Le CDHAL joint sa voix à différentes organisations et personnalités (Québec solidaire, Confédération des syndicats nationaux, Groupe d’orientation politique pour les Amériques, Projet Accompagnement Solidarité Colombie) pour réclamer du gouvernement canadien un encadrement strict des entreprises extractives canadiennes opérant à l’étranger visant à garantir le respect par celles-ci des normes internationales en matière de droits humains, droit du travail, droits syndicaux, droit de l’environnement et droits des peuples autochtones. Des lettres ont été envoyées aux ministres des Affaires étrangères, de la Justice, du Commerce international, des Ressources naturelles et du Travail.
Le Tribunal éthique et politique sur les politiques extractives en Colombie a permis de documenter et donner de la visibilité à des violations graves des droits commises par des entreprises extractives (hydroélectriques, minières, pétrolières). Dans le cadre de l’audience sur l’entreprise pétrolière canadienne Pacific Rubiales Energy de juillet 2013, à laquelle ces organisations ont participé, des violations manifestes à des droits reconnus internationalement ont été constatées.
Montréal, 7 octobre 2013
L’Honorable John Baird
Ministre des Affaires étrangères
Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada
125, promenade Sussex
Ottawa, Ontario, K1A 0G2
Objet : Une entreprise pétrolière canadienne condamnée par un tribunal populaire colombien pour de graves violations des droits humains
Monsieur le Ministre,
Le 18 août dernier, l’entreprise canadienne Pacific Rubiales Energy, la plus importante société pétrolière étrangère en Colombie, a été jugée coupable de graves violations à plusieurs droits humains par un tribunal populaire colombien. Des représentantes et représentants de huit organisations sociales canadiennes et québécoises étaient présents en Colombie lors du dépôt des preuves, en juillet dernier. Les témoignages et documents présentés lors de l’audience populaire sur Pacific Rubiales Energy, qui a eu lieu les 13 et 14 juillet à Puerto Gaitán dans le département du Meta où l’entreprise exploite le plus grand champ pétrolier du pays (Campo Rubiales), ont contribué à établir une preuve montrant un portrait très peu reluisant des impacts sociaux et environnementaux des activités de l’entreprise.Vous trouverez en ligne le rapport Audience contre la pétrolière canadienne Pacific Rubiales Energy produit par la délégation à la suite du jugement rendu : http://www.csn.qc.ca/web/csn/rapport-colombie
Au vu des violations des droits constatées, nous demandons au gouvernement d’agir afin de:
- Prendre des mesures afin que les entreprises canadiennes actives en Colombie respectent les obligations de l’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie relatives au respect des conventions de l’Organisation internationale du travail;
- Élaborer des rapports complets sur l’impact du libre-échange sur les droits humains en Colombie en vertu de ses obligations au titre de l’Accord concernant les rapports annuels sur les droits de l’homme et le libre-échange entre le Canada et la République de Colombie;
- Conditionner l’appui de l’ambassade canadienne en Colombie aux entreprises canadiennes à des critères rigoureux et obligatoires de responsabilité sociale et environnementale;
- Adopter une loi contraignante pour la reddition de comptes et la responsabilité des entreprises canadiennes opérant à l’étranger. Cette loi devrait comprendre notamment :
– la possibilité pour les individus et collectivités concernés d’avoir accès à la justice canadienne pour faire valoir leurs droits;
– des dispositions conditionnant l’appui économique et politique accordé aux entreprises par l’État canadien au respect des normes du pays hôte et normes internationales en matière de droits humains, d’environnement, de droits des peuples autochtones, de droit du travail et de droits syndicaux
– des dispositions en vertu desquelles les entreprises qui ne respectent pas ces conventions internationales ne pourront s’incorporer au Canada.
Environnement et droits des peuples autochtones
Situé à proximité du champ pétrolier de Campo Rubiales, le territoire du peuple Sikuani est menacé. La construction d’infrastructures et l’extraction du pétrole ont entraîné le déplacement d’environ 18 000 personnes ainsi qu’une pression accrue sur les ressources en eau et une hausse du transit routier. Chaque jour, de 500 à 1000 camions transportant du pétrole brut empruntent la route de terre régionale. On constate une hausse inquiétante des maladies de peau, potentiellement due à de l’eau contaminée. Sur une route publique, les forces de l’ordre ont érigé un barrage pour contrôler l’accès aux installations de Pacific Rubiales Energy.
