Louis-Gilles Francoeur
Les sociétés commerciales et les organismes publics de la Côte-Nord ont reçu depuis l’automne dernier une pluie de mises en demeure des autochtones, qui les accusent d’occuper illégalement leurs territoires ancestraux. L’affaire suscite beaucoup de remous dans cette région. Hier, l’attaque juridique a visé un cran plus haut.
Les Innus de la bande de Uashat Mak Mani-Utenam, de Sept-Îles, ont servi hier une mise en demeure aux premiers ministres Jean Charest et Steven Harper pour les aviser de ne pas autoriser la construction d’un complexe hydro-électrique sur la Romaine sans leur consentement.
Selon Rosario Pinette, le négociateur de cette communauté autochtone dont Hydro-Québec n’a pas pu acheter l’appui moyennant quelques millions, la ligne de transport à haute tension qui reliera le projet au sud du Québec passera dans leurs terres ancestrales et «fait partie intégrante du projet, tout comme le fil électrique d’une télévision est une partie essentielle de l’appareil».
D’ailleurs, la décision de Québec de scinder l’évaluation environnementale du complexe de son éventuelle ligne de transport n’est qu’un artifice jugé indigne d’un gouvernement dont les lois prévoient une évaluation globale des projets afin d’en favoriser une véritable évaluation publique, dit-il.
La mise en demeure servie par la bande autochtone se veut une démarche similaire à celle que les Cris ont suivie dans les années 1970 et qui leur avait permis d’obtenir une injonction pour paralyser les travaux de la Baie James, a reconnu hier le chef Georges-Ernest Grégoire.
C’est d’ailleurs le même avocat qui a négocié la convention de la Baie James pour les Cris, Me James O’Reilly, qui représente la bande de Sept-Îles dans cette cause sur ses droits ancestraux, une cause plus globale intentée il y a deux ans.
Les autochtones ont aussi servi dans les derniers mois des mises en demeure pour «occupation de nos terres traditionnelles sans notre consentement» aux nombreux industriels de la forêt présents dans leur territoire, aux sociétés minières ainsi qu’aux gestionnaires des ZEC et des réserves fauniques. Ils réclament une entente globale sur l’utilisation de leurs terres ancestrales par les Blancs, qui engloberait notamment des projets hydro-électriques déjà réalisés dans ce territoire, notamment le projet du Haut-Churchill et le projet Sainte-Marguerite. Ils ont carrément l’impression que Québec se hâte d’occuper leur territoire avec les projets du Plan Nord de Jean Charest, ce qui réduit la position de négociation des autochtones ainsi placés devant un fait accompli.
«Si vous persistez à procéder avec le projet la Romaine sans notre consentement, conclut la mise en demeure servie aux deux premiers ministres, soyez avisés que nous allons nous prévaloir de tous les recours judiciaires afin d’empêcher la réalisation du projet dans son ensemble.»
Et le négociateur Pinette ajoute que, de toute façon, «nous allons défendre coûte que coûte notre territoire». Mais il refuse de préciser quels seront les moyens employés et si, tout particulièrement, les autochtones iraient jusqu’à bloquer physiquement l’accès au territoire aux entrepreneurs qui vont s’y pointer dès que Québec aura autorisé le projet, ce qui semble acquis pour tout le monde.
«Tous les moyens seront examinés», dit-il, en temps et lieu.