Nouvelle publiée par Amnistie internationale Canada le 28 mars 2023
Dans le cadre de son rapport annuel sur l’état des droits humains dans le monde, Amnistie internationale soulève des questions graves et urgentes sur les droits des peuples autochtones et sur la justice climatique au Canada.
Publié lundi soir, le Rapport annuel 2022-2023 sur l’état des droits humains dans le monde critique l’échec répété du gouvernement canadien à répondre à ses obligations de protéger les terres et les cours d’eau des peuples autochtones, et de respecter leur droit au consentement préalable, libre et éclairé. De plus, son approche face aux changements climatiques « ne reflète pas le niveau de responsabilité du Canada en tant qu’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre par habitant au monde, ni sa capacité d’action », affirme le rapport.
« Le bilan du Canada en ce qui concerne les droits des peuples autochtones est désastreux. Rien n’a été fait pour régler les problèmes de fond et pour redonner aux peuples autochtones le contrôle de leur territoire. Enfin, respecter le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones est impératif » a déclaré France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone.
« Une action concrète des gouvernements du Canada est indispensable, d’autant plus que la crise climatique exacerbe les risques de disparition des cultures autochtones, un patrimoine et un savoir-faire ancestral qu’il serait dramatique de voir s’éteindre » ajoutait France-Isabelle Langlois.
« Notre partenariat avec Amnistie internationale nous offre des possibilités de défendre nos droits en tant que peuples autochtones pour rejoindre d’autres personnes, dont des militant·e·s, afin de parler de nos enjeux et de nos préoccupations autant sur les questions territoriales, les droits humains que les droits des peuples autochtones en général » a déclaré Sipi Flamand, Chef du Conseil des Atikamekw de Manawan.
Dans la section de ce rapport consacrée au Canada, Amnistie internationale rappelle les violations récentes du droit des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé, un principe protégé par les normes internationales relatives aux droits humains et par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Par exemple, en septembre dernier, la compagnie Coastal GasLink (CGL), du secteur de l’énergie, a entamé des forages sur le territoire Wet’suwet’en sans le consentement préalable, libre et éclairé des chefs héréditaires de la Nation Wet’suwet’en. Quelques mois plus tôt, des procureurs de Colombie-Britannique avaient porté des accusations criminelles d’outrage à l’encontre de 19 défenseurs de la terre, opposés à la construction du pipeline de gaz naturel de CGL en territoire Wet’suwet’en.
« Le Canada ne peut plus affirmer qu’il est le pays libre et démocratique dont il se vante partout dans le monde » dit le Chef Na’Moks, un des chefs héréditaires Wet’suwet’en. « Lorsque les peuples autochtones sont harcelés, emprisonnés et chassés de leurs terres — au seul motif d’avoir voulu protéger leur existence, leur eau potable et leur sécurité alimentaire pour l’avenir — alors il faut dire la vérité sur le Canada, et la faire connaître. Le Canada doit prendre ses responsabilités et reconnaître les violations des droits des peuples autochtones. Il doit respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et assurer sa pleine mise en œuvre. »
De même, en soutenant la construction de l’oléoduc Trans Mountain, le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique continuent de violer les droits de la nation Tsleil-Waututh. « Le Canada s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration sur les droits des Peuples Autochtones, pourtant, les membres de notre nation Tsleil-Waututh ont été harcelés et criminalisés pour s’être opposés pacifiquement au projet de l’oléoduc Trans Mountain » affirme Charlene Aleck, membre du Conseil de la nation Tsleil-Waututh. « Le pipeline et le pétrole qu’il transporte constituent de graves menaces pour Burrard Inlet – lieu de naissance de nos ancêtres. Nous avons refusé notre consentement préalable, libre et éclairé pour ce projet, pourtant, le Canada va de l’avant avec la construction. Il n’y aura pas de réconciliation possible si le consentement n’est pas respecté. »
Partout au Canada, des peuples autochtones ont été confrontés à d’autres formes de discrimination systémique et de violations de leurs droits fondamentaux, dont l’accès à l’eau potable, à l’éducation et aux soins de santé. À la fin de 2022, il y avait encore 33 avis à long terme concernant l’eau potable, en vigueur dans 29 communautés autochtones. En août 2022, une pénurie d’eau dans la ville d’Iqaluit a amené le territoire du Nunavut à déclarer l’état d’urgence. Et les communautés de la Première Nation Grassy Narrows doivent continuer de vivre avec les impacts dévastateurs d’une décision du gouvernement de l’Ontario, prise dans les années ’60, d’autoriser une compagnie de pâtes et papier à rejeter près de 10 tonnes métriques de mercure dans les rivières English et Wabigoon.
