À Stephen Harper
Premier ministre
Bureau du Premier ministre
80 Wellington Street
Ottawa
K1A 0A2
Mardi, le 17 fèvrier 2009
Nous désirons vous faire part de nos nombreuses préoccupations soulevées par la nomination de M. Francisco Javier Barrio Terrazas du poste d’ambassadeur du Mexique au Canada.
Depuis plusieurs années, la Fédération des femmes du Québec, avec plusieurs autres organisations formant le Comité québécois de solidarité avec les femmes de Ciudad Juárez, sommes intervenues publiquement à différentes reprises auprès des gouvernements canadien et mexicain au sujet des disparitions, agressions et assassinats de jeunes femmes qui se produisent, depuis le début des années 1990, à Ciudad Juárez, dans l’état de Chihuahua au Mexique. Au moins 400 assassinats de femmes ont été documentés et, à ce jour, la situation de violence et d’insécurité envers les femmes perdure, au point où on parle de féminicide. Il s’agit d’ailleurs d’un des problèmes majeurs de droits de la personne au Mexique que ni les autorités politiques, ni les autorités judiciaires ne se sont montré capables de résoudre, aucun des auteurs n’ayant été formellement identifié et encore moins puni.
Or, M. Francisco Javier Barrio Terraza, qui vient d’être nommé ambassadeur du Mexique au Canada, fait partie de ces autorités politiques, puisqu’il a été gouverneur de l’état de Chihuahua de 1992 à 1998.
Cette nomination nous inquiète profondément. En effet, durant son mandat, alors que le nombre d’assassinats de jeunes femmes a augmenté, M. Barrio a déclaré qu’il était « naturel » que ces femmes, jeunes pour la plupart, soient assassinées, parce qu’elles fréquentaient des lieux obscurs et se vêtaient de façon provocante. Les détails des ces meurtres étaient pourtant bien connus : les victimes provenaient de différents milieux, elles avaient comme caractéristiques communes d’être jeunes et pauvres et les corps d’un grand nombre d’entre elles portaient des marques de viol, d’horribles tortures, étaient souvent démembrés et jetés dans des terrains vagues ou des décharges. En 1998, la Commission Nationale des Droits de la personne du Mexique a émis une recommandation sur les investigations menées dans l’état de Chihuahua sur les meurtres de Ciudad Juárez condamnant la négligence dans les investigations et l’impunité à peu près totale qui en résultait. La Commission condamnait aussi le sexisme qui marquait les investigations.
Depuis des années, des informations allant dans le même sens ont été recueillies par des organisations multilatérales indépendantes, telles l’ONU, l’OÉA et Amnistie Internationale.
La corruption est un autre des maux qui affligent la société mexicaine, et l’état de Chihuahua, gouvernement inclus, est un des états les plus corrompus. Le gouvernement que M. Barrio a dirigé, de 1992 à 1998, n’échappe pas à la règle. Les responsables des assassinats de femmes sont fort probablement liés à la corruption.
La situation à Ciudad Juárez demeure grave, au point que des organisations de parents des femmes assassinées et des organismes de droits de la personne ont demandé, le 14 janvier dernier, à la Commission permanente du congrès de l’état de Chihuahua de déclarer une « alerte de genre » tel que prévu par la Loi de l’état de Chihuahua sur le droit des femmes à une vie sans violence. Alors que suite à sa nomination, M. Barrio a manifesté sa satisfaction soulignant entre autres qu’il allait ainsi pouvoir échapper à l’insécurité publique croissante.
Monsieur le Premier ministre du Canada, voilà autant de raisons d’être préoccupées de cette nomination. Les relations avec le Mexique sont importantes à plusieurs titres et, à notre avis, les droits de la personne constituent un thème prioritaire et les droits des femmes en particulier.
Nous demandons que le gouvernement du Canada rappelle au gouvernement du Mexique les engagements internationaux et nationaux contractés en matière de droits des femmes et qu’il consente les ressources adéquates pour prévenir et contrer véritablement tous les actes de violence perpétrés à l’encontre des femmes, quelles que soient leur origine et leurs conditions sociales. Et que pour ce faire, il utilise tous les canaux et mécanismes bilatéraux à sa disposition pour rappeler au gouvernement du Mexique ses obligations à cet égard. Car le passé de M. Barrio ne nous donne aucune garantie que, comme représentant du Mexique, il sera sensible à cette question, bien au contraire.
Nous demandons que le Canada offre son appui au gouvernement du Mexique pour qu’il mette en œuvre les réformes et l’assainissement du système judiciaire et des forces de sécurité indispensables pour mettre fin à l’impunité et à la corruption qui ne font que favoriser les féminicides de Ciudad Juárez.
Nous rappelons instamment au gouvernement du Canada qu’il se doit lui aussi de respecter ses propres engagements envers les femmes du Canada.
Nous espérons, Monsieur le Premier ministre, que vous donnerez suite à notre requête et vous prions d’accepter nos salutations respectueuses,
Michèle Asselin
Présidente
C.c. :
Lawrence Cannon, Ministre des affaires étrangères
Stockwell Day, Ministre du commerce internationale
Guillermo E. Rishchynski, Ambassadeur du Canada au Mexique