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Ruée vers l’or en Colombie

Disponible solamente en francés

Le Monde diplomatique
Juillet 2010, p. 14 15

Assurer la sécurité des investisseurs
Ruée vers l’or en Colombie


Par Laurence Mazure

          Alto Guayabal, aux confins des provinces d’Antioquia et du Chocó, au nord-ouest de la Colombie. Le 30 janvier 2010, avant l’aube, les forces armées colombiennes bombardent la demeure traditionnelle d’une famille indigène, membre du peuple Embera Katio. Un enfant de 18 mois est tué, quatre autres personnes blessées, des cultures de subsistance sont détruites, des animaux domestiques déchiquetés. L’armée parle immédiatement de » bavure » dans la traque de guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Pour les organisations indiennes du pays, il s’agit d’une page supplémentaire dans l’offensive des transnationales minières en Colombie. L’attaque a touché l’une des communautés qui entourent Careperro, la montagne » sacrée » sur laquelle lorgne la transnationale américaine Muriel Mining Corporation (MMC), attirée par la présence de minerai aurifère. Un hasard ?

» Un comité que le hasard seul n’aurait pas suffi à réunir… «

          Déplacés en 2000 par le conflit armé, les Embera Katios tentent aujourd’hui de revenir sur leurs terres ancestrales, comme la Constitution de 1991 les y autorise. Durant leur absence, l’agence gouvernementale Ingeominas a délivré neuf licences d’exploration et d’exploitation à l’entreprise, sans se soucier des procédures de consultation des communautés que prévoit pourtant la loi. Selon M. William Carupia, porte-parole de l’Organisation indienne d’Antioquia (OIA), la communauté indigène subirait, depuis deux ans, un » nouveau déplacement forcé » (1).

          Dans un pays où la justice prend trop souvent acte de la domination des puissants, la Cour constitutionnelle arbitra, le 29 mars 2010, en faveur des communautés indiennes et afrocolombiennes du Chocó et d’Antioquia ; elle établit une jurisprudence qui confirmait les droits constitutionnels spécifiques des communautés, et souligna l’obligation pour chacun – y compris les transnationales – de respecter les procédures légales et les impératifs de protection de la biodiversité (2). Une avancée considérable puisque face aux Embera Katios se tenaient les représentants des ministères de l’intérieur et de la justice, de l’environnement, de la défense, des affaires sociales, des mines et de l’énergie ainsi que les forces armées du pays.
Un comité que le hasard, seul, n’aurait pas suffi à réunir…


          Le 21 septembre 1999, le président américain, M. William Clinton, et son homologue colombien, M. Andrés Pastrana, lancent le plan Colombie, » pour la paix, la prospérité et le renforcement de l’Etat «. Le projet vise, promettent-ils, à lutter contre le trafic de drogue. Ils entendent également aider l’armée colombienne à venir à bout des guérillas qui occupent certaines parties du territoire, moyennant le versement de 1,6 milliard de dollars sur trois ans (3).


          Dès le 20 octobre 1999, un amendement vient souligner la seconde fonction du plan : favoriser les investissements étrangers en » insist[ant] pour que le gouvernement colombien complète les réformes urgentes destinées à ouvrir complètement son économie à l’investissement et au commerce extérieur (4) «. Dans l’esprit de ses signataires, les deux objectifs sont intimement liés. En particulier dans le domaine de l’extraction. Quand, quelques années plus tard, le plan national de développement minier 2019 des autorités (publié en 2006) observe que » seul le secteur privé est capable de développer l’industrie minière en Colombie «, c’est pour identifier les entreprises qui ont besoin de » sécurité «.


          Dix ans plus tard, M. Arturo Quiróz, membre de l’Association de l’industrie minière colombienne (Asominas), peut se réjouir : » Aujourd’hui, nous avons un secteur dynamique (…) qui attire certaines des plus grandes entreprises du monde (5). » Avec l’arrivée des sociétés AngloGold Ashanti (sud-africaine), BHP Billinton (anglo-australienne), Greystar Resources Ltd (canadienne), Drummond Company et MMC (américaines), les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur minier sont passés de 463 millions en 1999 à 3 milliards de dollars en 2009, une hausse de 640 % (6). En 2009, celui-ci enregistrait la plus forte croissance de l’économie colombienne et représentait 1,5 %du produit intérieur brut (PIB). L’objectif pour les dix prochaines années ? Dépasser les 6 % du revenu national, comme c’est le cas au Pérou ou au Chili.

