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De la cordillère à la steppe et la côte, la lutte d’un peuple pour l’eau

Publié par Agencia Tierra Viva, le 17 mai 2024

« ChubutAguazo » est le livre de la chercheuse et activiste Ana Mariel Weinstock, où elle documente le processus d’organisation populaire dans la province de Chubut, depuis le plébiscite d’Esquel en 2003 jusqu’au soulèvement provincial de 2021, qui a empêché l’application de la Loi sur le zonage minier. Ce livre, publié par El Mismo Mar Ediciones, traite de l’histoire, de la mémoire et du présent d’une société mobilisée contre le pillage.

Entre le 15 et le 21 décembre 2021, le peuple de Chubut a abrogé la Loi sur le zonage minier, qui avait été approuvée six jours plus tôt sans consultation, par les députés provinciaux. Grâce à des mobilisations ininterrompues et simultanées, les citoyens ont fait respecter leur décision de protéger l’eau et le territoire, défendant ainsi la Loi 5001 qui interdit l’exploitation minière utilisant des substances toxiques. Ces six journées mémorables ont condensé vingt ans de lutte du mouvement socio-environnemental contre le lobby minier, composé d’entrepreneurs et de représentants gouvernementaux.

Ana Mariel Weinstock est enseignante-chercheuse et membre de l’Union des Assemblées des Communautés de Chubut (UACCh). Dans son livre « ChubutAguazo. Desde la cordillera hasta el mar, cómo se gestó la pueblada », publié par El Mismo Mar Ediciones, elle passe en revue la diversité des actions, les formes d’organisation, les discussions et les préoccupations qui ont eu lieu dans chaque territoire au cours des vingt dernières années, en vue de créer une société capable de se développer sans extractivisme.

Elle évoque aussi la pueblada de 1984, connue sous le nom de Madrynazo, lorsque la population a crié « Yankees go home » et empêché une flotte américaine de se ravitailler sur les côtes de l’Atlantique. Elle analyse également le rôle d’institutions telles que l’Université Nationale de la Patagonie et le Centre Scientifique et Technique. Le livre examine l’impact de l’extractivisme dans la ville de Puerto Madryn et les débuts du soulèvement de 2021 dans cette localité, la première à adhérer à la zonification minière.

L’auteure conclut son livre par des questions : Qu’est-ce que débattre ? Qu’est-ce que la connaissance ? Qu’est-ce que la violence ? Et elle propose quelques réflexions comme réponses.

Au cours de ces décennies, affirme-t-elle, la « fracture », ou le principal affrontement, reste entre ceux qui défendent le plébiscite et la démocratie directe, et ceux qui soutiennent la zonification et la démocratie bureaucratique. Tout au long du livre, elle montre les différentes formes que prend cette confrontation principale et que le « Non à la Mine » a mises en évidence depuis ses débuts.

Avec la rigueur et la systématisation exigées par le monde académique, ce livre raconte l’histoire « du côté subalterne des mouvements sociaux et réaffirme (aux plus jeunes et à nous-mêmes) que nous sommes capables de faire valoir le droit du peuple à choisir comment il veut vivre ».

Il situe géographiquement et historiquement la façon dont les assemblées citoyennes se sont multipliées pour défendre la vie en Patagonie.

Un mouvement qui s’est développé de la cordillère à la mer

Après le plébiscite d’Esquel en 2003, la nécessité d’élargir et de provincialiser le mouvement a été comprise, afin de faire face à l’asymétrie du pouvoir par rapport au gouvernement et aux hommes d’affaires. C’était la seule façon de défendre cette première victoire, avec la conviction qu’il n’y a pas de victoires définitives. Du moins tant qu’il y aura des minerais dans notre sous-sol et tant que ce système d’avidité pour les extraire persistera. C’était et c’est toujours le cas 20 ans plus tard. C’est pourquoi aujourd’hui, en plus de la joie de se retrouver dans les rues et de célébrer l’abrogation du zonage minier, nous nous préparons à de nouvelles batailles telles que l’hydrogène vert, l’uranium, l’énergie nucléaire ou encore les méga-mines… Car cette fois-ci, comme tant d’autres, nous avons réussi à l’arrêter, mais il y aura beaucoup d’autres assauts à stopper.

En ce qui concerne la genèse des différentes assemblées, si nous devions retracer le parcours suivi par l’émergence de chaque nouveau collectif sur le territoire provincial, nous dirions qu’il s’est déroulé en direction de l’ouest et de l’est. Tout le contraire du récit officiel de la nation argentine, qui adopte comme mythe fondateur la vision européenne du débarquement et de la civilisation. Qu’il s’agisse de la colonisation galloise ou de l’incorporation de ces territoires dans l’orbite de l’État, la Patagonie est toujours vue de l’Atlantique vers la cordillère, c’est-à-dire depuis le nord métropolitain (américain et/ou européen), dans le sens est-ouest. C’est ce qu’explique Susana Bandieri dans son livre Historia de la Patagonia (2005).

