Chaque année, 60 000 travailleur.se.s étranger.e.s temporaires arrivent au Canada pour aider au maraîchage ou à la cueillette dans tout le pays. La plupart viennent du Mexique, d’Amérique centrale et des Caraïbes et passent environ 8 mois au Canada. En avril, la province du Québec attendait à elle seule 16 000 personnes en provenance de ces régions. Malgré la fermeture des frontières, le Canada a autorisé l’entrée à des personnes munies d’un visa de travail temporaire, car sans elles, les conséquences sur la production agricole seraient encore plus denses.
Les effets de la pandémie juxtaposés aux problématiques liées à la pénurie de personnes présentes pour travailler dans le secteur agricole mène à des abus de la part des employeurs. Il a été dénoncé dans les dernières semaines que certaines personnes sont forcées de travailler jusqu’à 18h d’affilée. Par ailleurs certains employeurs interdisent à ces personnes de sortir de leur lieu de travail afin de renforcer les mesures de sécurité contre la contamination de la COVID-19. Mais cela va à l’encontre de la Charte des droits et liberté de la personne, puisque ces travailleuses et travailleurs ne doivent pas avoir des restrictions excédent celle de l’ensemble de la population canadienne. Le Canada se doit alors d’étendre les garanties aux travailleur.se.s étranger.e.s temporaires en termes de droits du travail, de santé et de conditions de vie décentes.
Le Comité pour les droits humains d’ Amérique latine, CDHAL, s’est entretenu avec Viviana Medina du Centre de Travailleuses et Travailleurs Immigrant.e.s, le CTTI, faisant partie d’un réseau d’organisations canadiennes luttant pour les droits des migrant.e.s. Elle nous a parlé de la situation des personnes travaillant dans le secteur agricole et de la grave réalité des sans-papiers dans le pays en période de la Covid-19.
Quelle est la situation des travailleur.se.s étranger.e.s temporaires dans le secteur agricole avec le contexte actuel de la Covid-19 ?
La situation est évidemment critique, car ce sont des personnes qui risque leur vie pour le bien-être de la société canadienne. Le gouvernement fédéral autant que le gouvernement provincial du Québec ont mis en place des mesures de sécurité et de protection, qu’ils se doivent conformément de respecter et garantir, mais là est le problème.
Comme depuis toujours, il y a par exemple de nombreux problèmes de logements. C’est un problème qui a toujours existé. Les endroits où les travailleurs.e.s sont logé.e.s sont petits pour le nombre élevé de personnes qui y vivent, et où les conditions ne sont pas idéales, ni dignes, pour une personne. Il va donc de soi que cette question suscite aujourd’hui une plus grande inquiétude.
Quelles sont les mesures imposées par le gouvernement canadien pour garantir les conditions de santé et de sécurité dans le secteur agricole ?
Les employeurs sont tenus de leur fournir un logement, de mettre en quarantaine tous les travailleurs et toutes les travailleuses et de leur attribuer des logements séparés afin qu’ils puissent avant tout garder leurs distances les un.e.s par rapport aux autres.. D’autre part, les deux semaines de quarantaine doivent être payées par l’employeur. Pour cela, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ont mis en place des mesures, des programmes d’aide économique pour les employeurs afin qu’ils puissent payer ces semaines d’inactivité aux travailleuses et travailleurs. Mais même si ces mesures ont été définis, nous ne savons pas si elles sont concrètement mises en place et comment elles sont contrôlées.
Autrement, pour ces travailleuses et travailleurs, il existe un numéro d’urgence gratuit et spécifique à la situation de la COVID-19, permettant par exemple aux personnes ayant des symptômes d’appeler pour avoir des renseignements. Seulement, ce numéro n’a pas de service en espagnol. C’est donc très contradictoire. C’est toujours la même chose : ils mettent en place des mesures, ils mettent en place des règles, ils mettent en place des programmes spéciaux, mais la vérité est telle qu’il y a toujours un “mais”.
Comment voulez-vous qu’un.e travailleur.se soit capable de communiquer ou de passer un appel téléphonique s’il ne parle pas la langue ?