   

          A cet effet, le gouvernement vient de dépenser plus de 5 milliards de dollars pour l’aménagement d’infrastructures liées aux secteurs de la mine et de l’énergie : deux fois et demie ses dépenses en infrastructures pour les transports, dix fois plus que les sommes consacrées au logement, vingt fois plus que pour le réseau des télécommunications (7). Le président Alvaro Uribe Vélez, au pouvoir depuis 2002, a par ailleurs assoupli le code minier en 2009 pour faciliter l’obtention des concessions d’exploration et leur enregistrement. Leur durée a été étendue (de cinq à onze ans) et la taxe liée à l’utilisation des terrains, qui pouvait atteindre 2 000 dollars par hectare et par an autrefois, vient d’être ramenée dans le domaine du raisonnable : 8 dollars par hectare et par an, quelle que soit la parcelle.


          Mais, pour M. Quiróz, » l’engouement international pour la Colombie en tant que grand centre d’activité pour l’extraction minière » s’explique avant tout par la politique sécuritaire de l’administration Uribe. Grâce au plan Colombie, cette dernière » a fait de la lutte contre les groupes insurgés une priorité (8) «. Si, au passage, le conflit conduit au déplacement malencontreux (mais fort opportun) de populations qui, comme les Embera Katios, ont la
mauvaise idée d’avoir des ancêtres ayant choisi de s’installer au-dessus de gisements abondants… les compagnies minières ne s’en plaignent pas.
Pour prendre la mesure de cet » engouement «, il suffit d’observer la carte du ministère colombien de l’environnement qui délimite les territoires ayant fait l’objet d’une demande de concession (voir Continuité à la tête de l’Etat). Plus de 40 % du territoire serait concerné, y compris des zones censées être protégées. Rapportée à la France, une telle surface correspond aux régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine, Rhône-Alpes et Auvergne rassemblées.


          Au centre de toutes les convoitises, le platine, l’uranium, les métaux et terres rares comme le molybdène ou le coltan. Mais, surtout, l’or, au sujet duquel la revue économique en ligne Portafolio.com évoquait récemment une nouvelle ruée, qu’elle comparait à une » poussée de fièvre (9) «. Les chiffres sont éloquents : entre 2006 et 2009, la production d’or en Colombie a été multipliée par trois, pour atteindre 1,75 million d’onces en 2009. Une tendance nourrie par l’explosion des cours sur les marchés mondiaux, avec une augmentation de plus de 30 % en un an. Les prévisions pour 2012 évoquent une production de 3 millions d’onces.

 

          Mais l’industrie minière n’en est qu’à ses balbutiements. M. Mario Ballesteros, directeur de l’Institut colombien de géologie et des mines (Ingeominas), estime que la surface totale actuellement explorée atteint 1,69 million d’hectares. Toutefois, M. Andrés Idárraga, spécialiste des questions minières pour le Centre national de la santé, de l’environnement et du travail (Censat, une organisation non gouvernementale), observe que, » pour le moment, il n’y a que très peu de projets en phase d’exploitation «. La » fièvre » actuelle serait donc, selon lui alimentée par la spéculation : » Les petites compagnies réalisent les travaux d’exploration en vue de revendre leurs concessions aux transnationales, en misant sur une plus-value si la présence de minerai se confirme (10). » Les 19 800 demandes de concession déjà enregistrées pourraient par conséquent rejoindre le giron des majors puisque, si l’on compte 5 000 compagnies minières en Colombie, seules trois d’entre elles – AngloGold Ashanti, Greystar et MMC – se partagent en réalité le secteur, le plus souvent au travers de filiales.

