours de l’audience, le juge a refusé une interview avec EL PAÍS sur sa persécution de tous ceux et celles qui ont été montré.e.s du doigt par la mine. Plus de deux ans plus tard, parmi les documents examinés, on a trouvé un courriel dont l’objet était « URGENT », dans lequel les responsables de CGN-Pronico répartissaient les cadeaux de Noël entre les personnes clés, dont l’un était destiné à Arteaga. Dans la réponse reçue, la mine a justifié les cadeaux en disant que « c’est une pratique courante au Guatemala d’envoyer des paniers de Noël aux amis avec lesquels on a eu des contacts au cours de l’année qui s’achève », mais a nié en avoir donné au juge : « les paniers de Noël ne sont donnés aux gens que lorsque la loi ne l’interdit pas. Par exemple, les paniers de Noël ne sont pas offerts aux juges ».
Lors de sa dernière interview avec EL PAÍS, Choc quitte la conversation à mi-chemin parce qu’il doit se dépêcher de prendre le bus. Il a encore 12 heures pour se rendre à Puerto Barrios où il doit signer demain. Demain, comme chaque 22, la justice lui rappelle qu’il est le seul responsable de tout ce qui a été mentionné précédemment.
Texte original: Jacobo García, El País
Photo: Prensa Comunitaria