Communiqué d’organisations de Montréal en appui à Mapuexpress, visé par une plainte pénale. Nous ne permettrons pas la censure des défenseures et défenseurs des droits humains
Montréal, Canada, 25 juillet 2017
Le Comité d’appui au Peuple Mapuche de Montréal et le Comité pour les droits humains en Amérique latine, en tant qu’organisations de l’espace international qui nous solidarisons avec la réalité du Peuple Mapuche et avec les organisations, communautés et familles menant une lutte anticoloniale pour l’autodétermination et le respect de leurs droits ancestraux, considérons essentiel d’appuyer le média mapuche Mapuexpress ainsi que l’un de ses membres, Alfredo Seguel, qui font aujourd’hui face à des risques imminents de criminalisation.
Nous avons pris connaissance d’une plainte pénale déposée contre Alfredo Seguel pour injure grave avec publicité. Cette plainte (RIT N° 5706 – 2017), réclame 3 ans de prison et une amende de 150 UTM[1] pour le défendeur, ainsi que le paiement des frais du procès. Cette accusation a été déposée par un consultant de la Banque interaméricaine de développement et de divers organismes des secteurs entrepreneurial et gouvernemental, Andrés Antivil, qui a été dénoncé par plusieurs autorités traditionnelles alors qu’il cherchait à exercer ce rôle dans la zone de Maihue-Rupumeica. Les faits en cause dans cette tentative de criminalisation sont à retracer au cœur d’un territoire mapuche où des acteurs locaux ont dénoncé les fautes éthiques du Ministère de l’Énergie et celles de ce professionnel, lesquels prétendaient aller de l’avant avec l’implantation d’un projet dans la zone sans respecter les autorités traditionnelles et les organisations historiques du Peuple Mapuche.
Ces faits nous semblent doublement graves. D’une part, on tente de criminaliser le travail d’un journaliste indépendant et, par le fait même, celui de Mapuexpress, un média de communication qui s’est constitué comme un espace-clé de diffusion, d’analyse et de critique des événements et de l’actualité du Wallmapu, pays Mapuche, passés sous silence par les médias commerciaux. Il faut rappeler à ce sujet la grande concentration des médias au Chili, où les médias sont principalement associés à deux entreprises et où les médias communautaires ont très peu d’appui, se retrouvant même criminalisés comme ce fut le cas des stations de radio. D’autre part, on cherche avec cette action juridique à criminaliser les acteurs territoriaux mapuche en résistance face à l’expansion des activités extractives, en particulier des investissements hydroélectriques, menées par des entreprises sur leur territoire.
En tant que groupes de la communauté internationale vigilants face aux violations des droits humains des peuples autochtones et en particulier du Peuple Mapuche par les États et les entreprises, nous estimons de notre devoir de nous prononcer face à cette situation. Nous déclarons ainsi que :
- Nous appuyons le collectif Mapuexpress et Alfredo Seguel, membre de Mapuexpress, face à la persécution politique les visant. Nous n’accepterons ni la censure ni la criminalisation d’un média de communication mapuche qui participe activement à la défense des droits collectifs du Peuple Mapuche.
- Nous exhortons les autorités chiliennes, en particulier les représentants des institutions du système de justice, à rejeter cette plainte et à garantir le respect du droit à la libre expression des communicateurs et communicatrices des peuples autochtones.
- Nous appuyons les communautés mapuche en résistance contre le modèle extractif dans leurs revendications pour les droits d’usage, de gestion et de contrôle des ressources naturelles sur leurs territoires. Ces revendications doivent être entendues et prises en compte, dans le respect du Consentement Libre, Préalable et Éclairé, tel qu’il a été reconnu par les Nations Unies.
- Nous rejetons les agissements des entreprises extractives et du ministère de l’Énergie du Chili qui, sous les termes fallacieux de « responsabilité des entreprises » ou de « dialogue social », cachent des pratiques d’intervention dans les communautés et territoires autochtones contraires à l’éthique. L’affaire en cause dans cette plainte illustre la rupture du tissu social et communautaire générée par ces mauvaises pratiques à travers d’offres économiques et d’emploi, qui ont pour effet de saper les formes traditionnelles de représentativité et d’organisation et qui vont à l’encontre des propositions locales fondées sur le bien-vivre.
Solidairement,
Comité d’appui au Peuple Mapuche de Montréal
Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
[1] UTM : Unité fiscale mensuelle (Unidad Tributaria Mensual), une unité de compte fréquemment employée au Chili. 150 UTM correspond à près de 100 000 USD.