 

» La «fièvre» actuelle serait alimentée par la spéculation «


          Reste à savoir, de façon précise, où sont localisées les concessions. Alors que le gouvernement filtre minutieusement l’accès au cadastre (bien que la loi stipule que les cartes du ministère de l’environnement doivent être publiques), les dispositions qui encadrent la formulation des requêtes (loi 685 de 2001) alimentent la confusion. Toute demande de concession ouvre automatiquement la voie aux travaux d’exploration et n’exige aucune étude environnementale. Facilitée au maximum, la requête s’effectue en ligne en indiquant quatre coordonnées GPS déterminant un polygone, un numéro de carte d’identité ou de passeport, un nom, une adresse postale et un numéro de téléphone. Le tout accompagné du paiement d’environ 400 dollars pour l’enregistrement. Aucune vérification n’est effectuée des garanties bancaires du demandeur. Encore moins concernant son passé judiciaire. Comme il suffit que les polygones ne se superposent pas exactement, plusieurs demandes peuvent se chevaucher. C’est souvent le cas.

          La législation, qui vise à établir un » climat de confiance favorable aux investisseurs étrangers «, ignore l’intérêt général… tout comme les questions environnementales. Le 9 février 2010, la loi 1382 était votée pour protéger les paramos (écosystèmes tropicaux froids des Andes colombiennes) ainsi que 500 000 hectares de réserves forestières stratégiques menacés par de nouveaux titres et demandes. Mais le texte n’a aucun effet rétroactif sur les concessions déjà obtenues… Et puis il arrive que les tribunaux entendent les arguments de transnationales estimant qu’une législation trop contraignante entrave leur développement.

          En mai 2010, Greystar obtint ainsi satisfaction en appel contre le gouvernement qui lui demandait de présenter une nouvelle étude sur l’impact environnemental de ses futures installations d’Angostura, dans les montagnes du département de Santander. Les autorités colombiennes estimaient que le gigantesque projet de mine d’or à ciel ouvert risquait de porter atteinte aux écosystèmes locaux. Elles considéraient par ailleurs que, placées très haut dans les Andes, les unités de traitement du minerai (au cyanure) menaçaient l’ensemble du réseau hydrique situé en aval des paramos, ceux-ci fonctionnant comme de gigantesques éponges naturelles qui alimentent rivières et fleuves. C’était peut-être sans compter sur le fait que ce projet devait permettre à Greystar de mettre la main sur plus de 10 millions d’onces d’or. A plus de 1 000 euros l’once sur les marchés (11), un tel gisement méritait que la multinationale livre bataille. Laquelle fut aisément remportée… Selon son vice-président exécutif, M. Frederick Felder, l’entreprise ne s’est jamais inquiétée :» Durant cette période, nous avons poursuivi nos études de faisabilité. (…) Nous ne doutions pas que le gouvernement validerait finalement notre dossier (12). «


» Nous ne disons pas que nous sommes opposés à la mine, une activité qui pourrait aider au développement… «


          Mais les questions liées à l’extraction ne sont pas uniquement d’ordre environnemental. M. Adelso Gallo Toscano milite contre la mainmise de quelques grands groupes miniers sur le territoire colombien, au sein de la coordination Red Colombia, qui rassemble des associations, des syndicats et des coopératives agricoles. Il précise : » Nous ne disons pas que nous sommes opposés à la mine en tant que telle. Ça pourrait être une activité intéressante pour le développement du pays si le gouvernement acceptait de discuter des projets avec les «organisations sociales». Et si, surtout, l’exploitation des ressources naturelles du pays se faisait au bénéfice de la population. » Comment ? » En nationalisant l’industrie ou, au moins, en s’assurant d’un transfert de technologie pour éviter de dépendre, plus tard, du capital étranger. «

