La réforme politique de 2014 au Mexique, publiée dans le Journal Officiel de la Fédération (DOF) le 10 février de cette année, a modifié les règles du jeu électoral, et remué les bases de la représentativité politique. Bien qu’il s’agisse d’un phénomène global, la réforme électorale au Mexique symbolise un pas de plus vers l’autodestruction des partis politiques (pour en savoir plus sur le déclin des partis politiques: http://lavoznet.blogspot.com.br/2016/06/el-suicidio-de-los-partidos-politicos-y.html).
La lutte électorale bat de nouveaux records en termes de perte de popularité. Cette dernière n’avait pas été aussi basse depuis la Révolution mexicaine. De plus, de nouveaux acteurs (non partisans) entrent sur la scène politique.
Il faut se rappeler qu’en 1996 ont été déterminés les fondements du système particratique qui a opéré jusqu’en 2014. La trahison des partis politiques à l’égard des Accords de San Andrés (signés en février 1996), a établi les bases de l’ordre politico-électoral du pays pour les deux décennies suivantes. Un autre arrangement entre les principales forces partisanes, conclu sans examen public (par le Pacte pour le Mexique ou analogues), a suspendu les demandes d’ouverture et de démocratisation présentées dans les négociations des Accords de San Andrés. Les faits suggèrent qu’avec la réforme de 2014, les élites mexicaines ont récupéré le modèle “San Andrés” presque 20 ans plus tard, mais pour construire, depuis la droite, un régime de représentativité politique basée sur les candidatures indépendantes, et avec les partis politiques comme acteurs de distribution. Cependant, la réforme a ouvert des espaces pour la participation politique d’autres acteurs autrefois condamnés à l’ostracisme dans l’arène publique.
Parmi les dispositions plus significatives que comprend la réforme de 2014, nous pouvons souligner l’abolition des Conseils d’État et la centralisation de l’organisation électorale en un seul système national (l’Institut national électoral), l’habilitation de la réélection de législateurs et de conseils municipaux, la mise en oeuvre d’ajustements au modèle de communication politique, la régulation de coalitions électorales, et l’incorporation des candidatures indépendantes, qui introduit la possibilité constitutionnelle pour les citoyens d’aspirer à occuper des postes d’élection populaire, sans devoir passer par la nomination d’un parti politique. Le nombre de signatures de soutien requises pour être candidat sont de l’ordre de 1% de la liste électorale pour le président de la République et de 2% pour les sénateurs et députés. Ceci signifie que quiconque souhaite être candidat à la présidence doit de réunir quelque 789 000 signatures de soutien, au minimum (Animal Político 27-V-2014).
L’habilitation de la figure de candidature indépendante, même si elle ouvre la possibilité d’accès au pouvoir public aux acteurs privés ayant une capacité d’autofinancement électoral et éloignés du scrutin citoyens (ce qui se passe déjà dans d’autres pays, comme avec Donald Trump), introduit, peut-être involontairement pour l’establishment traditionnel, l’opportunité qu’en cette brèche du multipartisme s’infiltrent des propositions électorales obéissant à des agendas de résistance organisée. L’une de ces résistances de longue haleine, aujourd’hui représentée conjointement par le Congrès national autochtone (Consejo Nacional Indigena-CNI) et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional-EZLN), a annoncé la candidature d’une femme autochtone aux élections présidentielles de 2018.
Le 28 mai dernier, le CNI et l’EZLN ont choisi María de Jesús Patricio Martínez comme porte-parole du Conseil autochtone de gouvernement (Concejo Indígena de Gobierno-CIG) du Mexique, et candidate indépendante pour les élections présidentielles de 2018.
María de Jesús est une autochtone Nahua, le principal groupe autochtone du Mexique. Elle est née dans la municipalité de Tuxpan, dans l’État de Jalisco, en 1963. Elles est une médecin herboriste reconnue pour sa lutte en défense des peuples autochtones.
Après sa nomination, Patricio Martínez a appelé les peuples autochtones à “participer à la reconstruction du pays, de pair avec le Conseil national autochtone et l’Armée zapatiste de libération nationale” (Grieta 29-V-2017).
Fortino Domínguez, représentant Zoque, au sujet du plan d’action de la candidature et des particularités du CIG en relation avec les “usages et coutumes” des partis politiques: “Nous n’allons pas faire une campagne mais chercher à s’organiser avec tout le pays pour démonter le pouvoir que l’on nous impose d’en haut. C’est le début d’un chemin, et c’est un chemin collectif. L’expérience au Mexique nous montre que les partis politiques doivent être déconstruits, que nous devons y mettre fin. Cette manière de faire la politique n’est plus viable pour nous” commente Fortino, en ajoutant “il faut reconstruire cet État-Nation. Et nous sommes décidés à le faire” (Elio Henríquez en Rebelión 30-V-2017).
Un autre témoignage appuyant l’importance de la candidature de María de Jesús est celui de Profe Filo, représentant de la région Mixteca Poblana: “Aujourd’hui est le plus grand jour de notre histoire. Il nous a fallu 20 ans pour nous connaître. Nous avons résisté pendant cinq siècles et aujourd’hui nous assistons à un soulèvement autochtone, le plus grand de l’histoire du Mexique, et ce soulèvement se fait de façon pacifique” (Ibidem).
Que signifie la candidature d’une femme autochtone bercée par les résistances les plus anciennes et subversives du pays?
Certains y voient une rupture avec le programme original (la tradition autonome non institutionnelle). D’autres, la continuité d’un agenda de résistance multifactoriel qui intègre maintenant à la lutte une dimension électorale. D’autres encore, une ruse pour boycotter Andrés Manuel López Obrador, candidat de centre-gauche qui se profile comme candidat à la présidence de la République, pour la troisième fois.
Pour d’autres, il s’agit de la renaissance du Mexique. Le début d’une deuxième et définitive indépendance.
Eux, les autochtones et zapatistes répondent: “Notre heure est arrivée, à nous les autochtones mexicains…”.
Par Arsinoé Orihuela, le 5 juin 2017
Source: Rebelión
Source image: Colectivo la digna voz
Pour plus d’information: Blog de l’auteure, Colectivo la digna voz