HomeCommuniquéLettre au gouvernement canadien pour renforcer la diplomatie canadienne en faveur de la paix en Colombie

Lettre au gouvernement canadien pour renforcer la diplomatie canadienne en faveur de la paix en Colombie

Le 4 décembre 2020

L’honorable François-Philippe Champagne, C.P., député Ministre des Affaires étrangères
Bureau de la Chambre des communes
Ottawa, Ontario

K1A 0A6

Monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons au nom du Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA), une coalition d’ organisations de la société civile canadienne qui travaille en étroite collaboration avec des organisations partenaires d’Amérique latine et des Caraïbes.

Face à la détérioration marquée de la situation des droits humains en Colombie, nous vous exhortons à faire usage des relations étroites entre le Canada et la Colombie afin d’exprimer aux autorités colombiennes vos vives préoccupations et demander des mesures concrètes, à la fois pour mettre fin aux assassinats de défenseurs des droits humains et pour assurer que soient respectés les engagements pour la mise en œuvre de l’accord de paix signé avec les FARC-EP.

De nombreuses organisations membres du GOPA ont une longue histoire d’engagement avec la Colombie. En 2016, nous avons célébré avec nos partenaires colombiens la signature d’un accord de paix historique mais aussi partagé leur espoir de voir la situation humanitaire et celle des droits humains s’améliorer. Le Canada a également appuyé cette cause en tant que donateur majeur à la consolidation de la paix en Colombie. Pourtant, au cours des quatre dernières années, la situation s’est constamment détériorée et la mise en œuvre de l’accord de paix est pratiquement au point mort.

Tous les indicateurs montrent que la Colombie est désormais le pays le plus dangereux du monde pour les défenseur.e.s des droits humains. Il est particulièrement inquiétant que la violence vise principalement les peuples autochtones et les communautés afrodescendantes, les personnes qui défendent le droit à la terre et l’environnement et celles qui défendent la mise en œuvre de l’accord de paix. Des organisations de la société civile telles qu’Indepaz rapportent que plus de 250 leaders communautaires ont été tué.e.s cette année seulement, tandis que plus d’un millier ont été assassiné.e.s depuis la signature de l’accord de paix. Et ces chiffres continuent d’augmenter. Pendant ce temps, de nombreuses autres personnes, incluant nos partenaires, ont reçu des menaces de mort et vivent dans la peur, faute de mesures efficaces pour les protéger.

La COVID-19 a accru la vulnérabilité des leaders communautaires, alors que des groupes armés ont exploité les restrictions en vigueur pour consolider leur emprise. En plus des activités des groupes armés tels que l’ELN et l’EPL qui perdurent, des structures paramilitaires telles que les Forces d’autodéfense unies de Colombie ont gonflé leurs rangs, s’engageant dans un conflit territorial qui affecte des communautés entières. Nos partenaires nous ont rapporté avoir été témoins de déplacements forcés, de séquestrations, d’assassinats ciblés, de recrutements forcés et de violences sexuelles contre les femmes, les filles et les personnes LGBTI. Pendant ce temps, le gouvernement colombien a réduit les mesures de protection collective et individuelle ou est incapable de les mettre en œuvre efficacement, choisissant plutôt de militariser le pays davantage. Nos partenaires nous informent que c’est précisément dans les zones les plus militarisées telles qu’Antioquia, Cauca et Nariño, que se produit la majorité des assassinats. Ces incidents rappellent certains des pires épisodes de violence en Colombie et génèrent une peur généralisée dans les communautés.

Le GOPA et nos partenaires en Colombie sont également préoccupés par l’échec du gouvernement colombien à mettre en œuvre l’accord de paix et à empêcher l’assassinat de centaines d’ancien.ne.s combattant.e.s des FARC-EP qui ont déposé les armes après la signature de l’accord. Nous croyons que la présente vague d’assassinats visant ces personnes, au même titre que celle touchant les leaders communautaires, contribue à saboter l’accord et sa réforme promise de l’économie rurale. Sans aucun doute, ceci constitue une entrave majeure à l’avancement de tout processus de paix avec les groupes armés toujours actifs, notamment l’ELN et l’EPL.

Un rapport approfondi publié en septembre 2020 par plus de 500 organisations colombiennes dénonce qu’à ce jour seulement 4% de l’accord de paix a effectivement été mis en œuvre et qu’à peine un 10% supplémentaire commence à l’être. Peu ou rien n’a été fait pour faire avancer le 86% du contenu de l’accord restant – en particulier ses dispositions relatives à une réforme rurale globale et au remplacement des cultures illicites. En ce qui concerne la mise en œuvre du « Chapitre ethnique », la Commission interaméricaine des droits de l’homme a souligné que les peuples autochtones et les communautés afrodescendantes continuaient de connaître une recrudescence de la violence sur leurs territoires et que les mesures adoptées par le gouvernement n’avaient donné aucun résultat. De plus, malgré les 130 engagements de l’accord de paix en matière de genre, leur mise en œuvre se fait attendre. Selon un rapport récent de l’Institut Kroc, seulement 9% d’entre eux ont été réalisés à ce jour.

La situation est urgente. La lenteur du gouvernement actuel à mettre en œuvre l’accord de paix et son incapacité persistante à prévenir et à traduire en justice les attaques contre les défenseur.e.s des droits humains et les leaders communautaires alimentent une crise croissante qui menace la paix. Il est primordial que la communauté internationale, en particulier les pays donateurs aux efforts de consolidation de la paix comme le Canada, élève la voix pour exprimer leurs préoccupations et promouvoir les solutions.

En priorité, nous vous exhortons à faire pression pour:

  • un renforcement, et non une diminution, de la protection des défenseur.e.s des droits humains

    menacé.e.s, des leaders communautaires et de leurs collectivités;

  • des enquêtes approfondies et transparentes sur les assassinats de ces derniers, et que leurs

    auteurs soient traduits en justice;

  • des gestes concrets pour démanteler les organisations paramilitaires, leurs réseaux de trafic de

    drogue et leurs liens avec les forces de sécurité de l’État;

  • une réelle mise en œuvre de l’accord de paix.

    Finalement, nous profitons de l’occasion pour vous demander une réunion dans les plus brefs délais pour vous faire part de l’information recueillie par nos partenaires sur le terrain en Colombie afin de renforcer la diplomatie canadienne en faveur de la paix.

    Nous vous prions, Monsieur le Ministre, de recevoir nos cordiales salutations.

    Robin Buyers Coprésidente et Laura Ramirez Coprésidente

cc. Ambassadeur Marcel Lebleu Robin Larocque Roy

Sources:

  • El desgobierno del aprendiz: Autoritarismo, guerra y pandemia, Bogotá, 2020. https://coeuropa.org.co/el- desgobierno-del-aprendiz/
  • Towards-Implementation-of-Womens-Rights-in-the-Colombian-Final-Peace-Accord-2.pdf (nd.edu)