Publié par Rolando Orantes, Prensa Comunitaria, le 25 mars 2024
Début mars 1966, le gouvernement militaire du Guatemala a kidnappé au moins trente-cinq personnes, les détenant secrètement dans des installations de police et des casernes militaires. Elles n’ont jamais été retrouvées. Ceci fut le début d’une pratique qui s’est ensuite répandue dans toute l’Amérique latine : la disparition forcée comme méthode de répression politique.
L’ancien sergent
En 1967, l’écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Galeano, alors âgé de 26 ans, a interviewé au Guatemala le déserteur de la Police Militaire Mario Julio Ruano Pinzón, un ancien sergent qui avait travaillé au Quartier Général de Matamoros, à Guatemala. Il était le seul témoin des disparitions et vivait dans la clandestinité. Les trois autres, les sergents Carlos Leonardo, Lisandro Chacón et Elías Dubón, avaient été assassinés dans des circonstances apparemment fortuites. L’histoire a été recueillie dans son livre Guatemala: país ocupado, publié la même année et récemment réédité, en 2020, par Siglo XXI sous le titre Guatemala. Ensayo general de la violencia política en América Latina.
Ruano Pinzón raconta à Galeano : « Nous étions quatre subalternes à accompagner les officiers, comme des pistoleros, cette nuit-là ; nous étions avec le troisième chef, le colonel Máximo Zepeda Martínez. » Alors que Ruano montait la garde, une voiture Ford verte est arrivée avec ce qui lui semblait être les dernières personnes arrêtées et qui ont été enfermées dans l’entrepôt de guerre.
Dans la nuit, le colonel Máximo Zepeda a reçu un appel du vice-ministre de la Défense, le colonel Rafael Arriaga Bosque, et a ordonné aux sergents de rester à la porte et de ne laisser entrer personne. Selon Ruano, son ami Miguel Ángel Folgar, téléphoniste du quartier, lui a dit avoir entendu l’ordre directement d’Arriaga Bosque. Les prisonniers allaient être exécutés.
« Je me suis approché de l’un des détenus. Il m’a dit s’appeler Manuel. Je lui ai demandé pourquoi ils l’avaient amené et il m’a dit : ‘Des affaires politiques’. Il m’a dit qu’il avait travaillé pour le colonel Jacobo Árbenz. Il m’a demandé une cigarette et je lui ai donné. Je lui ai demandé s’il voulait quelque chose pour sa famille et il m’a répondu : ‘Ça ne vaut pas la peine. Il ne nous reste que peu d’heures’. Il m’a dit qu’un jour je lirais des livres qu’il avait écrits ».
Peu après, Arriaga Bosque est arrivé et est entré là où étaient détenues les personnes pour se réunir avec les officiers. « Lorsqu’ils ont été fusillés, il y avait le colonel Zepeda, le colonel Óscar Ruiz, le lieutenant Hugo Alonzo et René Ortiz. Le colonel Arriaga Bosque était également présent », a déclaré Ruano Pinzón.
Plus tard, le lieutenant Hugo Edmundo Alonzo a ordonné aux sergents de monter des sacs dans un pick-up et un jeep. En chargeant le premier sac, Ruano a vu ses manches se remplir de sang. Avec le deuxième, il a remarqué « la forme d’un visage et de la poitrine ». Les quatre sergents étaient tachés même si les corps étaient enveloppés dans du nylon. Ensuite, Máximo Zepeda a conduit le pick-up et Hugo Edmundo Alonzo le jeep. Ils se sont dirigés vers l’aéroport, où les subalternes ont chargé les corps dans un avion. Mais ce sont Máximo Zepeda et le lieutenant Hugo Edmundo Alonzo qui les ont jetés dans l’océan Pacifique, a déclaré l’ancien sergent identifié comme Julio Ruano Pinzón.