Les réseaux virtuels sont apparus en premier. À l’époque, des chaînes de courriers électroniques imaginaires parcouraient les rails de l’ancienne ligne de chemin de fer du sud, qui traversait la Patagonie, des montagnes à la mer et de la mer aux montagnes. Il s’agissait de la « Coordinadora Patagónica por la Vida y el Territorio contra el Saqueo y la Contaminación » (Comité de coordination patagonienne pour la vie et le territoire contre le pillage et la pollution), dont la version abrégée est encore utilisée aujourd’hui sur le site web de l’Union des Assemblées Communautaires (UAC) comme slogan.

En 2004, l’Asamblea Comarcal Contra el Saqueo a été créée, composée de différents collectifs qui ont soutenu les communautés mapuches de la région et ont réussi à arrêter le projet d’exploitation minière d’or et d’argent Calcatreu (Río Negro), avec la loi provinciale 3.981 de 2005, qui a été abrogée par le gouvernement de Carlos Soria en 2011.

Le Réseau des communautés affectées par l’exploitation minière en Argentine (Red CAMA) s’est formé simultanément et de manière intermittente, avec une existence essentiellement virtuelle au niveau national entre 2003 et 2005. Plus tard, les collectifs participants ont rejoint l’UAC pour s’articuler avec d’autres luttes socio-environnementales dans le pays : contre la monoculture de soja transgénique, les usines de papier ou la défense de la terre par les paysans et les peuples indigènes.

Parallèlement, et de manière tentaculaire (comme la pensée complexe de Donna Haraway), une territorialisation régionale s’est également amorcée avec la création de l’Union des assemblées de Patagonie (UAP). Son intérêt était centré sur l’articulation des luttes à Río Negro et Neuquén, et leur encouragement à Santa Cruz.

Le mouvement des assemblées a pris le contre-pied de la conquête du « désert » lorsque, à partir de 2008, différents collectifs ont commencé à se former sur la côte atlantique, avec les mêmes revendications, objectifs et slogans que dans les Andes occidentales.

Le premier fut le Foro Social y Ambiental de la Patagonia (FASP) à Comodoro Rivadavia, qui doit son nom au fait qu’il est né d’une conférence organisée à l’Université nationale de Patagonie. L’initiative a été répliquée la même année à l’antenne de Trelew et la FASP de Trelew a été créée, devenue en 2014 l’Union des Assemblées Communautaires. Un an après le premier forum de Comodoro Rivadavia, l’expérience a également été reproduite à Puerto Madryn. Comme à Trelew, la FASP de Puerto Madryn a été fondée en 2009 dans un siège de quartier, avant d’être transformée en 2014 en Assemblée des Voisins Autoconvaincus de Puerto Madryn. Enfin, en 2016, elle a acquis le nom actuel d’Asamblea en Defensa del Territorio (ADT).

Depuis la côte, le processus s’est poursuivi dans la vallée de la rivière Chubut vers le plateau central. C’est ainsi qu’en 2012, l’Unión de Asambleas de Ciudadanas de Chubut (UACCh) a été créée à la suite d’une action organisée par des voisins mobilisés, soutenus par les collectifs d’assemblées préexistants. Nous avons voulu célébrer un nouvel anniversaire du plébiscite d’Esquel par une marche qui partirait de Trelew et traverserait toutes les villes situées le long de la rivière Chubut et de la route provinciale 25, jusqu’à la ville du plébiscite. Nous l’avons appelée la « Marche des poètes et des artistes ». Il nous a fallu une semaine pour parcourir, à pied, ce territoire. Je me souviens de cette marche collective, marchant ensemble sur le territoire. « On ne défend que ce que l’on aime », pensais-je à l’époque. Aujourd’hui, je m’en souviens et je le repasse dans mon cœur.

Chaque pas partagé, un battement de cœur. Chaque va-et-vient d’un mot, une caresse. Et au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les terres, nous avions l’impression de nous rapprocher des étoiles (aussi contradictoire que cela puisse paraître). Dans chaque village, un groupe local nous a invités à participer à leur art. C’est là que se trouve le germe de l’UACCh et avec lui, pourrait-on dire, la provincialisation du « Non à la Mine ».

Après deux siècles, ce « désert » de l’histoire officielle argentine a été et reste un terrain fertile pour les organisations collectives, fertilisé par la résistance à un modèle de civilisation ou de vie capitaliste, patriarcal, consumériste et colonial. D’ici, du côté des luttes, le territoire apparaît multidimensionnel, diversifié et vivant.

Source : https://agenciatierraviva.com.ar/de-la-cordillera-a-la-meseta-y-la-costa-la-lucha-de-un-pueblo-por-el-agua/