HomeCommuniquéAux femmes et aux personnes qui s’identifient comme femmes qui luttent contre le patriarcat, le capitalisme et pour la vie, au Mexique et dans le monde

Aux femmes et aux personnes qui s’identifient comme femmes qui luttent contre le patriarcat, le capitalisme et pour la vie, au Mexique et dans le monde

Le samedi 26 février 2022, nous nous sommes réunies à Juchitán, Oaxaca, des femmes et des personnes qui s’identifient comme femmes de différentes géographies et origines pour partager nos expériences de vie et de lutte, du personnel au collectif, du petit au grand, du corps au territoire. Après une longue journée de travail et de dialogue, nous avons réfléchi à ce que nous considérons important de diffuser et de partager :

Dès le plus jeune âge, on nous impose la division des rôles genrés (la répartition des tâches entre filles et garçons), ce qui génère de la violence lorsqu’on rejette les tâches de soins et le travail domestique, considérés comme réservés aux femmes. De plus, le mariage et la maternité nous sont inculqués comme étant le seul mode de vie. Tout cela est reproduit dans nos organisations et nos luttes, ce qui limite notre participation aux processus organisationnels. 

Dans nos maisons et nos communautés, en tant que femmes et personnes s’identifiant comme femmes, nous subissons des discriminations en raison de la façon dont nous nous habillons et de la façon dont nous exprimons nos identités et nos préférences sexuelles. On nous qualifie de « rebelles » parce que nous sommes des femmes divorcées, parce que nous sommes organisées, parce que nous avons décidé de donner la priorité à d’autres activités qui ne sont pas liées aux tâches ménagères ou à la prise en charge de nos familles. Nous ne sommes pas autorisées à nous reposer, à apporter des idées, à promouvoir et à diriger des processus ou des projets qui découlent de nos propres intérêts, encore moins s’ils vont au-delà de ce qui est accepté.

La violence économique est une autre des formes de violence que nous subissons; elle se manifeste chez les mères célibataires, chez les femmes mariées dont les maris sont jaloux car elles sont dans une meilleure situation financière qu’eux, chez celles qui optent pour des modèles de vie autogérés et, en général, elle s’exprime dans tous les domaines où les femmes et les personnes s’identifiant comme femmes décident de rompre avec ce qui est socialement accepté/construit. Cette violence comprend également la dépendance économique des femmes à l’égard de leur mari/partenaire/famille, ainsi que la rareté de l’offre de travail pour les femmes et celles qui s’identifient comme femmes.

Dans les espaces communautaires, nous survivons dans des contextes de grande violence, qu’il s’agisse de la violence de l’État, du crime organisé, de l’extractivisme des entreprises, de la dépossession de nos territoires ou de la violence mortelle comme les fémicides, les transféminicides et toutes les formes de violence contre nos corps. Dans les périphéries, les femmes survivent à la dépossession de nos eaux, territoires et biens communs qui sont extraits pour les grandes villes. L’extractivisme a également un impact sur l’augmentation des maladies, telles que le cancer, dû à la pollution. Cette situation est aggravée par le manque d’accès aux soins de santé dans nos communautés.

Dans les villes, nous subissons une exclusion et une persécution systématiques lorsque nous optons pour des modes de vie qui ne s’adaptent pas au système capitaliste et patriarcal : lorsque nous décidons de générer des ressources économiques de manière informelle, nous sommes expulsées des espaces publics; lorsque nous construisons d’autres modes de relation avec notre environnement et/ou d’autres personnes, nous sommes montrées du doigt et discriminées. La pandémie de Covid-19 a réduit nos possibilités d’emploi et, en plus, nous n’étions pas autorisées à sortir et à vendre.

Nous, les femmes et personnes s’identifiant comme femmes, survivons également dans des territoires qui sont sous le contrôle des trafiquants de drogue. Cela pousse non seulement les jeunes à consommer des substances extrêmement nocives pour leur santé, mais nous empêche également de construire des projets politiques au niveau du peuple, où nous pourrions nous organiser pour dénoncer ou construire d’autres modes de vie, en raison des menaces de mort et des attentats contre notre vie et notre intégrité physique. L’aspect le plus complexe de cette situation est peut-être qu’il n’y a plus de différence entre l’État, le crime organisé et la structure militaire/policière.

Dans l’isthme de Tehuantepec, à Oaxaca, nous survivons aux parcs éoliens, qui sont arrivés en 1994 et aucune des communautés, et encore moins les femmes, n’ont été consultées à ce sujet. Cela a directement affecté notre flore, notre faune et nos possibilités de travailler la terre. Ils ont augmenté la pollution et ont donc directement affecté notre santé. En outre, avec ces parcs sont venus de nombreux hommes, ouvriers et employés d’entreprises, mettant nos corps en danger et transformant les filles et les femmes de notre région en objets de consommation. Nous avons peu d’options pour nous reproduire et défendre la vie, c’est pourquoi nous sommes organisées.

L’isthme est un point stratégique et un générateur d’énergie pour les entreprises privées et transnationales, tandis que dans nos communautés, nous subissons l’imposition de tarifs d’électricité élevés, malgré le fait que nos maisons et notre mode de vie soient très austères en matière de consommation d’énergie. Non seulement nous supportons l’impact sur nos territoires, mais il semble que ces entreprises veulent aussi nous faire payer pour nous déposséder de nos territoires, de l’eau et du vent.

