Il y a des grèves avec peu de visibilité, mais dans lesquelles des vies sont tout aussi en jeu. En Colombie, depuis la fin avril, les manifestations se multiplient en raison de la précarité des populations dans différents secteurs. Les populations touchées par le mégaprojet Hidroituango, promues par la multinationale Empresas Públicas de Medellín (EPM) ont fait grève une fois de plus pour lutter vivement et vigoureusement. Ils arrêtent, finalement, la grève puisqu’ils atteignent un espace historique de négociation. Pour éviter que la table de négociation n’aboutisse à rien, le Mouvement Ríos Vivos appelle déjà à une nouvelle grève, le 18 juin, au cas où il n’y aurait pas d’avancées significatives au cours du mois prochain.
Les 300 de la première ligne
Le 9 mai, des paysan.ne.s, des mineur.e.s, des pêcheur.seuse.s de Sabanalarga, Briceño, Ituango, San Andrés de Cuerquía, Valdivia et Tarazá se sont réunis pour bloquer les travaux du mégaprojet dès le lundi 10 mai. La tâche ne fut pas facile. La EPM a bloqué l’accès des territoires avec des barreaux installés à divers endroits, maintenu par une sécurité privée qui intimide depuis des mois ceux et celles qui veulent pêcher dans les zones de la rivière Cauca ou ceux et celles qui veulent se mobiliser près du réservoir. Tout de même, les travailleur.euse.s ont réussi.
Les 300 femmes et hommes ont chacun.e.s emprunté des tunnels situés dans les communes de Briceño y de Ituango, ainsi que le mur du réservoir, pour empêcher l’arrivée des matériaux et du personnel. En tout, ils ont permis à près de 1100 jeunes travailleur.euse.s qui se déplacent à travers les tunnels du mégaprojet de partir. Ils ont aussi permis l’entrée et la sortie de nourritures et de biens de la commune d’Ituango, la seule commune encore isolée par le barrage.
Bien qu’il y ait eu des moments de tension avec la sécurité privée et la police nationale, ainsi que de fortes pressions pour mettre fin à la grève, les manifestant.e.s ont négocié avec les représentants de l’entreprise. Le 13 mai, une première rencontre a lieu entre une délégation du Mouvement Ríos Vivos, présidé par Isabel Cristina Zuleta, ainsi que le maire de Medellín, Daniel Quintero Calle, et le directeur d’EPM, Jorge Andrés Carrillo Cardoso.
La rencontre s’est achevée par deux compromis : l’installation d’une table de négociation formelle, qui eut lieu le mercredi 19 mai en échange d’une levée temporaire de la grève.
Le 19 mai, le jour de la négociation formelle, Ríos Vivos ajuste a ajusté ses demandes, déjà publiques en janvier 2020, avant la pandémie. En tout, il y a près de 90 demandes spécifiques visant, entre autres, la réparation complète des écosystèmes touchés par le mégaprojet Hidroituango, la vérité, une justice sociale et environnementale, une réparation intégrale et une garantie de non-répétition pour les victimes du projet. Bien que la première réunion s’attarde, d’abord, sur la méthodologie des négociations, elle est historiquement importante puisqu’elle se déroule en dehors des tribunaux.
En parallèle aux négociations, le mouvement Ríos Vivos a déjà décidé d’appeler à la grève pour le 18 juin si jamais les négociations n’aboutissent à rien. L’appel à une nouvelle grève permet aussi de faire pression sur le gouvernement d’Antioquia et les maires de la région, qui continuent d’ignorer les mesures de précautions en faveur de la sécurité des communautés et des membres du Mouvement.
Parmi les priorités pour la défense de la vie, il y a le respect d’une liberté de mouvement à l’intérieur du territoire et le respect des mesures de précaution accordées aux victimes d’Hidroituango. Que ce soit à travers le 75e tribunal correctionnel qui garantit le rétablissement des droits fondamentaux ou que ce soit à travers le 45e tribunal civil du circuit de Bogotá qui assure la réparation des préjudices délivrée aux victimes.
Ainsi, il faut se rappeler qu’en plus du harcèlement, de la répression, des meurtres (plus de 30 chefs leaders des paysan.e.s, des mineurs et des pêcheurs) et de la persécution légale du Mouvement Ríos Vivos, deux des tunnels de dérivation de la rivière se sont effondrés, en avril 2018. L’effondrement a entraîné l’inondation de plus de 4 000 hectares. En conséquence, 59 000 personnes se sont retrouvées sans abri et sans possibilité de cultiver ou de se nourrir.
Le 26 août 2019, le Parquet le procureur a accusé l’ancien directeur d’Hidroituango et l’ancien directeur d’EPM-Ituango du crime de « contrat sans respect des exigences légales ». L’audience d’accusation a été reportée à plusieurs reprises, transférant le dossier de de procureur à procureur. Toutefois, le processus avance. Le 21 mai dernier, le Contrôleur général de la République a prononcé plus de mesures de précaution en saisissant les comptes de Luis Alfredo Ramos, gouverneur d’Antioquia occupant un siège au conseil d’administration d’Hidroituango et Aníbal Gaviria Correa, maire de Medellín au moment des événements. Le Contrôleur général a ordonné également la saisie des comptes de Jesús Arturo Aristizábal et Álvaro Julián Villegas Moreno, aussi membres du conseil d’administration.
La première ligne de résistance dans le canyon de la rivière Cauca continue de s’ériger en exemple dans la lutte pour la défense du territoire et de celles et ceux qui l’habitent.
También se protesta bailando en el muro de #Hidroituango#RiosVivosResiste
Nuestra venganza es la alegría pic.twitter.com/jvQPSytq2G— ISABELCRISTINAZULETA (@ISAZULETA) May 15, 2021
Source: Colombia Plural