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Un cas de féminicide au Mexique est la cause d’une vive polémique. Il aurait été commis dans la Sierra de Zongolica, dans l’état de Veracruz de Ignacio de la Llave. La victime est une indigène náhuatl âgée de 73 ans nommée Ernestina Ascensión Rosario. Selon des membres de sa famille, elle serait morte après avoir été violée et battue par des soldats des forces armées mexicaines. Par contre, la version officielle l’État rapporte une mort naturelle causée par une gastrite aigüe qui n’aurait pas été soignée, une maladie inflammatoire de la paroi de l’estomac fréquente en situation de pauvreté. Le président de la République du Mexique, Felipe Calderón Hinojosa, soutient la thèse officielle, mais des investigations médicales prouvent pourtant qu’un acte criminel a été commis.
Ernestina vivait à Tetlatzinga, communauté d’environ 930 âmes qui se trouve à 2 590 mètres d’altitude et qui fait partie de la municipalité de Soledad Atzompa, où 82,5% des 20 000 habitants sont des indigènes Náhuatl. 1 À Tetlatzinga, les habitants vivent dans des conditions de vie d’une pauvreté extrême et sont très marginalisés.2 Comme pour plusieurs autres habitants, le commerce de la laine était le principal moyen de subsistance d’Ernestina. Selon les témoignages de sa famille recueillis par le journal mexicain La Jornada,3 elle avait pour habitude de sortir de sa hutte avant le lever du soleil pour aller faire paître ses 25 moutons. Malgré ses 73 ans, elle marchait quatre kilomètres par jour en montagne. Cependant, le 25 février 2007 flui ut tragique. Elle a été retrouvée agonisante à environ 150 mètres de sa hutte entre 17h et 19h.4 Quand sa fille Marta lui a demandé pourquoi elle se trouvait dans un tel état, elle répondit en Náhuatl: « Pinome xoxoke no pan omotlamotlake »5, qui peut se traduire par : « Des soldats vêtus de vert se sont jetés sur moi ». En fait, depuis le 22 février 2007, des soldats du 63e bataillon d’infanterie patrouillaient dans la zone pour lutter contre le narcotrafic. La base d’opération militaire García6 se trouvait à deux kilomètres du lieu où l’agression s’est produite.
Ernestina a été transportée de clinique en clinique par des membres de sa communauté dans un camion pick-up, pour finalement arriver à l’hôpital régional de Río Blanco. Vers 23h00, la gynécologue María Catalina Rodríguez Rosas, spécialiste en délits sexuels auprès du Procureur général de justice de Veracruz (PGJV), a été appelée pour examiner l’état de santé d’Ernestina. Elle affirma alors avoir décelé des lésions internes dans les voies vaginales et anales causées par l’intrusion d’un objet contondant, en concluant qu’il y avait probablement perforation anale et que «ces lésions mettaient en danger la vie de la patiente si on ne les soignaient pas avant 15 jours et que cela requérait une intervention urgente de chirurgie générale et/ou coloproctologique».7 Suite à ce diagnostique, les médecins ont demandé à la famille la permission d’opérer la patiente, mais à six heures matin du 26 février 2007,8 Ernestina s’est éteinte d’un arrêt cardio-respiratoire.9
Une première autopsie a été réalisée sur le corps d’Ernestina le jour de son décès par un expert de la PGJV, Pablo Mendizábal Pérez, détenteur d’une maîtrise en Science pénale et diplômé du Centre d’Investigation et Sécurité Nationale. Ses conclusions ont été reprises dans ces mots par Miguel Mina Rodríguez, sous-procureur de Justice de Veracruz: «L’avis médical d’experts révèle qu’il y a eu rupture du crâne et des côtes, ainsi que lésions dans diverses parties du corps […]. Le viol a été commis tant par la voie anale que vaginale […], des lacérations et des déchirures [y] ont été observés […]. Le décès a été causé par la rupture du crâne et par l’anémie qu’a produit une hémorragie dans la voie anale».10 Les autorités reprocheront toutefois au médecin-légiste d’avoir réalisé l’autopsie dans un lieu non autorisé, soit au salon funéraire Hermanos Vázquez de Orizaba, ce qui n’était pas un choix puisqu’il n’y avait et il n’y a toujours aucun amphitéâtre pour accomplir les autopsies dans la région.11 On lui reprocha aussi de ne pas avoir envoyé immédiatement au laboratoire de la capitale (Xalapa) un échantillon de liquide séminal (présent dans le sperme) prélevé dans le corps d’Ernestina. Mais le docteur Mendizábal Pérez ne disposait pas de moyens pour emmener ou faire parvenir les échantillons. Faute de réfrigérateur, il l’avait pourtant entreposé dans de la glace, mais les directeurs de la Procurature de Xalapa ne sont venu le chercher que deux jours et demi plus tard.12
Le 6 mars 2007, le Secrétariat de la Défense Nationale (Sedena) a émis un communiqué dans lequel il admettait que la mort d’Ernestina avait été causée par un acte criminel. Par contre, il faisait reposer la faute sur un groupe de narcotrafiquants déguisés en soldats, qui aurait commis cet acte violent dans le but de porter atteinte à la crédibilité des militaires afin qu’ils quittent la Sierra de Zongolica et laissent le champ libre pour leurs activités liées au narcotrafic.13 Cette déclaration surprenante fait écho à l’enquête parallèle de la Procurature Militaire, dont les avancées et les résultats n’ont jamais été révélés publiquement.
