Dans le cadre du Forum social mondial 2021, quatre défenseuses de la Terre Mère de différents pays ont participé au panel, « Femmes, territoires et résistance en Amérique latine ». Elles nous ont partagé leurs expériences et leurs luttes de résistance aux forces imposées par le capitalisme extractiviste et la société patriarcale dans leurs communautés – qu’il se soit au Guatemala, en Équateur, en Colombie ou au Brésil.
Irene Barrientos, militante du Comité d’Unité Paysanne, CUC, au Guatemala, a commenté les processus historiques de dépossession des peuples et l’importance des femmes dans la défense des territoires.
« Depuis la signature de l’accord de paix, les gouvernements n’ont fait que générer des conflits territoriaux entre les entreprises de l’industrie extractive et les communautés qui résistent depuis plus de cinq cents ans dans chacun des territoires mayas du Guatemala. Dans ce contexte, il est important de reconnaÎtre le rôle que les femmes assument dans ces luttes. Il faut valoriser les racines que nous, les femmes, avons en relation avec la lutte pour la défense des droits de la terre mère, le droit au territoire, le droit à l’eau, qui signifie la lutte pour la vie elle-même. Et comme nous le disons dans nos territoires, nous défendons la terre mère. C’est une symbologie parce que la terre mère, ainsi que les femmes, donne la vie. Dans ce sens, il est important de revendiquer la reconnaissance publique, de valoriser et de rendre visible la contribution des femmes en relation avec la défense de nos territoires. Dans un pays éminemment machiste, avec un système patriarcal, c’est un défi d’être une femme, c’est un défi d’être une femme organisée et une femme qui défend les territoires ancestraux. Parce qu’il y a une série de situations qui ne permettent pas que les femmes prendre la place. Malgré le fait que nous ayons fait des progrès, malgré le fait que nous ayons cherché des mécanismes pour rendre visibles les droits des femmes, de visibiliser leurs contributions dans la vie quotidienne, c’est toujours un défi de faire valoir les différentes demandes faites par des femmes, c’est un défi. Pourtant, je voudrais mentionner ici l’importance d’être organisées. L’organisation permet de maintenir le leadership des femmes. Mais il faut aussi que les organisations s’engagent dans la recherche d’un équilibre dans la participation des hommes et des femmes. Dans chacun des territoires, les communautés sont en constante lutte. Cependant, la contribution des femmes dans ces mouvements de résistance n’est jamais très visible. Lorsque les communautés sont dans un processus de récupération de la Terre Mère, c’est nous les femmes qui sommes en première ligne, c’est nous qui sommes confrontées à des expulsions violentes, c’est nous qui souffrons au quotidien pour nourrir nos fils et nos filles lorsque nous nous opposons aux entreprises extractives, lorsque nous essayons de faire respecter la Convention 169 de l’OIT en menant des consultations communautaires de bonne foi, libres, consensuelles et informées. Mais, lorsqu’il s’agit de présenter les résultats, nous les femmes ne sommes pas reconnues. Toutefois, nous avons pris une série de mesures pour rendre cette contribution beaucoup plus visible et appréciée. Nous n’avons pas encore accompli la totalité de nos revendications, mais il y a déjà une participation plus importante et plus active des femmes à tous les niveaux. Nous assurons le nourrissement et la reproduction de la force de travail dans nos communautés, mais nous sommes surtout en première ligne pour lutter pour la vie. »
Martha Arotingo, de l’Équateur, ajoute que le modèle de développement capitaliste tente de s’imposer sur les modèles de vie ancestraux. Elle est membre de l’Union des organisations paysannes et autochtones de Cotacachi et de la Confédération nationale des organisations paysannes autochtones et noires.
« Il y a une chose dont nous devons nous souvenir et nous devons nous poser la question suivante : qu’est-ce que le développement pour nous ? En tant que peuples autochtones, en tant que paysans, pour nos générations à venir. Le capitalisme veut nous faire croire que le développement c’est avoir une belle maison, une grande maison, des voitures… avoir des patrimoines. Pourtant, nos communautés ont développé leurs propres alternatives. Bien plus que développer de savoirs-faire , elles ont conservé leurs propres formes d’alimentation, leurs propres formes de connaissances dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’éducation, dans le domaine de l’organisation politique. À chaque fois qu’on résiste, nous subissons la persécution. Persécution par l’État. De mèche avec les différentes mafias capitalistes. Les hommes d’affaires, qui veulent seulement faire disparaître toute forme de résistance, en soumettant nos peuples et nos paysans. En ce qui concerne la pandémie, qui nous a déjà coûté de nombreuses vies dans nos communautés, il faut souligner que l’État n’a rien fait pour soutenir les communautés. De notre part, ce que nous avons fait, c’est vraiment de réveiller notre mémoire ancestrale, d’éveiller dans nos communautés nos formes d’organisation, nos formes d’agriculture et de nous soutenir par notre alimentation. Car la santé vient bien de là, n’est-ce pas ? Des aliments. Nous avons revigoré la mémoire des plantes ancestrales qui ont été dévalorisées. Par exemple, en tant que sage-femme, on me dit toujours : « Mais quelles sont vos connaissances, quelles sont vos études, avez-vous de diplômes ? Quelles sont vos qualifications ? Je ne me sens ni égale, ni inférieure, ni supérieure au médecin qui exerce également les mêmes formes de pratique. Cependant, pour nous, la sage-femme n’est pas simplement une personne censée aider à recevoir un wawa, un enfant ou un nouveau-né. La sage-femme a toute une intégrité, ainsi que dans les différentes formes de travail. Un agriculteur ne se contente pas d’aller semer, comme un agronome. Il connaît l’astrologie, il sait quand mettre la terre, il sait comment préparer le sol, le moment idéal pour planter. Il s’agit donc de l’intégralité des connaissances des peuples ancestraux. “
De Colombie, Gloria Calderón, de la Marche des femmes paysannes et de l’Association des femmes paysannes et artisanes de Cerrito Santander (ASOMUARCE), souligne que, malgré la progression de certains droits, la participation des femmes aux luttes se heurte à des obstacles au sein des communautés.
