Au Guatemala, il est possible d’acheter une rivière. De plus, vouloir se porter à la défense des rivières peut également signifier une très longue peine de prison. C’est ce que subit le leader communautaire Bernardo Caal Xol. Dans ces lignes, nous abordons son cas et ses lettres avec lesquelles il tente de se défendre. Sa parole qui coule comme les eaux de la rivière qui, freinée ou non, ne s’arrêtera jamais.
Bernardo Caal Xol est en prison pour avoir défendu la rivière sacrée de sa communauté.
Autochtone maya du peuple Q’eqchi’, leader communautaire et enseignant, il a dirigé depuis 2015 la résistance des communautés de Santa María Cahabón à la construction du barrage hydroélectrique OXEC sur les rivières Oxec et Cahabón. Ce mégaprojet est l’affaire de Florentino Pérez, puissant homme d’affaires espagnol et président du club de football du Real Madrid.
L’organisation communautaire autochtone de la région et leur leader Bernando Caal dérangent tant l’homme d’affaires espagnol que les intérêts transnationaux en général. Pour cette raison, le 15 octobre 2015, ils ont accusé Caal d’actes de violence présumés contre des employés de NETZONE S.A., un contractant d’OXEC. Trois ans plus tard, le 9 novembre 2018, il a été condamné à 7 ans et 4 mois de prison dans un cas « qui montre les mêmes scénarios de criminalisation contre les défenseurs des droits humains que nous avons documentés depuis des années au pays », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice régionale d’Amnistie Internationale.
Les organisations non gouvernementales le disent sans hésiter : Bernardo Caal Xol est victime de la criminalisation des défenseurs de l’environnement.
Le système judiciaire guatémaltèque n’écoute pas, il retarde les audiences.
Les puissants de son pays garantissent l’impunité.
Bernardo Caal Xol est toujours emprisonné. Il a été privé de plus de 1200 jours de sa vie pendant que la société étrangère exploite les rivières sacrées d’Alta Verapaz comme si elles étaient leur propriété.
Mais Bernardo, enseignant, père et leader maya Q’eqchi’, veut encore partager sa parole. Il a écrit une lettre en prison. Ce faisant, dans sa propre écriture, il surmonte les murs du silence et sème l’espoir.
Guatemala, 24.04.2021
Je suis Bernardo Caal Xol, du peuple Maya Q’eqchi’, Guatemala. J’ai 49 ans. Je suis né dans les montagnes de la municipalité de Cahabón. Je suis né à cet endroit, parce que mes grands-pères et mes grands-mères ont décidé de fuir l’esclavage que subissaient les peuples autochtones dans les plantations de café des propriétaires étrangers, ceux qui avaient dépossédé le peuple Q’eqchi’ de leur territoire. Mes parents m’ont amené à l’école primaire, je suis revenu des montagnes au centre urbain, là j’ai appris à parler espagnol. J’ai étudié le niveau de base, puis j’ai déménagé à la capitale départementale de Cobán pour étudier afin de devenir professeur. En 1995, je suis retourné dans ma communauté pour travailler comme enseignant sous contrat avec l’État du Guatemala.
En 2015, nous avons commencé à dénoncer, avec les communautés, la présence des entreprises hydroélectriques qui commençaient à canaliser la rivière Ox-eek’ et la rivière Cahabón.
En 2016, nous avons visité toutes les agences gouvernementales pour déposer nos plaintes.
En 2017, les entreprises hydroélectriques Oxec S.A. qui opèrent dans les limites municipales de Cahabón Alta Verapaz, ont été suspendues par les plus hautes instances de justice du Guatemala. En même temps que ces décisions étaient prises, les différents médias ont commencé une persécution, une campagne de diffamation et de calomnie contre moi. Ces efforts ont eu comme effet l’établissement d’un discrédit total sur ma personne. La même année j’ai eu deux mandats d’arrestation émis par un juge à Coban Alta Verapaz.
Le 30 janvier 2018, je me suis présenté à l’une des audiences judiciaires et j’ai été arrêté. Je suis actuellement emprisonné. La compagnie Oxec Hydroelectric S.A. et l’entreprise sous-traitante Netzone, m’accusent de vol aggravé et de détention illégale. Toutes les personnes qui témoignent contre moi sont des employés d’Oxec Hydroelectric S.A. Je suis emprisonné depuis trois ans et trois mois. Le processus n’est pas terminé, car le système judiciaire utilise des tactiques dilatoires afin de me garder en prison.
Le peuple Q’eqchi’ continue de lutter et de résister pour les rivières Cahabón et Ox-eek’.
La rivière Cahabón est une rivière sacrée pour mon peuple. Le Popol Vuh, le livre sacré des Mayas, indique que cette rivière est l’endroit où se déroule l’histoire de Hunahpú et Ixbalanqué, les jumeaux de la mythologie racontée dans notre livre.
Plusieurs barrages hydroélectriques ont été construits sur la rivière Cahabón, la détournant et la canalisant sur plusieurs kilomètres, soit environ 50 km. Sur ces cinquante kilomètres, les familles de Q’eqchi n’ont pas accès à l’eau. La plupart de ces centrales hydroélectriques ont été construites par la société « cobra » de Florentino Perez, président du Real Madrid (Espagne).
Les plus hautes instances judiciaires du Guatemala ont reconnu qu’il n’y avait pas eu de consultation préalable, mais elles ont statué en faveur des entreprises afin qu’elles poursuivent leurs activités sur le fleuve.
La lutte continue… !
Source et photo: Enquet’Action