L’autopsie menée par la PGJV ayant été jugée non conforme aux normes par la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), le corps d’Ernestina fut exhumé pour que soit réalisée une seconde autopsie, le 9 mars 2007, cette fois entièrement pris en charge par la CNDH. Les résultats furent les mêmes mais menèrent à des conclusions différentes: «A été certifié la présence de déchirures dans la voie anale, par contre elles ont été attribuées a des constipations chroniques et une infection des intestins par des parasites»14, ce qui attesterait qu’elle était atteinte d’une gastrite aigüe. De plus, «la présence de fractures aux côtes a aussi été confirmée; par contre, elles ont été attribuées aux exercices de réanimation cardio-pulmonaire»15 et non aux coups reçus lors de l’agression. Quant au présumé échantillon de liquide séminal retrouvé dans le corps d’Ernestina, la substance sera identifiée comme étant du «gel de laboratoire».16 D’autres versions des faits laissent supposer que les prélèvements ne seraient jamais arrivés au laboratoire ou ont simplement été perdus.
Le 13 mars 2007, immédiatement après la publication de ces résultats, le président Calderón déclara se rallier aux conclusions de cette seconde autopsie qui réfute la thèse du viol.17 À sa suite, le 15 mars 2007, le président de la CNDH, José Luis Soberanes, affirmait que la suspicion de viol et de meurtre était «sans fondement» et que «le décès a pu avoir été naturel.»18 Les conclusions de la PGJV auraient été une malencontreuse maladresse et un manquement à l’éthique induisant dans l’erreur les médias et la population. Soberanes dira plutôt que «la vie et la mort d’Ernestina Ascención est un important témoignage sur comment sont les choses quand l’on souffre du retard, de la marginalisation et du manque d’opportunités».19
Le 24 avril 2007, le Gouverneur de Veracruz, Fidel Herrera, et le président de la CNDH, José Luis Soberanes, discutèrent de l’affaire entourant la mort d’Ernestina Ascensión Rosario. Le 30 avril 2007, le dossier fut définitivement fermé par la PGJV suivant les conclusions du rapport de la CNDH selon lesquelles le décès aurait été causé par une gastrite aigüe. L’ex-candidat à la présidence aux élections de 2006 et chef du Parti de la Révolution Démocratique, Andrés Manuel López Obrador, affirmera à ce sujet: «J’ai honte que le gouverneur de Veracruz se soit plié devant le gouvernement de l’usurpateur. Le cas n’a rien pour être fermé, c’est une honte tout ce qui s’est passé. Comment est-ce possible que, premièrement, la Procurature Générale de Justice de Veracruz ait dit qu’il y a eu viol et qu’au moment où Felipe Calderón a déclaré que c’était plutôt un problème stomacal, tous se sont pliés de manière servile? Cela ne devrait pas être ainsi ».20
Malgré tout, la famille d’Ernestina continue d’appuyer la thèse de la mort par crime sexuel. Le neveu d’Ernestina, Alfredo, dénoncera l’État en ces termes : «Pourquoi nous traite-t-on de menteurs si nous disons la pure vérité? Nous ne blâmons pas tous les militaires, seulement ceux qui ont commis ces violences contre ma tante».21 La fille d’Ernestina, Marta, affirmera à son tour : «Pourquoi ne me croient-ils pas? Pourquoi dirais-je des mensonges sur ce que m’a dit ma mère?»22
