Les femmes de Colombie et du Canada sont à l’avant-plan pour condamner l’accord de libre-échange entre ces deux pays. Dénoncée par à peu près toutes les organisations des droits humains et tous les syndicats canadiens, cette entente est dans la mire d’un regroupement qui a lancé la campagne SOS Colombie.
Des Colombiens représentants des mouvements de femmes, des organisations autochtones et des syndicats sont récemment venus au Canada pour présenter plusieurs conférences et rencontrer des parlementaires afin de faire dérailler l’accord.
SOS Colombie veut attirer l’attention sur les impacts de l’accord sur la société colombienne, et en particulier sur les femmes. Yolanda Becerra de l’Organisacion Feminina Popular (OFP) de Colombie rappelle que la situation n’a pas beaucoup changé avec le gouvernement d’Alvaro Uribe. « Il n’y a plus de gros massacres, ce qui évite l’attention internationale, mais la répression est toujours là. Le pays est toujours aussi violent et les militants sont constamment ciblés et assassinés, explique-t-elle. Le gouvernement colombien tente de promouvoir à l’étranger une image de la Colombie qui ne correspond pas à la réalité. »
Personnellement ciblée, tout comme d’autres membres de son organisation, la militante colombienne croit que « pour les femmes, l’accord signifiera plus de travail dans les usines (maquiladoras) où le travail est précaire. En Colombie, les droits des travailleurs ne sont pas respectés et nous vivons une vague de privatisations où les organisations de défense des travailleurs sont témoins d’une dégradation des conditions. Ce sont les femmes qui sont les premières à perdre leurs emplois. L’OFP croit que l’accord aggravera encore cette situation. »
La jeune cinéaste Sarah Charland-Faucher, qui vient de lancer le documentaire À fleur de peau sur le commerce des fleurs en Colombie, s’oppose aussi au traité de libre-échange avec le Canada. Deuxième exportateur mondial de fleurs derrière les Pays-Bas, le secteur horticole colombien emploie une main-d’œuvre précaire, composée à 80 % de femmes. Alors que le commerce des fleurs colombiennes est en pleine croissance au Canada, ce pays latino-américain fait mauvaise figure quant au respect des droits des travailleuses. « Les femmes y travaillent à 6 $ par jour, note Sarah Charland-Faucher. Il n’y a pas beaucoup de lois à respecter et c’est difficile de mettre sur pied un syndicat ouvrier. La Colombie est le pays avec le plus de syndicalistes assassinés », ajoute la documentariste qui craint que le libre-échange ne vienne exacerber la situation.
L’accord de libre-échange a officiellement été signé en novembre dernier, mais il doit être adopté par le parlement canadien avant d’entrer en vigueur. Cela dit, le gouvernement canadien peut présenter l’accord d’un jour à l’autre à la Chambre des communes. Rachel Warden, du réseau œcuménique Kairos, croit que cette tournée avec des Colombiens porte ses fruits : « Ce qui est sûr, c’est que les Canadiens commencent à se rendre compte qu’il est temps d’agir dans ce dossier, et plusieurs parlementaires constatent maintenant mieux les effets néfastes de cet accord. »
Un comité parlementaire sur le commerce international a d’ailleurs déposé un rapport sur la Colombie en juin dernier, qui recommande à Ottawa de ne pas signer d’accord de libre-échange avec la Colombie. Le gouvernement Harper l’a toutefois ignoré en annonçant l’entente avec son homologue colombien deux jours avant sa publication.
Notons finalement qu’en vertu d’un accord parallèle sensé « promouvoir et assurer la mise en œuvre des principes et des droits fondamentaux du travail », les gouvernements du Canada et de la Colombie ont mis de l’avant le respect des droits des travailleurs, dont le droit syndical. Cette entente distincte prévoit des amendes maximales pour le non-respect des clauses, mais avec un plafond de 15 millions de dollars. Pour Blandine Fuchs, membre du Projet accompagnement solidarité Colombie, ceci démontre l’absurdité de l’accord de libre-échange : « Le fait d’essayer d’intégrer des clauses pour empêcher les violations de droits humains dans un traité qui va forcément engendrer des violations de droits humains donne des choses ridicules, comme cette clause. Les violations sont généralement dues à des intérêts économiques, de toute façon. »