« Le Canada et l’Ontario refusent de respecter nos lois pour la protection et la sauvegarde de nos terres » commente Rudy Turtle, Chef de la nation Grassy Narrows. « Après des décennies de mercure, d’exploitation forestière et de barrages, ils ne respectent toujours pas notre droit à l’auto-détermination pour défendre nos terres et notre peuple. Il est plus que temps que nos décisions soient respectées et que nos peuples soient compensés pour les torts qu’ils ont subis. »
Selon le rapport, le racisme anti-autochtone et l’héritage du colonialisme ont affecté les femmes de manière disproportionnée. En juillet 2022, le Comité permanent du Sénat sur les droits de la personne reconnaissait l’impact des stérilisations contraintes ou forcées sur les femmes autochtones, les femmes noires et racisées, et les personnes vivant avec un handicap. En novembre dernier, un rapport du Québec soulignait qu’au moins 22 femmes autochtones avaient été stérilisées sans leur consentement, entre 1980 et 2019 dans la province.
Ketty Nivyabandi, secrétaire générale de la section anglophone d’Amnistie internationale Canada, affirmait lundi que : « La situation des droits des peuples autochtones au Canada est une honte nationale. Malgré les nombreuses promesses de s’attaquer à ces injustices récurrentes, les différents niveaux de gouvernement canadiens n’ont pas réussi à respecter les droits des peuples autochtones ni à protéger leurs terres et leurs ressources. La crise climatique exacerbe ces injustices et nécessite des mesures urgentes et décisives de la part du gouvernement. »
Le rapport rappelle aussi l’incapacité du Canada à prendre les mesures nécessaires pour freiner la hausse des températures au niveau mondial et pour en atténuer les impacts sur les communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits, et des communautés vulnérables du Sud global. Le plan du gouvernement fédéral pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du Canada à 40-45% sous le niveau de 2005 d’ici 2030 « ne limitera pas la hausse des températures mondiales sous la cible de 1,5 °C », prédit le rapport d’Amnistie internationale. De plus, l’engagement du gouvernement du Canada à accorder un budget de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans pour financer des projets climatiques dans les pays en développement « n’est pas à la hauteur de la part de responsabilité du Canada pour la crise climatique. »
Ce rapport d’Amnistie internationale arrive quelques semaines après la visite au Canada de José Francisco Calí Tzay, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. À la fin de sa mission d’observation de 10 jours, Calí Tzay a dit : « Le Canada a fait des progrès en matière de promotion et de protection des droits des peuples autochtones. » Toutefois, il a dénoncé l’héritage “odieux” du système des pensionnats et a ajouté qu’il reste beaucoup de travail à faire pour que les peuples autochtones bénéficient des droits, des libertés et des conditions de vie garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
« Les droits humains sont universels, indivisibles et interdépendants, et tous les peuples autochtones devraient avoir les mêmes droits et les mêmes opportunités », disait Calí Tzay aux journalistes lors d’une conférence de presse le 10 mars dernier. « Je demande instamment au gouvernement du Canada et à ceux des provinces et territoires de faire progresser la réconciliation par des relations de nation à nation avec les Peuples Autochtones. »