Une autre personne, « quelqu’un qui doit savoir et qui, en conséquence, a des raisons de cacher son nom », a raconté à Galeano : « Il y a une unité de l’armée, qui agit de manière particulière, qui dissimule ces assassinats ; il y a plusieurs maisons ici dans la ville où elles opèrent. L’une d’elles se trouve derrière le champ d’aviation de La Aurora : c’est une maison de deux étages, avec une clôture devant et toutes les fenêtres murées avec des blocs superposés. Mais ce n’est pas la seule ».
Dans ces maisons, différentes techniques de torture étaient pratiquées. Sa source a parlé à Galeano de certaines d’entre elles. Des méthodes brutales qui révèlent davantage l’intention d’infliger une punition avant la mort que celle d’obtenir des informations, excuse historique des tortionnaires.
« L’individu est attaché avec un élastique autour du cou, un élastique fin dont les extrémités vont à droite et à gauche. De chaque côté du ‘tuyau’, deux individus tirent, cassant ainsi la thyroïde ; la personne se retrouve pratiquement transformée en un sac d’os et de chair : elle perd sa voix, sa capacité à manger et certains mouvements. […] Une autre forme de torture a été celle utilisée sur les frères Pineda Longo ; l’un d’eux a eu les organes génitaux tranchés : c’est ainsi que son cadavre a été retrouvé. Certains se sont vu enfoncer des épingles dans les yeux, puis ils ont été tués ».
Selon le Message à nos consciences, du père Thomas Melville et daté du 20 janvier 1968, la « Nouvelle Organisation Anticommuniste », une prétendue « organisation d’extrême droite », était dirigée par le colonel Máximo Zepeda et les lieutenants Hugo Edmundo Alonzo et Luis Domínguez.
Stella Calloni indique dans son livre Les années du loup. Opération Condor qu’au début des années 70 à Madrid, José López Rega, assistant de l’ancien président argentin Juan Domingo Perón et ultérieurement créateur de l’organisation terroriste Alliance Anticommuniste Argentine ou Triple A, « grâce à son amitié avec l’ancien agent de la CIA et ambassadeur des États-Unis, Robert Hill, s’est lié d’amitié avec l’un des plus grands assassins d’Amérique centrale, le colonel Máximo Zepeda, fondateur et chef de l’Escadron de la Mort du Guatemala, la Nouvelle Organisation Anticommuniste Guatémaltèque (NOA) qui a fait des milliers de victimes dans ce pays ».
Terroristes
Eunice Campirán Villicaña, surnommée Lucía, et David Aguilar Mora, surnommé Damián, étaient des dirigeants du Front Urbain du Mouvement Révolutionnaire 13 Novembre. De nationalité mexicaine, Eunice est née à Toluca le 13 janvier 1943, et David à Chihuahua le 31 décembre 1939. Ils se sont rencontrés au début des années 60 à l’École de Sciences Politiques de l’Université Nationale Autonome du Mexique, où ils ont côtoyé le guatémaltèque Francisco Amado Granados, qui enseignait dans cet établissement et était dirigeant du Mouvement Révolutionnaire 13 Novembre. Eunice et David étaient membres du Parti Ouvrier Révolutionnaire (trotskiste), auquel appartenait également Amado.
Selon une lettre publique distribuée en septembre 1966 par plusieurs médias de gauche internationaux, David Aguilar Mora aurait été torturé et exécuté à la base militaire de Zacapa, et les responsables seraient le sous-lieutenant Carlos Cruz y Cruz, alias Serrucho, ainsi que les membres de la G-2 César Guerra Morales et Rigoberto García, alias El Gato. Eunice Campirán, après avoir été violée par des soldats et des officiers, aurait été assassinée à la hache. Leurs corps ont été enterrés à un endroit connu sous le nom de La Ladera, dans le cimetière de Puerto Barrios.
Manuel Aguilar Mora, frère de David, a déclaré en juillet 1966 au journal mexicain La Prensa qu’Eunice avait été capturée avec Iris Yon Cerna lors d’une réunion et qu’elles avaient été tuées à coups de gourdin. Au moment de leur enlèvement, de leur torture et de leur disparition, David avait 25 ans et Eunice, 23 ans, était enceinte.