Sous-traitance et droits syndicaux
La société pétrolière refuse de reconnaître comme interlocuteur le principal syndicat du secteur pétrolier, l’Unión sindical obrera (USO). Plusieurs stratégies visant à contrecarrer l’activité syndicale sont dénoncées : diffamation, listes noires et liquidation de contrats avec les sous-traitants pour empêcher l’embauche de sympathisants syndicaux. Ces pratiques rendent essentiellement fictifs le droit à la négociation collective et le droit des travailleurs et travailleuses à s’affilier au syndicat de leur choix reconnu par la Convention no 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la liberté syndicale et la protection de la liberté syndicale, ratifiée tant par le Canada que par la Colombie. Les syndicalistes colombiens font face à de l’intimidation et des menaces constantes : trois jours après la tenue de l’audience sur Pacific Rubiales Energy, un leader syndical ayant témoigné devant le jury populaire a reçu des menaces de mort à son domicile. En décembre 2012, après l’assassinat du militant syndical Milton Parra, le syndicat a dû fermer son bureau à Puerto Gaitán.
Les obligations et responsabilités du gouvernement du Canada
L’Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie (ALECC) est entré en vigueur en août 2011. Au même moment, devenait effectif l’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie. Ce dernier accord stipule que les deux États doivent incorporer et protéger les principes et les droits du domaine du travail reconnus par l’Organisation internationale du travail (OIT), tels que la liberté d’association et le droit de négociation collective. Il est impératif que le gouvernement canadien rappelle l’entreprise Pacific Rubiales Energy à l’ordre, et plus généralement l’ensemble des entreprises canadiennes actives en Colombie, afin qu’elles respectent la législation colombienne et les différentes conventions de droit international en matière d’environnement, de droit du travail et de libertés syndicales, de droits humains et de droits des peuples autochtones; notamment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le droit au consentement libre, préalable et éclairé, ainsi que les huit conventions fondamentales de l’OIT.
Nous demandons également au gouvernement canadien que les rapports annuels sur les droits humains et le libre-échange réalisés par le Canada en vertu de l’Accord concernant les rapports annuels sur les droits de l’homme et le libre-échange entre le Canada et la République de Colombie étudient de manière approfondie les répercussions des investissements canadiens sur les droits humains. Le rapport publié à ce titre en juin 2013 par le Canada se borne à une description des réductions tarifaires exécutées, sans analyser de quelque manière que ce soit les effets des hausses des échanges commerciaux sur les droits humains, les droits territoriaux, les droits des peuples autochtones, le droit du travail ou les droits syndicaux. Considérant que des sources officielles colombiennes font état d’une corrélation inquiétante entre activités extractives et violations des droits humains – les régions où prennent place des activités d’exploitation pétrolière et minière seraient les régions d’origine de 87 % des réfugié-e-s internes, ainsi que les hôtes de 78 % des crimes contre des syndicalistes et de 89 % des violations aux droits des peuples autochtones[1] – il serait extrêmement important que le gouvernement étudie en profondeur les répercussions des investissements du secteur extractif canadien sur les droits humains.
Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’il est impératif que le gouvernement canadien adopte un cadre réglementaire adéquat pour mettre fin à la situation d’impunité dans laquelle se déploient les activités des transnationales extractives canadiennes en Colombie, profitant de la violence politique qui sévit dans ce pays en guerre depuis plus de 60 ans. La stratégie actuelle du gouvernement fédéral « Renforcer l’avantage canadien » de mars 2009, qui vise à encourager les entreprises canadiennes à adopter des standards volontaires de responsabilité sociale, est largement insuffisante pour répondre au problème de l’absence de mécanismes d’imputabilité des entreprises canadiennes pour des actes commis à l’étranger.
En espérant que vous assumerez les responsabilités qui vous incombent et donnerez suite à cette lettre, nous restons à votre disposition pour tout échange à ce sujet.
Salutations cordiales,
Jacques Létourneau, Président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Amir Khadir, Député de Mercier à l’Assemblée nationale du Québec, Québec solidaire
Andrés Fontecilla, Président et porte-parole extra-parlementaire de Québec solidaire
Constance Vaudrin, Présidente du conseil d’administration du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
Barbara Wood, Co-présidente du Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA)
Rachel Warden, Co-présidente du Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA)
L’équipe de Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC)
[1] Contraloría General de la República. “Minería en Colombia: Fundamentos para superar el modelo extractivista”. 2013. En ligne : http://redjusticiaambientalcolombia.files.wordpress.com/2013/05/mineria-en-colombia-fundamentos-para-superar-el-modelo-extractivista2013.pdf