« Ils peuvent nous détenir physiquement, mais ils ne détiendront jamais nos idées, ni notre esprit, ni notre dignité », a déclaré le président de la Conaie, Leonidas Iza, après avoir été libéré au terme de 24 heures de détention.
Depuis lundi dernier, l’Équateur connaît une grève nationale indéfinie suite à l’appel de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (Conaie) et à laquelle se sont joints d’autres organisations étudiantes, des syndicalistes et des cultivateurs de banane, entre autres.
Cette grève nationale intervient après une année de dialogue infructueux avec le gouvernement. La Conaie a présenté 10 demandes au gouvernement :
- Une réduction et l’arrêt d’augmentations des prix du carburant.
- Moratoire et renégociation des dettes avec les banques pour plus de 4 millions de familles.
- Des prix abordables pour les produits agricoles.
- Plus d’emplois et de droits du travail.
- Moratoire sur l’extension de la frontière extractive minière/pétrolière.
- Respect des 21 droits collectifs : éducation bilingue intégrale, justice autochtone, consultation préalable, entre autres.
- Arrêt de la privatisation de secteurs stratégiques.
- Des politiques visant à contrôler les prix et la spéculation sur le marché des produits de première nécessité.
- Santé et éducation
- Des politiques et des actions publiques efficaces pour mettre fin à la vague de violence qui maintient l’Équateur dans la l’angoisse.
D’après les chiffres de l’Institut national de statistiques et recensements (Instituto Nacional de Estadística y Censos, INEC), à peine 32,5 % des écuatorien.ne.s ont un « emploi convenable », et 23,9 % sont sous-employé.e.s; alors que la pauvreté au niveau national est de 27,7 % et la pauvreté extrême à 10,5%.
Le premier jour de la grève, chaque camp apporte une vision différente. Le ministre du Gouvernement, Francisco Jiménez, a dit que les manifestations ont été « considérablement moins importantes que ce qui était prévu »; alors que la Conaie a indiqué que la manifestation avait été un « succès ».
L’organisation a déclaré que des activités de protestation, principalement des blocages de routes, ont eu lieu dans au moins 17 des 24 provinces du pays ce jour-là. Toutefois, les autorités ont indiqué que les fermetures de routes ont eu lieu initialement dans plus d’une douzaine de provinces, mais se sont ensuite concentrées dans trois d’entre elles : Imbabura, Cotopaxi et Pichincha.
Le même jour, des étudiants d’universités et de lycées ont manifesté à Quito et dans la ville de Cuenca. Dans la capitale équatorienne, le syndicat national des éducateurs (Unión Nacional de Educadores, UNE) a dénoncé les répressions policières vis-à-vis des étudiants de l’Institut national Mejía qui se sont joints à la grève.
Bien que le gouvernement ait déclaré que la protestation était « moins importante » que prévu, le président du pays, Guillermo Lasso, a déclaré qu’au premier jour de la grève, une voiture de patrouille policière avait été incendiée, et a dénoncé une « invasion de producteurs agricoles, des pare-brise de véhicules privés et scolaires brisés, l’attaque d’une installation de pompage de pétrole, des coupures d’eau dans les communautés, des fermetures et des dommages importants aux routes de l’État ».
Deuxième jour agité
Le mardi a été plus mouvementé. La journée a commencé par l’arrestation d’Iza, le chef de la Conaie, arrêté dans le quartier de Lasso, près de Pastocalle, dans le Cotopaxi, au centre du pays.
Le président Lasso, dans un message adressé au pays après l’arrestation, a déclaré sans mentionner explicitement Iza, qu’il avait « initié l’arrestation des auteurs intellectuels et matériels éxecuteurs des actes violents » pendant la grève nationale.
L’arrestation d’Iza a chauffé les humeurs et la Conaie, qui a qualifié l’arrestation d’ « illégale et arbitraire », a appelé à une « radicalisation » de la manifestation. Aux 10 demandes s’en est ajoutée une autre : la libération de leur leader maximal.
Jusqu’aux premières heures du matin, l’incertitude régnait quant à l’endroit où se trouvait le leader autochtone. L’Alliance pour les droits humains en Équateur, qui regroupe 15 organisations, a indiqué que l’endroit où il se trouvait, plusieurs heures après son arrestation, restait « inconnu ». On a appris par la suite qu’Iza avait été emmené au siège de l’Unité de flagellation à Quito, puis ramené par hélicoptère à Latacunga pour l’audience respective de son arrestation.
Il y eu des contradictions entre les institutions de l’État. Plus de huit heures après l’arrestation d’Iza, le ministère public a affirmé qu’il ne lui avait pas été remis et qu’il n’avait pas reçu le rapport de police; avant d’indiqué que le document lui avait été remis. Entre-temps, le ministère de l’Intérieur a déclaré que le responsable de l’opération avait rédigé le rapport aux premières heures du matin et l’avait remis en mains propres au ministère public mardi dans la matinée.
Vers midi, la raison de l’arrestation a finalement été connue. Le ministère de l’Intérieur a déclaré qu’Iza avait été appréhendé « en flagrant délit […] d’obstruction de la route panaméricaine E35 » et que, depuis là-bas, « il dirigeait et promouvait des actions d’escalade et de radicalisation de la violence » dans le cadre de la grève nationale.