Fernando Arce Behrens est né le 31 janvier 1931. Il a étudié à l’École République du Brésil, à l’Institut National Central pour Hommes, à l’Université de San Carlos de Guatemala et au Collège du Mexique, et a suivi des cours de diplomatie de l’ONU. Il a également fait partie de l’équipe de baseball Los Atómicos. Il était le mari de l’écrivaine et journaliste María Atala Valenzuela Marroquín, et a publié dans les journaux Flash de Hoy et La Nación, ainsi que dans les revues El Estudiante, Alero et Lanzas y Letras. À l’âge de 23 ans, il s’est exilé au Brésil, en Uruguay et au Costa Rica. Il était membre du PGT et du MR-13 et a écrit, entre autres essais, La culture maya, Les organisations internationales et l’aide qu’elles apportent au développement et Le Congrès de Panama face aux idéaux bolivariens, selon le Dictionnaire Historique Biographique du Guatemala. Il avait 35 ans.
Víctor Manuel Gutiérrez était un dirigeant assez populaire pendant la décennie révolutionnaire de 1944 à 1954, grâce à son honnêteté et à son charisme. Enseignant de profession, il a été secrétaire général de la Confédération Générale des Travailleurs du Guatemala, membre du Conseil Général de la Fédération Syndicale Mondiale et député au Congrès de la République pour le PGT pendant le gouvernement de Jacobo Árbenz Guzmán. Ses interventions lors de défilés et de manifestations étaient accueillies avec enthousiasme, et ses articles et discours étaient souvent publiés aussi bien dans la presse partisane que dans le journal officiel, mais après l’invasion américaine de 1954, il a dû vivre dans la clandestinité ou en exil. Au Mexique, il a publié des ouvrages tels que Leçons élémentaires de philosophie ; Guatemala contre Ydígoras ; Traits historiques du mouvement syndical latino-américain et Brève histoire du mouvement syndical du Guatemala, entre autres titres. Au moment de sa disparition, il avait 44 ans.
Un télégramme secret de la CIA daté de mars 1966, et largement censuré, indique : « Les communistes et terroristes suivants ont été exécutés secrètement par les autorités dans la nuit du 6 mars 1966 : A. Víctor Manuel Gutiérrez Garbín, leader du groupe PGT vivant en exil au Mexique. B. Francisco ‘Paco’ Amado Granados, un important gauchiste guatémaltèque et leader du Mouvement Révolutionnaire 13 Novembre (MR-13), une organisation guérillera dirigée par Marco Antonio Yon Sosa.
Carlos Barillas Sosa, demi-frère de Yon Sosa ». Un autre document secret indique que le 3 mars 1966, des troupes guatémaltèques avaient capturé à Retalhuleu Leonardo Castillo Flores, « un haut dirigeant du Parti Guatémaltèque du Travail (PGT – Parti Communiste Guatémaltèque) et membre de la Direction composée de trois personnes des Forces Armées Rebelles, le bras armé révolutionnaire du PGT », ainsi que trois autres personnes. Ce même jour, « le groupe a été soumis à un premier interrogatoire par le personnel de l’armée guatémaltèque » et le 4 mars, des officiers envoyés depuis la capitale « spécifiquement pour cette tâche » les ont interrogés.
Après l’interrogatoire, « les prisonniers ont été exécutés secrètement ». L’agent de la CIA qui a rédigé le document précisait que « les prisonniers ont refusé de coopérer, ont été évasifs et/ou ont donné de nombreuses déclarations fausses ».
Journaux locaux américains
Le dimanche 13 mars 1966, le journal américain Youngstown Vindicator, dans l’Ohio, a reproduit une nouvelle publiée par The Washington Evening Star le samedi 12, rapportant que la police guatémaltèque avait « capturé et exécuté sans procès et en secret au moins 26 membres éminents d’une organisation terroriste communiste clandestine ». Jeremiah O’Leary, responsable de l’Amérique latine pour le Evening Star et qui a déclaré avoir des informations provenant d’une source autorisée, a déclaré que parmi les personnes assassinées se trouvaient Víctor Manuel Gutiérrez, le principal théoricien du Parti guatémaltèque des travailleurs (PGT), et Leonardo Castillo Flores, secrétaire général de la Fédération nationale des paysans, tous deux groupes communistes.
