Au nom de la société civile canadienne et de la communauté universitaire travaillant avec les peuples du Guatemala, nous communiquons notre profonde inquiétude face à la tentative de coup d’État qui se déroule actuellement au Guatemala.
Le Guatemala se trouve à la croisée des chemins entre le rétablissement d’une démocratie chancelante ou la cooptation complète de l’État par des forces politiques et économiques liées à des structures criminelles. La réponse de la communauté internationale à cette crise — et celle du Canada — ne saurait être plus importante.
Depuis la victoire surprise du candidat anticorruption Bernardo Arévalo à l’élection présidentielle du 20 août, le « Pacte des corrompus », une alliance entre l’élite économique, ex-militaires et des conservateurs qui contrôle la majeure partie de l’État guatémaltèque, a cherché à renverser les résultats. L’inauguration de la nouvelle administration et du nouveau congrès, qui doit avoir lieu le 14 janvier, pourrait être empêchée par ces forces politiques qui se voient menacées. Il n’est donc pas certain qu’Arévalo et son équipe soient autorisés à prendre leurs fonctions.
Dans les mois qui ont suivi la victoire d’Arévalo, différentes branches de l’État guatémaltèque, dont le pouvoir exécutif, une grande partie du pouvoir législatif, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, ainsi que le bureau du procureur général — tous profondément compromis avec le crime organisé — ont pris des mesures extraordinaires pour bloquer l’entrée en fonction du président élu, y compris un ordre de suspension contre le parti d’Arévalo ayant gagné aux urnes, le Movimiento Semilla (Mouvement Semence). Des partisans du parti ont été arrêtés et des magistrats du tribunal électoral ont également été menacés de poursuites.
À cela s’ajoutent les efforts visant à lever l’immunité juridique du président élu et du vice-président élu, ainsi que des représentants de Semilla au Congrès, afin de les poursuivre sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, telles que l’expression sur les médias sociaux d’un soutien aux manifestations d’étudiants en faveur de la démocratie. De nombreux défenseurs et responsables de la lutte contre la corruption ont déjà été inculpés et emprisonnés, ou contraints à l’exil, dans le cadre d’une perversion inquiétante de la justice au Guatemala en cours depuis le départ de la CICIG (Commission internationale contre l’impunité au Guatemala) en 2019 et qui s’est accentuée dans la dernière année.
En réaction, guidées par les autorités ancestrales autochtones, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour défendre le processus démocratique et l’état de droit au Guatemala. D’importantes manifestations non violentes ont secoué le pays pendant une grande partie des mois d’octobre et de novembre. Pourtant, le Congrès et le bureau du procureur général n’ont fait qu’accentuer leur assaut à la démocratie, obligeant la plupart des juges du tribunal électoral à quitter le pays et exigeant que la Cour suprême annule les élections.
Les autorités ancestrales ont fait l’objet de représailles : menaces, criminalisation et assassinats, dont celui du leader xinka Noé Gomez tué le 28 octobre. Les conflits en régions rurales augmentent également, les propriétaires terriens et l’agro-industrie profitant de la distraction causée par la remise en cause de la transition démocratique pour procéder à des déplacements extrajudiciaires de communautés autochtones.
Le 8 décembre, le Secrétariat général de l’Organisation des États américains (OEA) a condamné ce qu’il a appelé « la tentative de coup d’État du ministère public du Guatemala », par l’annulation des élections générales, qui « constitue la pire forme de rupture démocratique et la consolidation d’une fraude politique contre la volonté du peuple ».
Les jours qui précèdent l’investiture présidentielle du 14 janvier sont cruciaux pour l’avenir du Guatemala. Si Arévalo arrive à prendre ses fonctions, il le fera avec un mandat écrasant pour faire reculer la corruption et rétablir les institutions démocratiques qui ont été si gravement érodées au cours des cinq dernières années.
Mais si le coup d’État au ralenti qui est en cours en vient à réussir et qu’Arévalo est empêché de prendre ses fonctions, ce sera le coup de grâce à la reconstruction démocratique qui a été si laborieusement construite par de courageux Guatémaltèques, avec le soutien de la communauté internationale dont le Canada, après 36 ans de conflit armé.
Le Canada et ses alliés doivent faire savoir sans ambiguïté qu’après le 14 janvier, ils ne reconnaîtront aucun autre gouvernement au Guatemala que celui du président Bernardo Arévalo. Les conséquences d’un éventuel renversement de la démocratie doivent également être claires comme de l’eau de roche : 1. suspension de l’aide bilatérale ; 2. gel des avoirs de l’État guatémaltèque détenus à l’étranger ; 3. l’opposition à toute nouvelle aide financière de la part des institutions multilatérales de crédit, telles que la Banque interaméricaine de développement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
L’alliance impliquée dans le lent coup d’État commence déjà à s’effriter face à la résistance massive et continue du peuple guatémaltèque et à la pression croissante de la communauté internationale. Si les conséquences internationales de la rupture démocratique sont rendues explicites, cela pourrait suffire à faire pencher la balance en faveur de la démocratie et de l’espoir.
Nous comptons sur le gouvernement du Canada pour faire une déclaration ferme de soutien à Arévalo et pour dénoncer la tentative de coup d’État au Guatemala.
Source: https://www.ledevoir.com/opinion/idees/804930/idees-democratie-justice-ne-tiennent-fil-guatemala