Colombie, 29 mai 2021. Au nom de l’Organisation Nationale Autochtone de Colombie, Autorité Nationale du Gouvernement autochtone, nous REJETONS et DÉNONÇONS le Décret 575 de 2021 émis le 28 mai dernier par le Président Iván Duque, par lequel «des instructions sont données pour la préservation et la restauration de l’ordre public». L’objectif de ce décret étant la mise en œuvre de « l’assistance militaire» par les autorités administratives territoriales de 7 départements, ce qui permettrait le déploiement des actions policières et militaires en collaboration avec les organes judiciaires contre la protestation sociale.
Ce décret viole clairement la Constitution et les droits fondamentaux tels que le droit à la vie, à l’intégrité physique et morale des manifestant.e.s, à la liberté d’association, à la liberté d’expression et de la protestation pacifique.
Après 31 jours de grève qui ont fait plus de 45 morts, des centaines de blessé.e.s, des milliers de plaintes contre les brutalités policières et plus de 372 personnes disparues, nous considérons que l’alerte que nous avons publiée le 18 mai est toujours valable face à l’annonce «d’Assistance militaire», présente dans le décret sous-mentionné. Nous constatons, 11 jours après cette annonce, un plus grand nombre de victimes et d’actes de brutalité policière. De plus, au lieu de travailler vers le dialogue, le gouvernement réitère sa position antidémocratique en ignorant la profonde dimension sociale et structurelle de la Grève Nationale.
Les ordres inclus dans le décret 575 de 2021 aggravent la crise sociale et des droits humains découlant de l’inaction du gouvernement. Ce dernier n’a pas su répondre efficacement à l’appel des manifestant.e.s qui ont pris les rues du pays. L’assistance militaire, imposée dès 2017 dans les protocoles de gestion de la protestation sociale, réaffirme le traitement des manifestant.e.s comme des «ennemis intérieur.e.s», ainsi qu’elle justifie la répression et la suspension temporaire des droits des citoyen.n.e.s.
Nous ne pouvons accepter que la politique d’État consiste à recourir à des mesures policières, militaires et punitives plutôt qu’à un dialogue efficace avec les citoyen.n.e.s qui revendiquent à juste titre des droits qui nous ont été systématiquement refusés. Également, le décret 575 de 2021 envisage l’assistance militaire comme première et unique mesure sans considérer l’approche ethnique différentielle ordonnée à l’État colombien par la Cour constitutionnelle. Cette situation met en grand danger notre participation aux protestations en tant que peuples autochtones et nous rend vulnérables en tant qu’entités territoriales dans l’exercice de notre autonomie et de notre gouvernance.
Nous réitérons notre communiqué du 18 mai dernier, car:
La récupération de la mobilité ne constitue pas une raison légale ou légitime pour justifier les violations des droits humains générées par l’intervention des Forces Publiques dans le soulèvement populaire que le pays connaît aujourd’hui.
En ordonnant un traitement militaire à la protestation sociale, le président ignore les normes internationales, la Constitution et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle colombienne. En outre, il ignore la répression arbitraire de protestations pacifiques et l’usage disproportionné de la force sous son commandement. Ces opérations ont affecté la vie de centaines de femmes, d’hommes et d’enfants vivant dans les quartiers et les territoires. Il a aussi autorisé, entre autres, l’utilisation d’armes à feu et d’armes non conventionnelles contre des civils non armés, ce qui a coûté la vie à 50 d’entre eux; les détentions arbitraires de personnes dénonçant les traitements dégradants et inhumains; la torture et les attaques contre du personnel médical, des journalistes et des défenseur.e.s des droits humains.