The Spokesman-Review, de Spokane, Washington, a ajouté à la nouvelle quelques mots d’O’Leary que le journal de l’Ohio a choisi d’omettre : « La rafle et l’exécution des hauts responsables rouges » avaient commencé une semaine avant les élections « mais les captures les plus importantes ont eu lieu le samedi précédent ». Le chef de la police judiciaire, Alberto Barrios Ramírez, a nié les arrestations et exécutions, « mais ce reporter a appris les détails des membres de la bande de Turcios lors d’une réunion clandestine dans un parc de l’autre côté de la rue du Palais national alors qu’une fusillade se produisait simultanément dans la cachette de Turcios ». O’Leary a ensuite appris « que Turcios s’était échappé de justesse, mais que d’autres avaient été capturés et exécutés. On disait que les victimes avaient été emmenées au sous-sol du siège de la police et torturées, puis emmenées avec des sacs sur la tête dans la campagne et exécutées ».
The Victoria Advocate du Texas a ajouté, toujours citant O’Leary : « L’histoire des exécutions a été confirmée par des sources fiables. Il est entendu que les autorités du Guatemala ont planifié la rafle sur la base d’informations selon lesquelles les principaux leaders rouges allaient arriver dans la capitale pour profiter des violences attendues après les élections ».
Le lundi 14 mars, plusieurs médias locaux ont repris la nouvelle. Le Gadsden Times de l’Alabama a brièvement fait référence à Gutiérrez en titrant que la police guatémaltèque avait tué un « leader communiste ». De même, le Eugene Register-Guard de l’Oregon a mentionné les arrestations de Gutiérrez et de Castillo. Le Reading Eagle de Pennsylvanie a indiqué que la police avait assassiné entre 15 et 25 terroristes rouges et guérilleros, dont le leader du Parti communiste proscrit, Víctor Manuel Gutiérrez, qui vivait en exil à Mexico et dont la capture au Guatemala avait été signalée après les élections présidentielles. Leonardo Castillo Flores, « fonctionnaire dans le régime pro-communiste de Jacobo Árbenz », avait également été capturé.
The St. Joseph Gazette du Missouri a ajouté que les autorités militaires et policières refusaient de confirmer ou de nier les rapports, et que Víctor Manuel Gutiérrez avait quitté Mexico le 1er mars, apparemment pour retourner au Guatemala. Cette information a également été rapportée par le canadien The Montreal Gazette.
Le Lewiston Morning Tribune a également mentionné la disparition de Gutiérrez et de l’ancien dirigeant de la Confédération paysanne du Guatemala, Leonardo Castillo Flores, qui, selon des rapports, « avaient été emmenés les yeux bandés dans un endroit isolé en campagne et exécutés ». Les membres de la famille des personnes capturées avaient tenté par des moyens légaux de faire en sorte que la police les présente en bonne santé. « Ces efforts légaux, généralement efficaces au Guatemala, ont jusqu’à présent échoué dans les cas des communistes disparus ». Thelma de Gutiérrez s’était rendue au Guatemala avec ses deux jeunes enfants, mais n’avait obtenu aucune réponse, tout comme l’épouse de Castillo.
The Morning Record de Meriden, Connecticut, et la Schenectady Gazette ont ajouté que « la police guatémaltèque, apprenant que les communistes s’étaient réunis dans la capitale peu avant le jour des élections, avait mené une recherche intensive des leaders guérilleros ». Turcios Lima, le commandant des FAR qui était récemment revenu de la Conférence tricontinentale de La Havane, « avait échappé de justesse à la capture la veille des élections, lors d’une attaque au cours de laquelle trois agents secrets guatémaltèques avaient été blessés par des tirs de mitrailleuse ». Selon ces journaux, la présence de Turcios dans la capitale avait été confirmée par les rebelles.