« Il n’est pas facile pour une femme d’être une leader, surtout dans une communauté aussi sexiste. Nous qui sommes dans ce département de Santander, on nous a considérées et on nous a dit que nous étions des femmes au caractère féroce. Mais comme femmes de Santander, comme García Rovirenses, comme Cerritanas, tout ce qui a trait à la lutte pour notre territoire, à la lutte pour nos familles, à la lutte pour notre nourriture, eh bien, c’est là que nous devons être assez courageuses pour continuer à défendre nos droits, nos devoirs. Les hommes se sentent parfois éclipsés parce qu’une femme prend le leadership. Nous avons vécu cette expérience sur notre territoire, comment ils se sentent mal à l’aise parce qu’une femme prend la parole, prend une décision ou mène à bien un processus qui, finalement, après tant d’invisibilité, peut être visible. C’est comme par exemple la lutte que nous menons actuellement sur notre territoire contre la délimitation de notre páramo où il y a des milliers et des milliers de familles qui vivent dans ces territoires, qui vivent ensemble à partir de ce qu’elles font, de ce qu’elles sèment, de ce qu’elles cultivent. Et maintenant, nous avons une nouvelle loi de délimitation du páramo qui nous menace. Cela nous affecte en tant que femmes parce qu’on ne nous a pas demandé comment nous voulions travailler et comment nous voulions continuer à prendre soin de notre environnement, ce que nous faisons depuis tant d’années. Les générations précédentes, les nôtres et celles à venir seront les gardiennes de notre territoire. Mais comme c’est en vue de l’extraction, alors viennent ces nouvelles lois qui attaquent les paysans, contre le páramo et évidemment contre les femmes et les enfants qui vivent dans ces territoires ».
Au Brésil, Claudia de Sala Pinho, qui fait partie du réseau des communautés traditionnelles Pantaneira, a parlé de la catastrophe socio-environnementale causée par les incendies et de la façon dont les femmes prennent l’initiative de reconstruire les territoires affectés.
« Parler de territoires, et parler de luttes et de résistances, c’est surtout parler de la valorisation des femmes en tant qu’agents qui contribuent directement aux différents enjeux sociaux et environnementaux. En 2020, lorsque nous avons été confrontés au problème des incendies de forêt, ce sont les femmes qui ont pris les devants et ont donné l’alerte. Ce sont les femmes qui ont d’abord déclenché un grand système d’alerte. Cette caractéristique de l’observation de l’espace, du territoire, est une caractéristique très forte des femmes qui connaissent chaque centimètre de leur territoire. Ainsi, depuis l’année dernière, en 2019, les femmes avaient déjà averti que, dans ce biome brésilien, le Pantanal, il y aurait déjà une grande sécheresse. Et que cela pourrait avoir de grandes répercussions sur cette région et de grandes affections pour toutes les communautés traditionnelles. Ainsi, en l’an 2020, lorsque les incendies ont commencé à se propager dans plusieurs régions, les femmes étaient en première ligne pour réaliser ce système d’alerte, et de plus, elles savaient même où le vent soufflait les étincelles, et quels territoires seraient alors touchés par le feu. Et nous disons que ce sont des incendies intentionnels parce qu’ils ont été provoqués par l’action de l’homme, par des grands propriétaires terriens du Pantanal, et que cela a engendré un grand déséquilibre. Et c’est par la main des femmes que nous allons reconstruire tout le territoire. Ces observations, ces expériences accumulées au fil des ans auront une grande contribution dans tout ce processus de restauration. Parce que ce sont les femmes qui savent, qui gèrent, qui utilisent la forêt, les fruits indigènes, elles savent ce qu’il y a dans les eaux, elles savent comment s’occuper de la plantation, de la replantation, de beaucoup d’arbres, de beaucoup de fruits et de beaucoup de choses qui ont été perdues. »
L’événement a été promu par l’organisation Carrefour d’animation et de participation pour un monde ouvert (CAPMO), par Campesina Digna, par le Collectif paix, territoire et vie et par le Comité pour les droits humains en Amérique latine, CDHAL. L’idée de la discussion était de rassembler des témoignages de femmes de différents pays pour mettre en évidence des situations particulières, mais aussi des points de convergence entre les luttes menées par les femmes défenseurs sur leurs territoires. L’événement complet est disponible sur la page facebook du Consejo de Educación Popular de América Latina y el Caribe.
Conversatorio Mujeres, territorio y resistencia en América Latina. #FSM2021
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Source photo : El Orejiverde