Nous soulignons que notre exercice de mobilisation à travers les rues et les routes du pays est une action assurée par l’État de DROIT et protégée par la jurisprudence constitutionnelle*, par le Rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits humains**, et par le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme***. L’ordre de déployer la force publique afin de briser le droit constitutionnel de protestation pacifique est illégal, contraire à la loi et clairement disproportionné, surtout lorsque des mesures concrètes de rapprochement et de dialogue n’ont pas été garanties pour écouter et satisfaire les demandes des personnes mobilisées. Également, fonder un tel ordre sur la loi 599 de 2000 (code pénal) criminalise non seulement le droit de manifester pacifiquement, mais met également en danger la vie et l’intégrité des personnes occupant librement les espaces publics pour exprimer leur rejet des politiques du gouvernement.
De plus, nous soulignons que l’établissement de couloirs humanitaires permettant le transit de missions médicales, d’aliments et de carburant a été garanti grâce au dialogue régional avec l’ONU, le bureau du médiateur et les mairies.
Conformément à ce qui précède et compte tenu de la gravité des événements qui pourraient être déclenchés :
NOUS DEMANDONS à la Cour constitutionnelle, en tant que gardienne de la Charte politique, qu’elle déclare l’inconstitutionnalité du décret 575 de 2021; qu’elle ordonne l’arrêt des interventions de l’ESMAD, la démilitarisation ainsi que la non-criminalisation de la protestation sociale.
NOUS EXIGEONS que le Bureau du Procureur général de la nation et le Bureau du Médiateur activent tous les mécanismes de protection des droits des victimes des violences policières et étatiques; qu’ils exercent le contrôle qui leur revient sur les actions du gouvernement, et que le Bureau du Procureur général de la nation et l’Unité de recherche des personnes disparues déploient les actions pertinentes et retrouvent rapidement les disparu.e.s dans le cadre de la Grève nationale.
NOUS EXIGEONS que les membres des Forces Publiques s’abstiennent de tirer contre le peuple et qu’ils désobéissent aux ordres de ceux qui ne veulent qu’imposer une guerre pour continuer à gouverner le pays pendant encore 200 ans tout en défendant leurs intérêts particuliers.
NOUS DEMANDONS que la communauté internationale exige le dialogue au gouvernement colombien au lieu de la réponse martiale, afin que ce dernier garantisse les droits humains de tous les citoyen.n.e.s, en particulier des civils non armés qui sont menacés par l’incursion de civils armés. Ces civils armés nous tirent dessus et nous tuent, nous menacent et nous harcèlent, et ce, en présence ou en collaboration avec des membres des forces de l’ordre. Tout cela a lieu sans que le gouvernement ne se soit prononcé catégoriquement contre ces actes. Le gouvernement n’a pas, jusqu’à maintenant, ordonné l’enquête et la capture de personnes responsables de tels actes.
A TOUS LES PEUPLES DU MONDE, nous vous remercions et vous demandons de maintenir vos actions de solidarité, ne nous laissez pas seul.e.s. En Colombie, le gouvernement de Duque nous tue. Nous avons des milliers de dirigeant.e.s assassiné.e.s. Tragiquement à l’heure actuelle, ils massacrent nos jeunes qui représentent une génération sans possibilités de réaliser leurs rêves et qui prennent les rues, luttant pour leur droit à un avenir, tant pour eux/elles que pour les nouvelles générations.
À TOUS LES PEUPLES AUTOCHTONES, nous renouvelons notre appel à continuer à renforcer la Minga, voir le travail collectif des communautés. Nous renouvelons l’appel à nourrir les feux ancestraux et à participer activement à la grève pour la défense intégrale de la démocratie, qui est gravement menacée par cette déclaration de guerre à la mobilisation sociale.
Vive la Minga et la grève nationale !
Comptez sur nous pour la paix, jamais pour la guerre !
#ParoNacional29M
#SOSColombia
Source: ORGANISATION NATIONALE AUTOCHTONE DE COLOMBIE -ONIC
Autorité nationale du gouvernement autochtone
*Cour constitutionnelle. Sentencia C-742 de 2012
**Commission interaméricaine des droits humains. Bureau du rapporteur spécial pour la liberté d’expression. « Protestations et Droits humains ». 2019
***Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. « Protestation sociale et droits humains : normes internationales et nationales ». 2014.