          Enthousiaste, M. Gallo cite les exemples de l’Equateur, du Venezuela et de la Bolivie où les choses se passeraient mieux. La Colombie n’est pas le seul pays à promouvoir l’extraction minière comme l’un des axes de son développement économique : l’Amérique latine, qui ne recevait qu’environ 12 % des investissements mondiaux dans le secteur minier au début des années 1990, en collecte aujourd’hui un tiers (13). Mais il serait un peu rapide de suggérer que l’extraction du pétrole équatorien et vénézuélien ou du gaz bolivien ne rencontre aucune résistance. Même si cette exploitation est mise au service d’une amélioration du niveau de vie général, à travers le financement de programmes sociaux – ce qui ne semble pas être le propos en Colombie -, elle suscite des inquiétudes liées à la fois aux questions écologiques et aux droits des populations indigènes, mais aussi à un mode de développement qui renforce le caractère » primaire » des économies de la région. Toutefois, dans ces pays, le débat (parfois violent) semble s’être engagé. La Colombie, elle, compte ses morts.


          Dans la région du Cauca, à Suárez, où la société AngloGold Ashanti est très présente, des menaces ont été adressées en décembre 2009 au représentant syndical de la Centrale unitaire des travailleurs colombiens (CUT) ayant mené un mouvement d’opposition aux travaux de la transnationale. Le 13 février 2010, on apprenait l’assassinat, précédé de tortures, d’Omar Alonso Restrepo et de son frère José de Jesus, connus pour leur mobilisation contre la présence d’AngloGold Ashanti dans la région. Membres du comité d’action communal de la localité de Dorado, ils militaient au sein d’une organisation de mineurs artisanaux et d’agriculteurs qui, depuis plusieurs années, dénonce les ravages environnementaux,
économiques et sociaux des transnationales. Vingt-six organisations ayant signé un communiqué dénonçant ces assassinats soulignent » l’alliance macabre entre le gouvernement et les multinationales de l’or comme AngloGold Ashanti «, ainsi que la poursuite de la » militaris[ation de] la région [qui] rend possible l’action des groupes paramilitaires (14) «.

 
          La situation est d’autant plus sérieuse que le nouveau président colombien, M. Juan Manuel Santos, a, le 17 mai 2010, promis : » Dans le secteur minier, nous ferons tout ce que nous pourrons pour stimuler la croissance, tout en faisant preuve de responsabilité en matière d’environnement (15). » M. Santos ayant choisi comme modèle son prédécesseur, M. Uribe, les transnationales minières ne devraient pas trop avoir à se plaindre de lui.

 

Note(s) :

(1) Entretien avec l’auteure (Bogotá, 20 février 2010).

(2) Arrêt no T-796-32009 de la Cour constitutionnelle.

(3) Lire Maurice Lemoine, » Plan Colombie, passeport pour la guerre «, Le Monde
diplomatique, août 2000.

(4) » S. 1758 : Alliance with Colombia and the Andean Region (ALIANZA) Act of 1999 «,
106th Congress (1999-2000), Washington, 20 octobre 1999.

(5) Cité par Adam Thomson dans » Mining : Vast resources remain largely untapped «, The
Financial Times, Londres, 23 septembre 2009.

(6) Selon le Portail d’information sur l’activité minière en Colombie (www.imcportal.com).
Les chiffres de 2009 sont encore provisoires.

(7) Naomi Mapstone, » Infrastructure : Eager to link up disjointed land «, The Financial
Times, 6 avril 2010.

(8) Cité par Adam Thomson, op. cit.

(9) Ricardo Santamaría Daza, » Se dispara la «fiebre» del oro en diversas regiones del país «, 9
mai 2010, Portafolio.com.co

(10) Entretien avec l’auteure (Bogotá, 4 juin 2010).

(11) Cours du 23 juin 2010.

(12) Diana Delgado, » Greystar says Colombia accepts its gold mine appeal «, Reuters.com,
31 mai 2010.

(13) Anthony Bebbington, » The new extraction : Rewriting the political ecology of the Andes
? «, NACLA Report on the Americas, vol. 42, n° 5, New York, septembre 2009.

(14) » Colombia : continúa exterminio contra Fedeagromisbol. Asesinan a dos agromineros en
el Sur de Bolivar «, 15 février 2010, Biodiversidadla.org

(15) Entretien accordé à Yamid Amat, le 17 mai 2010, www.galeriapolitica.com