Dans d’autres provinces comme en Colombie britannique, il y a déjà eu des cas de travailleur.se.s contaminé.e.s. Nous espérons que cela n’arrivera pas ici, mais nous ne sommes pas très optimistes. Ce que nous demandons c’est que l’ensemble de ces personnes soit surveillé.e.s, que les gouvernements et institutions aient les yeux ouverts et concentrés sur les employeurs afin qu’il y ait de véritables mesures de protection.
C’est ce que nous demandons et c’est ce que demande beaucoup d’organisations de défense pour les migrant.e.s dans tout le Canada. Évidemment, il y a des employeurs dans d’autres provinces, pour autant que je sache, qui ne respectent pas ces mesures, on verra ce qu’il en sera au Québec.
Au Canada, la situation généré par la Covid-19 a une fois de plus aggravé les conditions de vie et de travail des personnes sans papiers. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Les sans-papiers subissent d’autant plus cette période. Ce sont les personnes les plus impactées par la Covid-19. Plusieurs ont perdu leur emploi, iels n’ont aucune protection économique, aucune compensation de la part de leurs employeurs, la nourriture se fait rare dans les réfrigérateurs… Ces personnes sont de plus, souvent, des mères de famille, avec des enfants, qui sont soit auprès d’elles soit dans leur pays d’origine. C’est pourquoi, nous nous efforçons de mettre cela au grand jour. Nous nous battons pour que le gouvernement soit tenu comme responsable de ces personnes puisque, quoi qu’il en soit, elles font partie de notre société et elles doivent bénéficier de cette protection comme tout autre citoyen. Beaucoup d’entre elles travaillent dans les services de première ligne, les services essentiels, comme on les appelle maintenant, et il y a une partie d’entre elles qui ont évidemment perdu leurs emplois. Tandis que d’autres continue de travailler, étant alors davantage exposée à des risques et à des conditions précaires. Et à l’heure d’aujourd’hui, elles ne sont plus seulement dans des conditions misérables et précaires mais en plus elles risquent leur vie. Nous tentons donc de le faire savoir au grand public, nous nous battons devant le gouvernement afin qu’il prenne soin de ces personnes, parce qu’elles sont présentes dans tous les secteurs. Ce sont des personnes que l’on retrouve dans nos hôpitaux, dans nos usines, des personnes qui apportent de la nourriture dans les foyers, des personnes qui sont dans les champs.
Nous demandons également que dès à présent elles aient accès à la santé, un accès complet à la santé, disons, et pas seulement un accès lié à des symptôme de la covid-19, tel que l’ont fait le Québec et l’Ontario.
Pour nous, ce moment peut être déterminant car c’est l’occasion pour les gouvernements de régulariser enfin toutes ces personnes. D’un côté, ils attendent que des milliers de personnes entrent dans le pays pour travailler car ils savent qu’elles sont essentielles, sans elles, il n’y a pas de nourriture sur nos tables. Mais d’un autre côté, les personnes qui sont déjà ici, qui travaillent, qui produisent cette économie depuis de nombreuses années, et qui sont une partie fondamentale de la société, sont victimes d’un non respect de leurs droits. Il est alors temps que le gouvernement du Canada, et le gouvernement provincial, assument la responsabilité de ces personnes et les régularisent une fois pour toutes.
Il existe déjà des programmes telle que l’aide sociale, mais pourquoi tout le monde ne peut-il pas s’y inscrire ?
Toute personne devrait avoir le droit de demander une telle aide, quelque soit son statut migratoire. Et s’ils ne veulent pas que cela se passe ainsi, qu’ils ouvrent un autre programme. Il existe des milliers de façons dont les gouvernements peuvent aider et fournir cette protection économique.
Il s’agit donc d’une question de volonté de prendre le temps d’écouter les propositions que nous avons à leur faire, car nous en avons déjà parlé à maintes reprises en public, avec les politiciens, et on leur a dit quel serait le mécanisme pour donner une protection économique aux milliers de milliers de personnes sans papiers dans tout le Canada.
Nous souhaitons que la société et les gouvernements se rendent compte que s’ils n’assument pas la responsabilité de ces sans-papiers, ces personnes peuvent mourir de faim, de dépression, d’anxiété … Parce que, de toute évidence, de nombreuses personnes sont malades, iels n’ont aucune protection de santé, n’y ont pas accès, si ce n’est pour cause de la covid-19.
Photo : Ion Etxebarria