Ceci est un article rédigé par le Projet Accompagnement Solidarité Colombie -PASC- suite à une visite dans le département colombien du Huila où se déroule actuellement une grande mobilisation contre le projet de barrage hydroélectrique de l’entreprise Emgesa (capital mixte espagnol et colombien, filiale de la transnationale italienne Endesa).
Aussi, on partage un reportage audio PASChttp://www.radio4all.net/index.php/program/57019
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Barrer la route au barrage ! La résistance au projet hydroélectrique du Quimbo
12 janvier 2012
“Ce n’est pas la guérilla qui nous a déplacé, ce ne sont pas les paramilitaires non plus, c’est le gouvernement qui nous déplace”, s’insurge Efrenes, l’un des 10 000 habitant-es du Huila affecté-es par la construction du barrage hydroélectrique « El Quimbo ». Deuxième pays au niveau mondial en termes de déplacement interne de la population, la Colombie compte près de 6 millions de réfugié-es internes. Les déplacements forcés y sont généralement associés au conflit armé qui, depuis plus de 50 ans, oppose les guérillas aux forces militaires de l’État et à sa structure paramilitaire. Pourtant, ce département situé au centre sud du pays est reconnu comme l’une des régions les plus pacifiques, le conflit armé y étant peu présent. Comment expliquer alors que plus de 500 familles soient spoliées de leurs terres et que 1500 travailleurs perdent leur gagne-pain – et soient donc également acculés au déplacement- sans indemnisation ni attention de la part des instances gouvernementales ?
Dans son communiqué du 3 janvier 2012, l’Association des affectés par le projet hydroélectrique El Quimbo – Asoquimbo – répond de la sorte: “En expédiant et en modifiant de manière arbitraire la licence environnementale du projet hydroélectrique El Quimbo, selon les exigences de Emgesa, le Ministère de l’environnement est le principal responsable du désastre économique, social, environnemental et culturel causé aux communautés directement affectées et à l’ensemble de la région.» (Note 1). Le barrage que bâtit la multinationale colombo-espagnole Emgesa (filiale de la firme Endesa qui appartient à la compagnie italienne ENEL) se situe sur le plus important cours d’eau du pays, le fleuve Magdalena autour duquel est établie environ 66 % de la population nationale. Ce barrage qui atteindra une hauteur de 151 mètres et produira une énergie destinée à l’exportation, est actuellement en construction malgré l’absence d’étude indépendante portant sur ses conséquences sociales et environnementales. madre tierra causó este paro. En outre, la région visée en est une de failles géologiques et, encore une fois, aucune étude sismique indépendante n’a été réalisée pour évaluer les risques géotectoniques d’un projet d’une telle ampleur.
Selon les données présentées par l’entreprise Emgesa, la réalisation du projet hydroélectrique inondera 9 000 hectares de la vallée, d’où les actuels stratagèmes déployés par l’entreprise pour acheter les terres avoisinantes. Rolando Bottello, conseiller municipal de Gigante, l’une des municipalité affectée, rappelle qu’il s’agit des meilleures terres arables du département. “ …puisqu’il s’agit d’une vallée, on y trouve la zone la plus fertile de la région et qui compte de plus avec une grande disponibilité d’eau pour l’irrigation des cultures”. Sur le territoire prochainement inondé, on retrouve la Réserve forestière protectrice de l’Amazonie, 2000 hectares cultivés par les paysan-nes et par les cultivateurs de café et de tabac ainsi que de vastes étendues dédiées au pâturages. Étant donnée les grands préjudices causés à la population et à l’économie de la région, le Tribunal administratif de Cundinamarca avait en 2008 statué que le projet n’était pas viable puisque les coûts d’indemnisation, de réhabilitation et de reforestation excédaient de beaucoup les profits envisagés. Néanmoins, au nom de la politique de “confiance des investisseurs”, l’ex président de la Colombie, Alvaro Uribe, déclarait que le projet devait aller de l’avant « coûte que coûte » malgré le jugement du tribunal. Quelques jours avant de quitter son poste, l’ex président émettait la résolution 321 par laquelle“les terrains nécessaires à la construction et à l’opération du projet hydroélectrique sont déclarés d’utilité public et d’intérêt social”, ce qui, ne manquent pas de nous rappeler les affecté-es, revient à offrir à la multinationale un accès privé au fleuve. Poursuivant la vente du territoire du Huila à des intérêts étrangers, le gouvernement octroyait également une nouvelle licence à la compagnie pétrolière anglaise Emerald Energy pour l’exploitation de neuf nouveaux puits de pétrole (Note 2) bordant la région qui sera inondée par le barrage, réduisant d’avantage les terres propres à l’agriculture et aux réserves forestières de la région.
Voilà maintenant quatre ans que Asoquimbo multiplie les démarches administratives, politiques et judiciaires pour que soit suspendue la licence accordée à Emgesa mais la construction se poursuit malgré tout. Mobilisant les communautés et les secteurs affectés, Asoquimbo a pris la tête d’un mouvement de “paro” (Note 3) auquel se sont joint les paysans, les pêcheurs, les mineurs artisanaux, les ouvriers agricoles, etc, de la région bref tous les travailleurs et travailleuses qui, à défaut de pouvoir mettre en échec le projet de barrage, devront trouver non seulement des nouvelles terres où s’établir mais également de nouveaux emplois. Campamento de pescadores de La Honda.