Les journaux de Meriden et Schenectady ont également déclaré que cette semaine-là, au Guatemala, circulait la rumeur selon laquelle Yon Sosa avait été assassiné par les FAR. Selon ces journaux locaux américains, après son retour de La Havane, Luis Turcios « avait tenu une réunion secrète avec Yon Sosa, proposant de prendre le commandement de tout le mouvement guérillero au Guatemala ». En refusant, le leader du MR-13, qui « suivait la ligne de Pékin […] avait été exécuté par des membres du groupe pro-Castro de Turcios ». Les journaux provinciaux précisaient que la rumeur n’avait pas été confirmée, mais profitaient de l’occasion pour souligner qu’ils s’appuyaient sur des « cercles par ailleurs habituellement bien informés ».
Propagande électorale
Le dimanche 8 mai 1977, l’ancien dictateur Enrique Peralta Azurdia arriva de Miami, où il vivait depuis plusieurs années, pour entamer sa campagne présidentielle au Guatemala avec le Mouvement de Libération Nationale d’extrême droite (MLN).
La presse a repris l’affaire des disparitions de 1966, les utilisant comme propagande électorale. Le magazine hebdomadaire Inforpress, dans son numéro 241 du 12 mai 1977, a résumé l’affaire sous le titre « Campagne anti-Peralta en cours« , avec des sous-titres tels que « Rappel de l’affaire », « Ydígoras Fuentes interroge Peralta Azurdia« , « Et il veut être président comme ça ? », « Peralta Méndez a transmis l’ordre » et « Ricardo Peralta Méndez : ‘Une accusation ridicule' ».
Selon Inforpress, l’attaque était plutôt dirigée contre Peralta Méndez. Peralta Azurdia ne perdrait pas en sympathie auprès des électeurs du MLN « pour avoir combattu les communistes. Au contraire, son prestige augmenterait ». En revanche, une telle campagne contre son neveu « pourrait effectivement le discréditer aux yeux des secteurs démocratiques ».
Les partisans du général Fernando Romeo Lucas García, candidat du Front Uni (Parti Institutionnel Démocratique, Parti Révolutionnaire, Central Aranista Organisée et l’Alliance Démocratique Guatémaltèque ADG, un groupe d’étudiants et de fonctionnaires municipaux définis comme de gauche populiste) ont mis en cause le politicien de centre-gauche Alberto Fuentes Mohr pour son soutien à Peralta Méndez, « l’un des responsables de la disparition de 28 révolutionnaires lorsqu’il était chef d’état-major présidentiel ».
Clemente Marroquín Rojas a défini l’événement comme « un acte de violence suprême : jeter à la mer 29 hommes comme s’ils étaient de pauvres poissons. Un acte de barbarie suprême qui n’a rien d’honnête. Assassinés à Matamoros, emmenés à Retalhuleu en avions militaires et de là, sur le chemin de la mer, pour être jetés dans des sacs en cellophane ».
Jorge Palmieri a affirmé, se référant également à Peralta Azurdia, que « les ‘autorités’ sous son commandement ont lâchement assassiné les 28 dirigeants communistes, qui ont finalement été ’empaquetés’ dans des sacs en nylon et jetés à la mer depuis un avion militaire ». Il a remis en question la prétention de Peralta à être le « favori des masses » lorsqu’il a « ordonné (ou permis) l’assassinat du brillant leader ouvrier, le professeur Víctor Manuel Gutiérrez », que « même le colonel Carlos Castillo Armas » n’a pas voulu tuer, ou Ydígoras, qui n’a pas « voulu porter sur sa conscience le poids de la mort d’un homme honnête et patriote ».
Les deux dirigeants « n’ont jamais oublié que Gutiérrez était un être humain, ayant droit à la vie malgré ses idées marxistes ». Peralta Azurdia, quant à lui, « n’avait aucune objection à ce que sa police secrète, sur ordre de ses supérieurs, le tue cruellement, en mettant sa tête dans des sacs de gamexan ». L’éditorialiste demande : « Et espérez-vous encore que les Guatémaltèques – la majorité, qui sont bien sûr les plus pauvres et les plus exploités – vous éliront librement comme président de la république ?