Des centaines de personnes se sont rassemblées devant le bureau du procureur de la province de Cotopaxi, à Latacunga, pour demander la libération d’Iza, avant de se diriger vers l’extérieur du centre de réinsertion sociale de Cotopaxi, où elles pensaient que le dirigeant autochtone était détenu. LA Conaie a dénoncé la répression subie par les manifestants, qui ont été touchés par du gaz lacrymogène et des projectiles de plomb.
Des manifestations ont également eu lieu dans d’autres provinces. À Quito, des émeutes ont abouti à l’incendie d’une voiture de police et à l’arrestation de sept personnes, selon l’Alliance pour les droits de humains en Équateur.
24 heures après son arrestation, Iza a été mis en liberté conditionnelle. La juge Paola Bedón, qui a considéré que sa détention était légale, lui a imposé des mesures de prévention, consistant d’une interdiction de quitter le pays et d’une obligation de se présenter au ministère public les mercredis et vendredis pendant les heures de travail.
Après sa libération, Iza a déclaré que sa détention était un acte de persécution politique. « Ils nous ont tendu une embuscade et nous ont pratiquement détenus illégalement. Ils peuvent nous détenir physiquement, mais jamais nos idées, ni notre esprit, ni notre dignité. Ils peuvent vouloir nous tuer, mais ils ne tueront pas nos rêves », a-t-il déclaré.
Au cours de la journée, la Conaie a rappelé quelques mots que Lasso avait dédiés à Iza en décembre 2021. Après avoir qualifié le chef de la Conaie d’ « anarchiste », le président équatorien a prévenu qu’il serait confronté à « tout le pouvoir de l’État, avec toute la force publique », et a ajouté que « ceux qui veulent anarchiser ce pays, interrompre les services publics et aggraver une crise économique, déjà affectée par la pandémie », devraient finir « avec leurs os en prison ».
Autres faits
Mardi, la société chinoise PetroOriental a signalé l’arrêt de huit puits de pétrole dans les blocs 14 et 17 de la province d’Orellana, en raison de l’occupation illégale par quelques personnes Waorani de la communauté Yawepare.
« Les routes d’accès étaient obstruées par des arbres et des fossés », a indiqué la compagnie dans un communiqué, précisant que la perte est estimée à 1 400 barils de brut par jour.
Compte tenu de la situation tendue dans le pays, le ministère de l’éducation a signalé la suspension des cours en personne dans plusieurs cantons de quatre provinces du pays: Pichincha, Pastaza, Bolívar et Cotopaxi.
Troisième jour
Ce mercredi, plusieurs routes du pays ont été bloquées. Dans un premier bulletin, émis peu après 8h du matin (heure locale), la Commission de Transit de l’Equateur (CTE) a signalé que les routes des provinces de Pichincha et Azuay restaient fermées.
Selon le service ECU911, il y a également des fermetures dans les provinces de Napo, Tungurahua, Morona Santiago, Orellana, Pastaza, Chimborazo, Cotopaxi, Imbabura, Bolivar, Loja, Zamora Chinchipe et Cañar.
Mardi soir, des personnes autochtones ont commencé à arriver dans plusieurs camions pour concentrer la manifestation à Quito. Ils sont censés se rassembler dans le parc El Arbolito, dans le centre-nord de la capitale, où ils s’étaient également réunis lors des manifestations d’octobre 2019, mais l’endroit était gardé par un contingent de police.
Combats précédents
La dernière grande protestation du mouvement autochtone a eu lieu en octobre 2019, sous le gouvernement de Lenín Moreno. Il y a eu un soulèvement social du 3 au 13 du mois, en raison de la hausse des prix du carburant ainsi que d’une série de mesures économiques et d’un ensemble de réformes impulsées par l’exécutif.
En raison de la tension qui régnait alors à Quito, le président Moreno avait temporairement transféré le siège du gouvernement dans la ville de Guayaquil, d’où il exerçait ses fonctions. Finalement, 11 jours après le début du soulèvement, un accord qui a permis de lever les protestations a été conclu.
Ces conflits ont fait 11 morts, 1 340 blessés, dont 11 personnes qui ont perdu un œil, et 1 192 détenus, selon le ministère public.
Selon Conaie, le premier grand soulèvement autochtone en Équateur a eu lieu en 1990, pendant la présidence de Rodrigo Borja. Leurs revendications étaient la reconnaissance de l’État plurinational, l’accès aux sources d’eau, la légalisation des terres, entre autres.
En 1994, le mouvement autochtone a fait reculer le régime conservateur de Sixto Durán Ballén sur l’approbation d’une loi agraire. En 1997, il a rejoint la grève des mouvements sociaux ayant conduit à la chute du président Andalá Bucaram. En 1998, il a obtenu l’incorporation des droits collectifs des peuples autochtone dans la Constitution de la République. En 2000, il a participé au renversement du président de l’époque, Jamil Mahuad. Et en 2005, il a fait partie des mobilisations qui ont renversé le président Lucio Gutiérrez.
Texte original et photo: Resumen Latinoamericano 16 juin, 2022