Depuis le 3 janvier 2012, près de mil manifestant-es ont établis leur campement sur la route qui relie le sud ouest du département du Huila et l’Ouest du département du Cauca avec la ville de Neiva afin d’empêcher la poursuite des travaux de construction du barrage. Cantines populaires, corvées communes, tour de garde pour protéger l’accès à la route, malgré la chaleur, les pluies diluviennes et la présence intimidante de la police locale et d’un bataillon “énergétique”(Note 4) de l’armée nationale, les manifestant-es restent sur leur garde. Entre la précarité du campement et la perspective de joindre le rang des millions de déplacé-es, plusieurs ont fait le choix de la mobilisation malgré les risques qu’ils encourent. «Et de toutes façon… pour allez où ?», se demande Elena qui est née sur la terre cédée par ses parents et y élève maintenant ses neuf enfants, «Où pourrons-nous trouver en Colombie un endroit aussi tranquille que la vallée du Huila? » Émilia rappelle pour sa part le prix payé pour jouir de cette tranquillité : « Ici, la réforme agraire se sont les paysans qui l’ont réalisé, ils ont lutté pour ces terres, ils se sont retrouvé en prison (…) ils ont été réprimés, ils ont été maltraités, mais ils sont sortis de la prison et ils ont continué à travailler (…) Maintenant que plusieurs d’entre ceux sont décédés, se sont leurs enfants qui cultivent, qui produisent le riz, le mais, le fruit de la passion, [etc.] alors maintenant que leurs enfants bénéficient enfin des fruits de ce dur labeur de lutte et de travail paysan, une entreprise étrangère arrive et leur arrache tout. ».
Depuis la réunion réalisée le 5 janvier dernier pour débattre des impacts économiques, sociaux et environnementaux du barrage d’Emgesa, les manifestant-es se sont gagné l’appuie de la nouvelle élue au poste de gouverneure du département, Mme Cielo Gonzales Villa, qui a soutenu les revendications du mouvement face à M. Frank Pearl, Ministre de l’Environnement et du Développement durable. Face à la pression politique et populaire, ce dernier s’est engagé à réaliser les démarches nécessaires pour que soit réalisée dans les plus brefs délais une audience publique environnementale, une démarche légale qui pourrait se conclure par la suspension de la licence octroyée à Emgesa. À ce jour, le Ministre n’avait néanmoins pas donné suite à cette promesse.
En mépris de l’actuel processus de négociation, le Ministre de l’intérieure menaçait pour sa part d’envoyer les troupes anti-émeutes de la police nationale pour déloger le mouvement par la force, argumentant que le « paro » bloquait une voie nationale et privait donc la population locale de son droit de libre-circulation. Un argument des plus ironiques, faut-il préciser, puisque cette route, certes de grande importance économique pour la région, est impraticable depuis maintenant 6 mois. En août 2010, les travaux de l’entreprise Emgesa (passage de véhicules lourds et pression exercée par l’augmentation du débit de l’eau) ont détérioré le pont Paso del Colegio, rendant impossible la traversé du fleuve Magdalena. Ironique donc que le gouvernement accuse le mouvement des affecté-es de nuire à la libre-circulation alors que ces mêmes autorités refusent de reconnaître la responsabilité de l’entreprise dans le bris d’une infrastructure publique et n’ont toujours pas entrepris les travaux nécessaires à la remise en fonction de celle-ci. « Ce n’est pas un hasard si INVIAS [Institut national des routes] a annoncé que les dommages étaient imputables aux intempéries de l’hiver bien que l’ accident ait eu lieu en plein été ! INVIAS a agit ainsi en complicité avec Emgesa afin qu’elle n’ait pas à payer pour les dommages causés », affirme Daniel, un leader étudiant de l’Université de Neiva qui, avec d’autres collègues, s’est joint au « paro » pour appuyer les revendications des communautés affecté-es. Les étudiant-es ne sont pas les seuls à se joindre au mouvement, même les pompiers réalisent leurs visites quotidiennes sur les lieux du campement afin d’approvisionner en eau les grévistes.
À chaque soir, les participant-es se réunissent en assemblée. Les représentant-es des communautés et des secteurs affectés font alors rapport de l’état des négociations et les leaders d’Asoquimbo rappellent les trois principales revendications du paro : à savoir (1) la réparation du pont Paso del Colegio aux frais d’Emgesa (2) la réalisation d’une audience publique environnementale portant sur le projet hydroélectrique El Quimbo et la suspension de la licence environnementale octroyée à Emgesa et enfin (3) la suspension de la licence environnementale accordée à Emerald Energy pour l’exploitation de nouveaux puits de pétrole. Suite à quoi, pêcheurs, paysans, ouvriers, mineurs et journaliers entament en cœur:
«ON NE BOUGERA PAS D’ICI ! L’EAU POUR LA VIE, PAS POUR LA MORT! NOTRE TERRITOIRE NE SE VEND PAS : IL S’AIME ET IL SE DÉFEND! »
Garzon, Huila, Colombie. 12 janvier 2012.
Notes
1. Traduction libre. Communiqué de l’Asociación de afectados por la hidroeléctrica de El Quimbo – ASOQUIMBO, 3 janvier 2012.
2. Pour en savoir plus sur les nouvelles exploitations pétrolières de la Emerald Energy dans la région, voir entre autres : Campesinos le ‘bloquearon el paso’ a la Emerald … mai 2011.http://www.diariodelhuila.com/noticia/15030
3. Le “paro” est un type de moblisation où les manifestant-es cessent toute activités laborales pour bloquer des routes jour et nuit.
4. Le Bataillon énergétique no.12 du nom de Jose Maria Tello formé de 1200 soldats financé à hauteur de 55 millions de dollars à même les fonds publics (60%) et avec la contribution d’Emgesa (40%) a été crée en 2009 pour protéger le projet hydroélectrique d’Emgesa.