HomeNouvellesLe Salvador condamné par la Cour interaméricaine pour avoir empêché une femme d’avorter

Le Salvador condamné par la Cour interaméricaine pour avoir empêché une femme d’avorter

Publié par Le Devoir, le 20 décembre 2024

Dans une décision inédite, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a condamné vendredi le Salvador, l’un des pays aux lois les plus restrictives en matière d’avortement, pour avoir empêché une femme de mettre fin à une grossesse à risque en 2013.

C’était la première fois de son histoire que la Cour interaméricaine, basée à San José au Costa Rica, se penchait sur le droit à l’avortement, dans une affaire qui illustre la situation des femmes, en particulier à faibles ressources, dans les pays où l’avortement est interdit et qui a connu une forte résonance au-delà des frontières du Salvador.

Beatriz, prénom d’emprunt de la jeune femme décédée dans un accident de la route en 2017, souffrait de lupus – une maladie auto-immune – lorsqu’elle est tombée enceinte pour la deuxième fois en 2013, à l’âge de 22 ans, après un premier accouchement compliqué.

Le fœtus s’est avéré non viable en raison d’une grave malformation congénitale et la jeune femme avait été informée qu’elle risquait de mourir si elle menait à terme la grossesse.

Elle s’était alors tournée vers la justice afin d’être autorisée à avorter pour raisons thérapeutiques mais sa demande avait été rejetée par la Cour constitutionnelle.

Elle était entrée en travail prématurément, avait subi une césarienne et le fœtus était mort cinq heures après l’accouchement.

Dans sa décision, la Cour a jugé l’État « responsable de la violation des droits à l’intégrité personnelle, à la vie privée et à la santé […] au détriment de Beatriz ».

Elle a estimé que les autorités avaient « violé le droit à la protection judiciaire » de la victime lorsque la Cour constitutionnelle salvadorienne lui avait refusé le droit d’avorter.

« Je pense qu’il s’agit d’une justice totale car c’est ce que nous attendions », a réagi auprès de l’AFP Delmy, la mère de Beatriz, évoquant une « victoire ».

Directives

Le Salvador interdit l’avortement depuis 1998 sous peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à huit ans. Dans les faits, les tribunaux du pays poursuivent souvent pour homicide aggravé les femmes qui avortent et leur infligent des peines pouvant aller jusqu’à 50 ans de prison.

Dans un entretien accordé à l’AFP en 2013 depuis l’hôpital de San Salvador où elle était hospitalisée, Beatriz avait déclaré : « Je veux une césarienne, d’abord pour ma santé et parce que l’enfant ne vivra pas. Ce n’est pas bien ce qu’ils m’ont fait, ils m’ont fait souffrir. »

Sa famille, originaire de La Noria Tierra Blanca, au sud-est de la capitale San Salvador, avait décidé de poursuivre l’affaire en justice après sa mort afin « qu’aucune autre femme ne vive ce qu’elle a vécu », selon son frère Humberto, 30 ans, qui a requis l’anonymat pour préserver celui de sa sœur.

Des organisations féministes ont accueilli la décision avec joie. « La justice triomphe. Nous sommes heureux, aujourd’hui […] restera dans l’histoire pour la justice reproductive des femmes », a déclaré à l’AFP l’avocate Angélica Rivas, de l’organisation Colectiva Feminista.

La Cour a ordonné au Salvador d’adopter des directives « à l’intention du personnel médical et judiciaire face à des grossesses mettant en danger la vie ou la santé de la mère ».

Elle a également demandé à l’État salvadorien d’adopter des mesures garantissant « la sécurité juridique face à des situations telles que celles de la présente affaire ».

Le gouvernement reçoit sa condamnation « avec responsabilité » et va analyser « en profondeur la portée (de la décision) et les recommandations » de la Cour, en accord avec la « législation nationale », a indiqué dans un communiqué le commissaire aux droits humains à la présidence, Andrés Guzman.

En Amérique latine, l’avortement est autorisé en Argentine, en Colombie, à Cuba, en Uruguay et dans certains États du Mexique. Dans d’autres pays, comme au Chili, il est autorisé dans certaines circonstances telles que le viol, les risques pour la santé de la mère ou dans les cas de malformation du fœtus, tandis que des interdictions totales s’appliquent au Salvador mais aussi au Honduras, au Nicaragua et en République dominicaine, ainsi qu’en Haïti.

Source : https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/826669/salvador-condamne-cour-interamericaine-avoir-empeche-femme-avorter