Publié par Roxane Léouzon, Le Devoir, 4 octobre 2024
Fanny Kaekat, Hortencia Zhagüi et Zenaida Yasacama font partie de différentes communautés autochtones de l’Équateur. Depuis une semaine, elles ont parcouru ensemble le Canada pour partager leurs inquiétudes face à l’accord de libre-échange en cours de négociations entre leur pays et le Canada.
« On va continuer à défendre nos territoires avec nos vies », déclare Mme Yacasama d’un ton et d’un regard déterminé.
Ce qu’elles dénoncent, c’est la présence d’un grand nombre d’entreprises minières canadiennes sur leurs territoires, où ces dernières détruiraient l’environnement et leurs moyens de subsistance. Selon un rapport de Mining Watch Canada publié en septembre, 15 compagnies canadiennes mènent des activités d’exploration minière dans ce pays d’Amérique du Sud. De possibles violations de droits de la personne, notamment une répression violente des opposants aux minières, sont rapportées dans des secteurs où ces entreprises sont actives.
Mme Zhagüi habite dans une communauté située non loin d’activités menées par la compagnie torontoise Dundee Precious Metals qui présenteraient des risques de contamination de l’eau par l’arsenic. La militante assure que la population locale rejette ce projet. « C’est un écosystème unique qui est en danger », a affirmé cette membre de l’école d’agroécologie des femmes de Kimsakocha, qui promeut la souveraineté alimentaire.
Dundee Precious Metals, de son côté, dit être en désaccord avec les affirmations de Mining Watch. Le plan de l’entreprise inclut « des mesures pour minimiser l’utilisation de l’eau et pour s’assurer que l’eau retournée dans l’environnement réponde aux exigences de qualité les plus strictes ».
« C’est déjà difficile de se défendre contre eux, et ça sera encore plus difficile si le pouvoir des entreprises est renforcé par l’accord de libre-échange », a affirmé Mme Zhagüi, qui dit craindre pour sa sécurité et celle de sa famille.
Une protection pour les investisseurs
Selon le site du gouvernement du Canada, le projet d’accord de libre-échange a notamment pour objectif d’établir « des règles concernant la promotion et la protection des investissements et des investisseurs » comme les compagnies minières. On souhaite établir un « mécanisme transparent de règlement des différends entre investisseurs et États ».
Ce genre de mécanisme permet aux entreprises de s’adresser directement à un tribunal d’arbitrage international pour poursuivre un pays et lui réclamer des versements de dommages et intérêts. Or, plusieurs organismes estiment que cette protection offerte aux investisseurs étrangers pourrait décourager les efforts des gouvernements pour protéger l’environnement ou les droits de la personne.
« Ce sont des préoccupations légitimes », estime Charles-Emmanuel Côté, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval. « Ça expose les mesures de tout État à des réclamations. Ça peut faire en sorte que l’État doive organiser une défense coûteuse, dans le cas où, par exemple, des mesures environnementales interfèrent avec des droits privés. »
Côté estime toutefois que les traités de libre-échange peuvent être rédigés de sorte à équilibrer les différents intérêts, en reconnaissant aux États le droit de légiférer pour des objectifs louables comme la lutte contre les changements climatiques.
Une visite constructive
Par courriel, Affaires mondiales Canada dit viser « à garantir que les avantages et opportunités créés par l’accord de libre-échange soient largement partagés, y compris avec […] les peuples autochtones ».
« Nous apprécions les points de vue indépendants et constructifs et nous sommes heureux de rencontrer la délégation en visite ainsi que des groupes de la société civile canadienne », a ajouté le porte-parole Jean-Pierre J. Godbout. « Le Canada reste un fervent défenseur de la participation pleine et effective des peuples autochtones du monde entier aux questions internationales qui les concernent. Les peuples autochtones ont le droit de participer aux décisions qui les concernent aux niveaux mondial, régional et local. »
Fanny Kaekat, elle, considère que les peuples autochtones n’ont pas été consultés par le gouvernement de l’Équateur à propos de cet accord. N’ayant pas réussi à se faire entendre dans son pays, elle et ses collègues ont décidé de voyager pour s’adresser aux Canadiens. Ces défenseures de la nature se sont rendues à Toronto, à Ottawa et à Montréal pour rencontrer des députés fédéraux, le négociateur en chef, des groupes de la société civile, des journalistes et des chefs autochtones du Canada.
« On a ressenti la fraternité avec les autres peuples autochtones. Ça nous motive, a commenté Mme Kaekat. Nous ne sommes pas seules. »