Publié par Desinformémonos, le 29 octobre 2023
Avec la fureur du vent, notre maison a vibré. Nous avions l’impression qu’à tout moment nous allions être ensevelis. L’eau, qui atteignait un mètre, nous obligeait à chercher un endroit pour nous abriter. Il n’y avait pas moyen de sortir. Sa force emportait tout. La sensation de mort était une menace imminente. Nous avons résisté dans un coin de la maison où l’eau perdait de sa force. Ce furent 5 heures intenses de peur, de souffrance et de pleurs, d’incantations et de prières. Les palmes et l’eau bénite n’ont pas pu contenir le passage destructeur d’Otis. À Coyuca (de Benítez), la rivière a inondé les rues. Nous pensions qu’elle ferait encore une fois des victimes. Les familles des 11 policiers tués le 23 octobre avaient reçu leurs corps le matin, au Semefo de Chilpancingo. La nuit de l’ouragan, elles ont organisé une veillée funèbre. Avant qu’Otis ne touche terre, les personnes en deuil se sont retrouvées seules et ont dû improviser un endroit pour recouvrir les cercueils de nylon. Les familles ont tenu bon sur les toits précaires. Rien ne peut être sauvé. Elles n’ont fait que prier Dieu et, en se serrant les unes contre les autres, elles ont eu le courage d’empêcher le vent de les emporter. Mouillés et apeurés, ils sont restés debout toute la matinée.
Dans les communautés rurales de Costas et de la Montaña, il n’y aura pas de récolte de maïs, de haricots ou de citrouilles. L’alimentation de base des familles rurales est perdue. Lors de la fête de San Miguel, le 29 septembre, les femmes et les filles âgées dansent la milpa et font l’offrande au mayantli, la faim (personnifiée par le diable) qui s’enfuit du village après la bataille perdue contre l’archange Michel. En octobre et novembre, les familles récoltent les nouveaux fruits et les déposent sur les autels de leurs défunts. L’ouragan a apporté les vents mauvais qui laisseront des estomacs vides.
Tous les champs de maïs sont dévastés. Les fleurs de courges sont fanées, les citrouilles resteront des pachichis et ne mûriront pas. Sur le sol, l’épi tendre pourrit à cause de l’eau et les feuilles sont mouillées mais sèches. Le maïs est rare en ces jours de morts. Même les morts auront faim parce que l’argent ne suffira pas à acheter ce que l’on récoltait autrefois dans les parcelles de terre et les vergers de fruits et de café. Les routes impraticables empêchent les habitants des hauts plateaux de descendre acheter les produits de base. En plus de la rareté des produits de première nécessité, les prix élevés rendent leur achat impossible. Les mayantli reviendront dans les communautés pour faire encore plus de ravages parmi les familles pauvres qui ne pourront pas faire leurs récoltes à cause de la faim. Dans la Montaña, les tlacololes ont été emportés par les pluies et les champs de maïs ont été recouverts de boue. Le peu de maïs récolté (300 kilos) sur un demi-hectare dans les montagnes escarpées n’a même pas donné de maïs. La migration des familles pauvres pour travailler comme ouvriers agricoles en dehors de Sinaloa augmentera, dans des conditions défavorables dues à la surexploitation de leur travail et à l’absence de sécurité sociale. Les enfants indigènes continueront à être démunis, jouant dans les sillons, sans possibilité de s’abriter ou d’aller à l’école.
L’Acapulco rural est invisible. Les habitants des communautés appartenant au noyau agraire de Cacahuatepec prennent la route pour demander de l’eau et de la nourriture. La rivière Papagayo, surexploitée par les entrepreneurs de gravier, a emporté tout ce qu’elle a pu trouver. Elle a inondé plusieurs communautés et submergé leurs terres. La pauvreté dont ils souffrent depuis des décennies, due à la négligence des autorités, a été exacerbée par les tempêtes Ingrid et Manuel il y a 10 ans. L’attaque féroce d’Otis a dévasté tout leur environnement, détruit leurs cultures, perdu leur bétail et les a laissés sans potager. Bien que Salsipuedes abrite les puits profonds qui alimentent la zone hôtelière d’Acapulco, les communautés rurales du port survivent dans la boue de l’oubli. Leurs maisons n’ont plus de toit et elles meurent de soif avec le perroquet et les puits profonds qui se trouvent sur leur territoire.
En mer et dans les lagunes, les drames se multiplient. Plusieurs pêcheurs sont portés disparus, certains étaient en mer en train de pêcher, d’autres ont été emportés par les eaux. La plupart des pauvres pêcheurs ont perdu leur bateau et ceux qu’ils ont sauvés sont devenus inutilisables. Ils n’ont plus de gréement pour travailler. Ils n’ont pas les moyens de réparer leurs pangas, leurs rames et leurs moteurs. Leurs filets et trémails ont été perdus et d’autres cassés. Les chalutiers ont commencé leurs activités et les pêcheurs hauturiers n’ont pas encore pris le risque de sortir parce qu’ils recherchent leurs collègues et parce que leurs bateaux ont été endommagés. Un grand nombre de familles installées sur la bande de plage ont vu leurs maisons détruites et toutes leurs palapas emportées par le vent. Cette activité est en suspens car la maison doit d’abord être réparée afin de disposer d’un toit sûr pour dormir et la cuisine doit être réparée. Ils cherchent des noix de coco séchées et des branches sèches pour faire cuire les aliments. Le gaz est rare et cher. La grande tâche à venir est de nettoyer les plages. Il faudra des semaines, voire des mois, pour reconstruire leur habitat et installer leurs palapas. Otis a détruit le plus beau patrimoine naturel d’Acapulco et des deux côtes de Guerrero, ses plages et ses palmiers.
Le désespoir des familles pauvres d’Acapulco est exacerbé par le manque d’eau et de nourriture. D’innombrables toits dans les quartiers périphériques ont été arrachés. Les canalisations précaires ont été rendues inutilisables et les rotoplas, où l’eau était stockée, ont été emportés par le vent. Le grave problème d’eau dont souffrent déjà de nombreux quartiers du port est devenu un problème insoluble à court terme. Il fait partie de l’atmosphère d’ingouvernabilité qui règne dans le port. Les pénuries sont généralisées, même dans les zones hôtelières. Les autorités sont débordées et la population est très en colère. Elle est prête à se battre pour une portion de nourriture et quelques litres d’eau. Bâtons et machettes commencent à être brandis.
Quatre jours après Otis, les tortillas viennent à manquer partout. Plusieurs usines de tortillas du port d’Acapulco sont en panne et le maïs est mouillé. Les files d’attente pour la minsa et l’eau sont interminables dans les quartiers pauvres d’Acapulco.
Source : https://desinformemonos.org/en-las-entranas-del-huracan/