Louis-Gilles Francoeur
La commission d’examen conjoint du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et du gouvernement fédéral donne le feu vert au projet de la Romaine malgré les nombreuses zones d’incertitude qui demeurent sur plusieurs questions, à son avis.
Les quatre réservoirs et centrales du complexe de la Romaine devraient produire 1550 MW et ajouter annuellement 8 TWh à la réserve énergétique du Québec. Le projet de 6,5 milliards va créer des réservoirs d’une superficie totale de 279 km2.
La décision de rendre le rapport public a été prise hier matin par la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Line Beauchamp. Son attaché de presse, Dave Leclerc, précisait que le ministère étudiait le rapport du BAPE et que la ministre n’était pas prête à acheminer ses recommandations au gouvernement.
La commission endosse d’ailleurs les points de vue d’Hydro-Québec et du gouvernement Charest en ce qui a trait à la justification du projet. Elle ne reproche ni au ministère de l’Environnement ni à Hydro-Québec de n’avoir pas examiné en profondeur la moindre solution de rechange à ce projet, une règle éthique de base en évaluation environnementale.
Pour les trois commissaires, «quelques sujets abordés par des participants ne relevaient pas de son mandat, notamment la décision d’Hydro-Québec de retenir la filière hydroélectrique». Ce point de vue légaliste a permis aux commissaires d’écarter sur la foi des affirmations d’Hydro-Québec tout projet éolien visant à produire la même énergie et la même puissance, y compris celui élaboré par la Fondation Rivières avec un ancien spécialiste d’Hydro-Québec.
Les commissaires dérogent toutefois à leur approche légaliste quand ils affirment que Québec devrait revoir son règlement sur l’évaluation des impacts environnementaux parce qu’il n’inclut pas dans l’examen environnemental du complexe hydroélectrique les incontournables lignes à haute tension.
Pour les commissaires comme pour Hydro-Québec, le projet correspond aux objectifs de la stratégie énergétique du Québec, soit le renforcement de la sécurité des approvisionnements et l’utilisation de ces projets comme leviers économiques et moyens d’accorder une «plus grande place aux collectivités locales et aux nations autochtones dans le développement énergétique».
La commission avalise aussi l’idée qu’une accélération du développement hydroélectrique permettra d’accroître les exportations mieux que tout autre moyen.
Elle estime, à l’instar d’Hydro-Québec — mais sans affirmer qu’on ne pourrait pas y arriver autrement —, «que le projet vise à produire de l’électricité pour répondre avec flexibilité à des fluctuations quotidiennes ou saisonnières de la demande des marchés visés, la solution de rechange réalisable [étant] un autre projet hydroélectrique».
Impacts sur l’estuaire
Globalement, estiment les commissaires, le mégaprojet «n’est pas susceptible d’entraîner d’effets environnementaux négatifs importants».
Les études indépendantes, qui parlent d’impacts cumulatifs importants des barrages hydroélectriques parce qu’ils priveraient l’estuaire d’apports nutritifs, soulèvent des «hypothèses» intéressantes, selon la commission, mais pas suffisantes pour qu’on les examine à fond avant de pousser le projet plus loin. Encore là, elle propose un «suivi» sur la possibilité d’une baisse des poissons-appâts ou d’autres espèces fluviales, qui pourrait affecter jusqu’aux mammifères marins.
La commission ne reproche pas à Hydro-Québec de n’avoir pas fait d’examen cumulatif des impacts de son projet sur le golfe et sur d’autres espèces comme le caribou, une exigence de la loi fédérale. Encore là, elle recommande un suivi du projet. Elle propose même à Pêches et Océans Canada de réaliser cette étude des impacts cumulatifs des barrages hydroélectriques sur le golfe, que les écologistes auraient voulu retrouver dans l’étude d’impacts.
La commission s’inquiète enfin de voir le nombre de grandes rivières vierges diminuer rapidement sur la Côte Nord. Prenant acte de la volonté du premier ministre Jean Charest exprimée dans son Plan Nord de protéger 50 % des territoires nordiques, la commission avalise la stratégie gouvernementale en proposant que Québec protège désormais une rivière d’égale importance chaque fois qu’il en sacrifiera une, comme la Romaine.
Mercure et désenclavement
Quant au mercure dans l’eau des barrages, la commission «constate» qu’il augmentera. Sans statuer sur les failles des évaluations d’Hydro-Québec, dénoncées en audience par la Société pour vaincre la pollution, les commissaires se contentent de dire qu’en raison «de la communication des risques [aux populations par des campagnes d’information] et du suivi proposé, cette augmentation serait toutefois moins préoccupante pour la santé humaine», ce qui est aussi l’avis de Santé Canada.
La commission propose aussi un «suivi» des émissions de gaz à effet de serre des quatre barrages de la Romaine, qu’Hydro-Québec n’a pas étudiées à fond, et de les inclure dans le bilan du Québec et du Canada.
Les commissaires reconnaissent enfin qu’il y aura des impacts sociaux et écologiques liés à l’ouverture des territoires vierges de la Romaine aux chasseurs et pêcheurs tant autochtones qu’allochtones. Le phénomène a modifié irréversiblement l’écologie de milliers de lacs durant les travaux de la Baie James.
Les mesures envisagées par Hydro-Québec — information et ensemencement de lacs à proximité des chantiers — devraient suffire, selon la commission, à limiter cet impact que la société d’État jugeait pourtant comme étant le principal impact écologique du projet Grande-Baleine.