Le 10 juillet 2008, la citoyenne Patricia Benitez Pérez, membre du Centre des Services Municipaux (CESEM) a recouru à la Loi 848 (Transparence et Accès à l’Information Publique de la PGJV) pour demander une copie de l’enquête ministérielle relative à la mort d’Ernestina Ascención, lequel compte 1 200 pages en 5 tomes et 210 annexes. Sa demande a été refusée en raison du fait que les documents seraient confidentiels et le dossier, fermé. Le 18 août 2008, elle a relancé sa demande à l’Institut d’Accès à l’Information de Veracruz (IVAI), et le 13 octobre 2008, le document réclamé lui a été remis, mais de façon incomplète. En fait, Benitez Pérez n’a reçu que la version publique du cas, qui ne révéle pas les résultats techniques des médecins experts. Le 5 novembre 2008, Pérez Benitez eut recours à un amparo fédéral contre le PGJV et le IVAI. Littéralement le mot amparo signifie abri ou protection; il s’agit d’une garantie des droits constitutionnels des individus qui permet de contester des lois. Le 31 mars 2009, sa demande d’amparo a été rejetée par le Second Tribunal Colegiado. En dernier recours, Pérez Benitez a dénoncé l’inconstitutionnalité de la Loi 848 devant la Première Salle de la Cour Suprême de Justice de la Nation. Le 23 septembre 2009, la demande d’amparo fut de nouveau réévaluée par le ministre pénaliste Juan N. Silva Meza, qui permi la révision de son cas.23
Si Pérez Benitez gagne sa cause, elle aura accès au dossier intégral d’Ernestina Ascención. Une fois le dossier obtenu, les organisations civiles qui appuient sa démarche pensent recourir à l’instance internationale du Système Interaméricain des Droits Humains (CIDH) pour mener l’enquête de ce cas litigieux. Amnesty International a aussi demandé au gouvernement mexicain la réouverture du cas pour le mener devant la Haute Commission des Nations Unies, Human Rights Watch et la CIDH.
Le 28 juillet 2009, une députée du Parti de la Révolution Démocratique présentait une déclaration d’alerte en rapport à la violence de genre devant la Commission Permanente de l’Honorable Congrès de l’Union. On pouvait y lire : «Cette violence de genre se retrouve dans toutes les régions du pays où sont déployés des effectifs militaires qui ont dévié de la mission qui leur avait été confiée et qui installent un climat de répression et de harcèlement contre les civils, spécialement contre les femmes qui sont vulnérables et à qui ont nie les droits».24
Il est important de rappeler que le Président de la République actuel, qui est aussi chef du Parti de l’Action Nationale (PAN), Felipe Calderón Hinojosa, a gagné les élections présidentielles en 2006 avec seulement 43,4% des voix et que des soupçons de fraude pèsent sur lui. Il est donc dans une position de pouvoir fragilisé. Une de ses premières actions politiques aura été d’assurer l’appui de la Sedena en augmentant le budget militaire de 4 millions de pesos.25 S’en est suivi une politique de militarisation du pays avec l’objectif de lutter contre le narcotrafic. En ce sens, l’image ternie des militaires porte atteinte à ce gouvernement en perte de légitimité.
Que l’accusation des militaires dans le cas de la mort d’Ernestina Ascencion Rosario soit vraie ou fausse, une chose est certaine, ce n’est pas un cas isolé. Selon Clara Ferri, collaboratrice du portail Nosotr@s en red, le phénomène serait national et suivrait les plans d’une politique d’État. «Au Mexique, l’indifférence ou la connivence des forces armées dans plusieurs cas de violence faite aux femmes est bien connue. Ciudad Juárez en est un exemple flagrant. Mais il y a quelque chose de préoccupant : ces dernières années, les épisodes de violence sexuelle faite aux femmes par les forces armées se sont multipliés et ceux-ci sont restés impunis dans la majorité des cas. Ce phénomène est alarmant car, d’une part, il envoie un signal évident à la société sur le peu d’importance attribuée à la violence envers les femmes et au féminicide (sa dégénération maximale) et, d’autre part, cela constitue une arme de contrôle politique et social. Un État où la violence faite aux femmes n’est non seulement pas punie mais elle est en plus pratiquée et utilisée par les forces armées pour rétablir l’ordre constitué ne peut être qu’un État autoritaire et incapable de garantir tous les droits humains».26