Un éditorial de La Hora précise que Gutiérrez a été capturé « et emmené avec ses amis à la forteresse de Matamoros, où le colonel Arriaga Bosque était chef ». Après avoir discuté de leur sort, il a été décidé de les « liquider, car sinon Gutiérrez continuerait à semer le trouble dans la république ». Selon le journal, « le colonel Peralta, cependant, ne voulait pas aller jusqu’à une telle extrémité irréparable ; mais finalement il décida de donner l’ordre de les exécuter. Cet ordre a été transmis au colonel Arriaga Bosque par l’intermédiaire du chef d’état-major du colonel Peralta Azurdia, aujourd’hui le général Don Ricardo Peralta Méndez, et une fois l’ordre donné, le crime a été perpétré : dans les cachots de la forteresse de Matamoros, ces 29 hommes ont été égorgés par un groupe de six soldats, un caporal et un officier ».
Pour se débarrasser de « ces cadavres saignants », les officiers proposèrent différentes options : les jeter dans le volcan Masaya au Nicaragua, les « enterrer la nuit à La Verbena » ou « disperser les cadavres le long des routes lointaines ». Mais l’un d’entre eux « imposa son critère : les jeter à la mer », et « emballés dans des sacs de cellophane, ils furent emmenés à l’aérodrome, où ils furent transférés par avion à Retalhuleu, où les pilotes furent changés, afin qu’ils puissent mettre fin à la décision de jeter les cadavres à la mer, à trente kilomètres en ligne droite vers le large », précise La Hora.
L’éditorial regrette que seul Peralta Azurdia ait été accusé, car « il y avait plusieurs personnes impliquées dans cette activité macabre : le chef de la forteresse susmentionné, le colonel Arriaga Bosque, le colonel Ricardo Peralta qui a donné le dernier ordre, et les pilotes qui ont reçu les corps dans leurs navires ».
Ricardo Peralta Méndez a nié avoir participé aux disparitions et a indiqué que ces déclarations l’avaient fait rire « parce qu’elles étaient fausses ». Lors des élections du 5 mars 1978, auxquelles seuls trois candidats ont participé, Peralta Méndez est arrivé en troisième position. Son oncle, l’ex-dictateur Peralta Azurdia, avait une avance d’environ 9 %, mais cela n’a pas été suffisant pour se déclarer vainqueur. Après les élections, il est retourné à Miami, où il est mort de causes naturelles à l’âge de 88 ans en février 1997.
Pour sa part, le colonel à la retraite Rafael Arriaga Bosque est décédé quelques mois après que Palmieri et Marroquín Rojas eurent relancé dans les journaux l’affaire des disparitions de 1966. Le matin du 29 septembre 1977, « un groupe de six terroristes armés de mitraillettes » a intercepté le soldat de 57 ans alors qu’il rentrait du marché, a rapporté le journal américain La Opinión. Selon le journal The Blade de Toledo (Ohio), la police pensait que des guérilleros de gauche étaient responsables. Mais ce n’est qu’en mars 1980, lorsque le PGT-Parti communiste a revendiqué l’exécution de Máximo Zepeda, une autre personne impliquée dans les disparitions de 1966, qu’il a été révélé que l’attentat contre Arriaga avait été perpétré par un commando urbain du PGT.
Jorge Palmieri est devenu l’ambassadeur au Mexique du candidat vainqueur, le général Romeo Lucas. En tant que représentant dans ce pays, dans la nuit du 31 janvier 1980, lors d’une interview au journal télévisé mexicain 24 horas, il a justifié le massacre de l’ambassade d’Espagne par la police, au cours duquel 38 personnes ont été brûlées à mort. Il a dit que ses occupants se sont auto-immolés et a exprimé son espoir que le communisme ne se propage pas en Amérique comme l’incendie de cette ambassade, devant un Jacobo Zabludovsky abasourdi.