18 juin 2021
La dépossession de leurs territoires et la criminalisation de la communauté de Chicoyogüito. Voilà la réalité d’une communauté expulsée de ses terres et qui réclame justice depuis plus de 50 ans. Aujourd’hui, 21 membres de la communauté sont poursuivis en justice.
Jody García / laCuerda
Depuis 2008, la communauté de Chicoyogüito organise chaque année une marche pacifique pour demander la restitution de ses terres. Le village était installé depuis les années 1950 sur un terrain à Cobán, Alta Verapaz. Cependant, en 1968, la population a été expulsée par l’armée, qui y a construit un détachement militaire.
Aujourd’hui, on y trouve le Commandement Régional de Formation aux Opérations de Maintien de la Paix (Creompaz), où, en 2017, la Fondation guatémaltèque d’anthropologie médico-légale (FAFG) a trouvé 557 ossements.
Depuis l’expulsion, les survivants et leurs familles vivent dispersés à Alta Verapaz et dans d’autres régions du pays. En juin de chaque année, ces personnes se rassemblent pour demander que leurs terres leur soient restituées. L’itinéraire habituel était différent cette année en raison de la pandémie de Covid-19.
« Nous menons la même lutte que nos parents. Mon père et mon grand-père ont été expulsés en 1968 et maintenant nous sommes ici: des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Chaque année, nous faisons cette marche, mais maintenant Alta Verapaz est en zone rouge à cause de la pandémie, donc nous cherchons un endroit spécifique pour la faire », a déclaré Olivia Sierra, leader de Chicoyogüito.
Cette année, ce qui avait commencé pacifiquement s’est terminé par des agressions contre la communauté et des arrestations.
Le 9 juin, 21 hommes qui faisaient partie de la marche ont été arrêtés et accusés d’usurpation aggravée*, alors que des femmes et des jeunes filles ont également été agressées par des agents de la police nationale civile (PNC), a déclaré Jovita Tzul, une avocate de Chicoyogüito.
« Le but de la manifestation était d’exiger la présence des autorités de l’État pour qu’elles s’engagent dans un compromis avec la communauté. Cela ne pouvait plus se faire, car la communauté a été violemment expulsée par la police sans être écoutée. La police les a accusés de vouloir usurper les terres, mais l’intention de la communauté était d’être écoutée. À cause de la pandémie, les manifestant.e.s ne se sont pas placé.e.s devant (le siège du) Gouvernement Départemental », a dit Tzul.
Selon l’avocate, la plupart des personnes qui ont été attaquées par la Police étaient des personnes âgées et des femmes.
« Il y a eu des coups de feu et heureusement aucune balle ne les a touchés », a déclaré l’avocate. Quatre membres de la communauté ont été accusés par la Police d’avoir attaqué.
La première audience de déposition sera tenue par le tribunal de première instance de Cobán. Les 21 personnes ont été envoyées dans un centre de détention de la même municipalité.
L’histoire se répète
« Nous voulons que les 21 camarades soient libérés parce qu’ils sont accusés d’usurpation, mais les camarades n’étaient pas des envahisseurs, ils ne faisaient que marcher pacifiquement », a insisté Olivia Sierra.
Alors que les demandes de la communauté ne sont pas honorées par l’État et que leur lutte est criminalisée, ceux qui vivaient dans la communauté sont maintenant confrontés à des conditions de pauvreté. Le Centre d’Action Juridique pour les Droits Humains (CALDH) a effectué un recensement parmi les habitants de Chicoyogüito qui a révélé que les familles vivent quotidiennement, avec un revenu de moins de 300 quetzals par mois (soit, environ 48$ CAD). Ces familles ne possèdent pas des terres pour travailler et se retrouvent maintenant sans travail à cause des arrestations par la police.
« Beaucoup de personnes expulsées depuis 1968 louent des maisons et des terrains. Maintenant, ils nous enlèvent nos terres parce que nous vieillissons et ne pouvons pas travailler », a déclaré Sierra.
Cela affecte le développement des enfants et provoque des dépressions nerveuses chez les femmes.
« Dans ce cas, la restitution des terres se fait contre l’armée guatémaltèque et par le dialogue. Il y a déjà eu des engagements qui n’ont pas été tenus », a déclaré M. Tzul.
CALDH, Udefegua, l’Équipe d’Études Communautaires et d’Action Psychosociale, ainsi que le coordinateur de Genocide Nunca más (Never Again) ont exigé la libération des 21 hommes. Ils ont également rappelé que ce n’est pas la première fois que l’État viole les droits de la communauté.
« En ce moment, il est urgent d’accompagner et de soutenir la communauté de Chichoyogüito pour la libération des membres de la communauté qui sont emprisonnés. Il est également nécessaire de documenter les violations des droits humains dont ils ont été victimes depuis leur arrestation et jusqu’à ce jour », indique le communiqué des organisations.
*Usurpation Agravée dans le Code pénal du Guatemala:
Article 256 « Usurpation. Qui se lit comme suit : Le crime d’usurpation est commis par quiconque, à des fins de saisie ou d’exploitation illicite, dépossède ou tente de déposséder un autre de la possession ou de la jouissance d’un bien immeuble ou d’un droit réel constitué sur celui-ci, ou qui, à quelque fin que ce soit, envahit ou occupe illégalement un bien immeuble. Source: Ley de Guatemala
Source: LaCuerda
Source photo: LaCuerda (Caso Creompaz). Droits réservés.