Au Mexique et en général dans les périphéries des grandes villes, les habitant.e.s sont privé.e.s de leurs biens communs (eau, énergie) pour alimenter les centres. L’alimentation des zones plus privilégiées se fait donc au détriment des autres, avec de terribles conséquences générées par les grandes industries, qui avaient fait des promesses de développement qui ne se sont jamais reflétées dans nos vies et dans notre économie. Les effets vont de la dépossession de nos territoires, de nos communautés et du manque d’alternatives pour exister, à l’augmentation des maladies en raison d’une forte pollution, et à l’impossibilité de choisir des moyens plus agréables pour survivre. De plus, en tant que femmes, nos vies sont constamment en danger dans la rue, à l’école ou au travail, et beaucoup d’entre nous ne se sentent pas en sécurité dans leur maison. Nous vivons à tout moment sous le joug de la violence féminicide et patriarcale.

À Morelos, nous sommes en résistance contre les centrales thermoélectriques, les gazoducs, les extensions d’autoroutes, les complexes miniers et touristiques. Le tourisme est aussi une forme de dépossession, qui nous prend des territoires et nous met au service de touristes qui viennent polluer nos terres.

Dans l’État du Jalisco, nous survivons à la dépossession par l’industrie et l’une de nos rivières a été reconnue comme l’une des plus polluées d’Amérique latine et même du monde, selon les Nations Unies. Il y a quarante ans, la municipalité a été déclarée à vocation industrielle et, à mesure que la ville de Guadalajara s’est développée, la pollution a augmenté car la rivière sert d’exutoire à ses égouts. Il existe des incinérateurs biologiques infectieux. Elle est considérée comme une ville industrielle car elle produit beaucoup d’argent, mais elle génère plus de dégâts à long terme à cause de la pollution. Il y a deux ans, ils voulaient installer une centrale thermoélectrique et lorsque nous nous y sommes opposées, le président a dit : « Pourquoi vous plaignez-vous d’avoir une personne malade des reins chez vous si cela vous permet de travailler?” Dans chaque maison, il y a des personnes atteintes aux reins, des personnes atteintes du cancer, toute l’industrie produit des maladies multiples. Nous sommes confrontées à un monstre qui a imposé la maladie et la mort et qui a dilué notre identité et notre force en tant que communauté. Les entreprises, main dans la main avec le gouvernement et le crime organisé, ont favorisé tout cet enfer environnemental. Ce n’est pas un hasard si Juanacatlán compte le plus grand nombre de féminicides, de disparitions et de tombes. Les gens vivent donc dans la peur et il leur est très difficile de s’organiser.

Dans l’isthme, nous avons maintenant aussi la menace du corridor interocéanique. Cela va tout affecter : ils vont couper des parties de la forêt pour élargir les routes, ils vont polluer l’eau et avec cela, il y aura plus de maladies. Tout cela vient du Chiapas et s’étend à toute la région, à tout l’État, ainsi qu’à l’État de Veracruz et à la région de Oaxaca, où l’on ouvre de plus grandes routes pour relier tous les mégaprojets. L’interocéanique est une porte d’entrée pour les grands capitaux et un mur de retenue pour les personnes migrantes qui tentent d’atteindre les États-Unis. C’est pourquoi il est essentiel de partager nos expériences, afin que nos sœurs qui résistent dans l’isthme aient une référence historique des corridors industriels et des effets négatifs sur les communautés, la nature et les femmes. Les mégaprojets s’accompagnent de processus de violence.

Dans ce contexte de dépossession et de mort, nous avons décidé et convenu de ce qui suit :

– Nous construirons des réseaux de contre-information pour partager des expériences sur les différents processus qui ont eu lieu dans nos communautés, nos territoires et en nous : les femmes et les personnes s’identifiant comme femmes. Pour ce faire, nous allons créer des processus de formation et rechercher des informations sur les entreprises qui veulent s’implanter sur nos territoires afin de construire des arguments qui ne pourront être réfutés.

– Nous avons besoin de plus de rencontres pour partager des informations et des expériences. Il faut penser à une rencontre nationale des femmes contre la dépossession territoriale et en répudiation de la violence qui accompagne les mégaprojets de mort et de développement. Nous devrions parler de ce qui nous blesse avec d’autres femmes, ne pas nous juger entre femmes et personnes qui s’identifient comme femmes, et générer des réseaux de soins entre nous.

– Nous continuerons à nous mobiliser contre le gouvernement et les entreprises extractivistes.

– Il est essentiel de générer des espaces socio-éducatifs, récréatifs, d’enseignement et d’apprentissage mutuel qui servent d’espace de partage d’informations et permettent d’engendrer des processus organisationnels.

– Nous appelons toutes les organisations de femmes, de personnes s’identifiant comme femmes, de femmes indigènes, rurales, urbaines et de celles qui vivent tous les types d’oppression à continuer à créer des alliances de savoir, de sagesse et d’action.

Depuis Juchitán, Oaxaca:

CONTRE LE PATRIARCAT ET LE CAPITALISME !

NOTRE LUTTE EST POUR LA VIE !

NI NOS CORPS NI NOS TERRITOIRES NE SONT DES MARCHANDISES !

NOUS SOMMES GARDIENNES, DÉFENSEURES, GUERRIÈRES, NOUS SOMMES TERRE ET TERRITOIRE !

VOICI LA RÉSISTANCE TRANS ET DE TOUTE IDENTITÉ QUI N’ADHÈRE PAS À LA NORME ÉTABLIE !

CHASSEZ LES PROJETS EXTRACTIVISTES ET NÉOLIBÉRAUX DE NOS TERRITOIRES !

L’ISTHME EST À NOUS !

NON À L’INTEROCÉANIQUE!

Texte original et photo par Asamblea de Pueblos Indígenas del Istmo Oaxaqueño en Defensa de la Tierra y del Territorio