Le Tribunal Permanent des Peuples et la session sur le génocide politique, l’impunité et les crimes contre la paix en Colombie
Déclaration du Jury du TPP lors de la cérémonie de lancement le 26 janvier 2021
Comme l’ont largement rapporté de nombreuses sources d’information colombiennes et internationales, le Tribunal Permanent des Peuples a officiellement entamé une procédure à l’encontre du gouvernement et de l’État colombien le 26 janvier 2021, présentée par une plateforme d’entités promotrices regroupant 126 organisations et plus de 170 défenseur.e.s des droits humains, artistes, universitaires et personnalités politiques colombien.ne.s. Le secrétariat général du TPP considère le texte officiel de la déclaration du président du TPP, Philippe Texier, et du jury comme étant la contribution la plus utile à la campagne de visibilité, qui est par définition la première et fondamentale réponse qu’un tribunal d’opinion apporte à une accusation de violations aussi graves des droits humains et des peuples qui a été entendue ce jour-là.
L’histoire des relations du TPP avec la Colombie est longue. Elle a débuté par le cycle de sessions sur l’impunité en Amérique latine et en Colombie, de 1989 à 1991, qui a abouti avec la tenue d’une audience à Bogota en avril 1998. Celles et ceux qui ont participé à l’audition sur la Colombie ne peuvent oublier que, au cours de cette session, le rôle de procureur a été assumé par notre grand ami Eduardo Umaña, qui a été assassiné plusieurs années plus tard, sans que les auteurs de ce crime aient été jugés, ce qui confirme l’impunité permanente que nous dénonçons depuis lors.
Les auditions sur le rôle des sociétés transnationales se sont poursuivies entre 2006 et 2008. Aujourd’hui, nous sommes sur le point d’entamer une nouvelle session sur le génocide politique et l’impunité. Plus de trente ans se sont écoulés depuis la première audience sur la Colombie, et les graves violations des droits humains se sont poursuivies, avec un niveau très élevé d’impunité, comme cela a été constaté lors d’audiences successives.
L’acte d’accusation qui vient d’être présenté montre une continuité dans la répression massive de la protestation sociale, depuis l’affaire des compagnies bananières en 1928 jusqu’à aujourd’hui. Déjà, il y a près d’un siècle, le rôle des sociétés transnationales a été reconnu et dénoncé, mais ces entreprises ont continué à opérer dans le pays depuis lors. L’accusation met également en évidence la répression exercée contre les syndicalistes et les assassinats de syndicalistes ; les crimes politiques, de l’assassinat de Gaitán à l’élimination des membres de l’Union patriotique.
Lors de la première audience sur l’impunité en Amérique latine, et précisément en Colombie, la Cour a décrit la réalité de la Colombie comme étant : « Un gouvernement formellement démocratique, sur lequel repose une exécution inhabituelle et persistante de crimes contre l’humanité. La violence institutionnelle (forces armées et organismes de sécurité), la violence parainstitutionnelle (agences paramilitaires) et la violence extra institutionnelle (tueurs à gages, ou sicarios en espagnol) … visent à éliminer toute personne et organisation sociale, syndicale ou politique qui s’oppose aux structures socio-économiques et politiques injustes en vigueur dans le pays. L’assassinat de leaders populaires et de politicien.ne.s de l’opposition, les disparitions forcées, les massacres de paysan.ne.s, les attentats à la bombe dans les zones rurales, la détention illégale, sont plusieurs des instruments utilisés dans la violation systématique et permanente des droits les plus élémentaires ». L’audience a également décrit les mécanismes d’impunité, qui sont restés en vigueur pendant de nombreuses années….
Lors de sa session de juillet 2008, le Tribunal a condamné le gouvernement Colombien « pour sa participation, directe ou indirecte, par action et par omission, à la perpétration de pratiques génocidaires, … de crimes contre l’humanité … et pour son manquement à ses obligations de poursuivre le génocide, … et les crimes contre l’humanité, et en particulier la violation du droit à une protection judiciaire effective et des droits internationalement reconnus des victimes de ces crimes …« .
Depuis la dernière session du Tribunal, le conflit armé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a pris fin et s’est conclu avec l’accord de paix signé par les parties en novembre 2016. Les organes créés par l’accord, le PEC, la Commission pour la vérité et l’Unité de recherche des disparus, continuent de mener un travail très sérieux, dévoué et utile. Mais, malgré cela et la volonté du peuple colombien de vivre en paix, des assassinats de leaders sociaux et sociales, de défenseur.e.s des droits humains, de membres de communautés autochtones, de paysan.ne.s et de signataires de la paix (membres des FARC) continuent d’être commis, dans le prolongement de ce qui avait été dénoncé lors des précédentes audiences.
Sur la base de ces brèves considérations, j’accepte, au nom du Tribunal, l’accusation présentée par l’Observatoire des droits humains et du droit humanitaire, la coordination Colombie-Europe-États-Unis et la coordination des organisations non gouvernementales et sociales des droits humains, et je confirme que la 48ème session du Tribunal permanent des peuples se tiendra à Bogota du 25 au 27 mars 2021.
Philippe Texier, Président du Tribunal Permanent des Peuples (TPP)
au nom du jury, composé de :
Andrés Barreda (Mexique), Luciana Castellina (Italie), Graciela Daleo (Argentine), Mireille Fanon Mendès-France (France), Daniel Feierstein (Argentine), Luigi Ferrajoli (Italie), Michel Forst (France), Esperanza Martínez (Équateur), Luis Moita (Portugal), Antoni Pigrau Solé (Espagne)
et le secrétariat général du TPP, dont les membres sont :
Gianni Tognoni, secrétaire général, et Simona Fraudatario, coordinatrice
Source et photo: Tribunal Permanente de los Pueblos – Colombia 2021