Le 2 mai dernier, nous avons appris par la presse les actions entreprises par le Ministère public (MP) et l’Agence technique d’enquête criminelle (ATIC) qui ont eu comme résultat la capture de quatre présumés coupables de l’assassinat de notre Berta, à savoir: Edilson Duarte Meza (exécutant), Sergio Rodriguez (gérant environnemental de l’entreprise Desarrollos Energeticos S.A (DESA)), Mariano Diaz Chavez (instructeur de la Police militaire de l’Ordre public et membre des Forces spéciales de l’armée) et Douglas Geovanny Bustillo (lieutenant à la retraite des Forces armées du Honduras et ancien sous chef de sécurité de l’entreprise DESA). D’après ce que nous savons, Emerson Eusebio Duarte Meza a ensuite été capturé et le MP a signalé qu’une personne nommée Henry Javier Hernandez aurait participé aux événements, mais n’a pas été capturé.
Au courant de la semaine, nos avocats ont essayé de connaitre les détails des travaux de l’enquête, en se présentant aux bureaux du Ministère public et en faisant des appels aux procureur.e.s en charge ainsi qu’au personnel de l’ATIC. Tous leurs efforts ont été infructueux puisque l’accès à l’information disponible leur a été nié, contrairement à ce que stipule la législation interne hondurienne qui permet aux victimes de participer au processus pénal.
Vendredi le 6 mai dernier, une audience, qui s’est étendue jusqu’à samedi, a eu lieu afin de connaitre l’accusation du Ministère public contre les quatre accusés. Lors de cette rencontre devant le Tribunal de juridiction nationale, nous avons pu participer en tant que famille et à travers nos représentants légaux. Il y a également eu de l’observation de la part de représentants du Bureau du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits humains (HCDH).
D’après l’information qui se retrouve dans le dossier présenté devant le Tribunal de juridiction nationale, nous déclarons ce qui suit :
– Il existe des preuves suffisantes qui indiquent que la raison de l’assassinat de Berta Caceres était sa lutte contre la construction du projet Agua Zarca, appartenant à l’entreprise DESA.
– Les éléments les plus importants sur lesquels se base l’enquête du Ministère public sont : a) l’intervention téléphonique et l’étude des appels téléphoniques de plusieurs des personnes accusées pour avoir participé au crime; b) un rapport balistique de l’arme à feu qui serait celle à avoir été utilisée pour le meurtre c) les rapports d’autopsie de Berta Caceres et le rapport clinique sur l’évaluation faite à Gustavo Castro; d) plusieurs démarches quant à des enquêtes de terrain, comme l’inspection visuelle, des entrevues, entre autres.
Quoi les constatations signalées soient positives, elles sont toutefois insuffisantes et incomplètes afin de pouvoir identifier l’ensemble des responsables ayant participé à l’assassinat de notre mère, fille et compagne et de faire la lumière sur la responsabilité de l’entreprise DESA et des autres acteurs institutionnels En ce sens, nous énonçons les inquiétudes suivantes :
– Il n’y a pas d’exhaustivité dans l’enquête. On ne connait ni les actions ni les démarches d’investigation exhaustives afin de déterminer l’ensemble des auteurs intellectuels. En d’autres mots, ni la possible implication d’autres membres de l’armée ni la responsabilité institutionnelle de ce corps de sécurité lors des faits n’ont été investiguées. De plus, il n’y a aucune démarche quant à la participation et/ou responsabilité des directions ou des groupes économiques qui constituent l’entreprise DESA.
– Il n’y a pas d’individualisation des actions. La requête fiscale n’individualise pas les responsabilités pour aucune des personnes accusées et ne fait que donner des affirmations générales comme organisation criminelle.
– La preuve est absente. Dans le dossier judiciaire, on ne mentionne pas le fait qu’un des hommes capturés aurait témoigné sur sa participation au crime. En fait, lors de l’audience initiale, tous l’ont nié. De plus, on ne retrouve aucune vidéo qui montre comment s’est déroulé l’assassinat, contrairement à ce qu’affirme l’ATIC dans plusieurs médias.
– Revictimisation et manque d’accès à l’information. Face à notre demande à la juge Lisseth Vallecillo Banegas afin de connaître les avancées des enquêtes, elle souligne que bien qu’elle reconnaisse notre droit, elle n’a pas la compétence d’ordonner au Ministère public qu’il nous fournisse de l’information puisque « la faculté de mener l’enquête et de promouvoir l’action pénale correspond à l’entité fiscale, l’organe de juridiction ne peut donc pas s’ingérer dans les activités d’une autre institution ». C’est-à-dire qu’encore une fois, sans aucun fondement légal, on nous exclue du processus d’enquête et on nous revictimise.
Afin que la vérité se sache, qu’il y ait justice et que cesse l’impunité pour tous les responsables, nous demandons de nouveau à l’État du Honduras :
-qu’il accepte la participation de la Commission interaméricaine des droits humains et à travers elle, la nomination d’un groupe interdisciplinaire de personnes expertes qui mène conjointement les enquêtes sur l’assassinat de notre mère, fille et compagne, de manière à approfondir et réorienter l’enquête afin qu’elle inclue tous les auteurs, particulièrement ceux qui ont pris la décision d’exécuter ce crime.
-qu’on nous permette d’être activement impliqué dans le processus d’enquête et qu’on nous donne l’accès sans restriction à l’information disponible sur le cas.
-la fin de la revictimisation dont nous sommes la cible en tant que mère, filles et fils de Berta Caceres, ainsi que l’implantation de mesures de protection intégrales qui permettent de mettre fin aux menaces.
Nous croyons qu’il est urgent que le Bureau du Procureur de des droits humains, la Commission nationale des droits humains (CONADEH) et le Bureau du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits humains (HCDH), dans le cadre de leurs mandats, se prononcent sur les droits à la vérité et à l’accès à la justice auxquels nous avons droits, nous les victimes, dans une enquête de cette nature.
Nous faisons appel à la solidarité nationale et internationale afin que les voix de la famille et du COPINH soient écoutées et afin qu’on presse les autorités nationales à corriger les lacunes dénoncées et à accepter les demandes mentionnées.
Nous réitérons notre recherche de vérité et de justice face à l’assassinat de notre Berta. Si nous réussissons, ce sera une victoire pour tous et toutes.
Berta vit!
Présenté à La Esperanza, Intibuca, au dixième jour du mois de mai 2016.
Olivia, Berta, Laura y Salvador Zúniga Cáceres, Austra Bertha Flores et le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas. de Honduras, COPINH avec l’accompagnement du Centro por la Justicia y el Derecho Internacional (Centre pour la justice et le droit international) et du Movimiento Amplio por la Dignidad y la Justicia (Mouvement large pour la dignité et la justice)