La lettre suivante a été envoyé par Mr. Manuel Suarez, résident de Sainte-Louise, à son député conservateur Mr. Bernard Généreux.
Elle a également été envoyée au Premier Ministre Stephen Harper, à tous les chefs de partis du Canada, aux députés libéraux francophones, ainsi qu’à un bon nombre de médias locaux et nationaux.
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Sainte-Louise, le 6 avril 2009
Objet : Lettre publique contre l’Accord de libre-échange Canada-Colombie
Monsieur Bernard Généreux,
Député de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup
Suite aux très récents débats à la Chambre des communes sur le projet de loi C-2 concernant la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie, je tiens à vous exprimer mon profond désaccord face à la position du Parti Conservateur du Canada. Colombien d’origine, je suis installé à Sainte-Louise depuis deux ans maintenant. C’est un lieu magnifique et j’aimerais tant que mon pays puisse connaître la paix sociale dont jouit notre région.
Je ne comprends pas pourquoi le gourvernement a instauré un Comité permanent du commerce international sur lequel siège des députés de tous les partis, dont le vôtre, si ne n’est pour écouter ensuite son expertise et ses recommandations. Dans son rapport de juin 2008, le Comité a clairement demandé qu’une étude d’impact indépendante soit réalisée avant la signature de cet accord et a demandé un moratoire sur le projet de loi tant que cette étude ne serait pas réalisée. Où est-elle? Qui vous a dit, à l’exception des industries minières et du blé canadiennes, que cet accord serait bon pour la population de mon pays qui est sans cesse déplacée de son territoire dans la violence pour laisser le terrain vacant aux investissements étrangers?
Un amendement à l’accord, proposé par le Parti Libéral exigeant que la Colombie et le Canada élaborent annuellement un rapport d’impact de l’accord commercial sur les droits humains, n’est absolument pas suffisant. La proposition de cet amendement n’a aucune crédibilité. Il est complètement ridicule de demander au gouvernement colombien qu’il se surveille et fasse rapport sur lui-même. Plusieurs organisations de défense des droits humains et également le Haut Commissaire des Nations Unis sur les droits de l’Homme documentent depuis des années la complicité de l’État colombien dans les violations de droits humains.
Savez-vous que mon pays compte plus de 3,5 millions de déplacés internes et que plus de 4 millions de Colombiens ont fuit le pays? C’est la plus grande crise humanitaire en terme de déplacés après le Soudan, mais personne ne dit mot. Les seuls mots que j’entends sur mon pays sont ceux sur les opportunités que ce pays, riche en ressources naturelles, peut apporter aux Canadiens… Que nous devons nous dépêcher de signer l’Accord pour vendre encore davantage de blé, entre autres… Savez-vous seulement que les Colombiens traditionnellement ne mangeaient pas de blé et jouissait d’une souveraineté alimentaire à faire saliver plusieurs pays du nord. Maintenant, nous y mangeons du blé subventionné du Canada, parce qu’il est vendu souvent moins cher que nos propres productions de céréales, parce que les investisseurs et prêteurs du Nord nous ont amené à cultiver des monocultures de bananes, de café, de palme africaine (pour l’huile et le biodiesel), de fleurs, etc, dédiés uniquement à l’exportation vers les pays du Nord et ce, pour un prix ridicule. En plus de détruire notre biodiversité et de déplacer les populations locales, elles nous placent dans une situation de dépendance extrême.
Je suis scandalisé, tout comme la grande majorité des associations civiles colombiennes et ONG de droits humains, par cet Accord et j’aimerais bien vous entendre prendre position sur celui-ci.
Savez que cet Accord vise à faire passer l’exploration minière dans mon pays de 10% du territoire à 80% (au grand plaisir des minières canadiennes) ? Savez-vous que cela ne profitera jamais ou très peu à la population colombienne? Des rapports récents des Nations Unies et d’Amnesty International font état de l’escalade de violence contre les communautés autochtones et afro-colombiennes, notamment par le biais d’assassinats et de déplacements forcés de leurs terres collectives pour y installer des projets agro-alimentaires et d’extraction de ressources naturelles. En outre, une mission internationale pré-électorale revenue de Colombie en février 2010 fait état de très nombreux cas de corruption et de fraude au sein des autorités colombiennes. Aujourd’hui, plus de 60 congressistes font l’objet d’enquêtes judiciaires ou de condamnations pour liens avec les paramilitaires. Ajoutons que la Colombie détient le très triste et grave record mondial du nombre de syndicalistes assassinés annuellement: ils étaient 49 pour la seule année 2009. Le saviez-vous M. Généreux?
Je vous demande donc de m’expliquer pourquoi le Parti conservateur, tout comme le Parti Libéral, refuse d’écouter les recommandations du Comité permanent du commerce international. Même le Congrès états-uniens refuse actuellement de ratifier un tel accord tant que la situation des droits humains en Colombie ne ce sera pas améliorée.
Ne me répondez pas que les droits humains s’amélioreront grâce à une intensification du commerce, je ne vous croirai pas et je ne connais aucun exemple à l’appui, sinon une idéologie qui place le libre-marché avant les humains. Les droits humains s’amélioreront quand des hommes et femmes politiques auront le courage de ne plus soutenir une économie basée sur une dérèglementation constante qui met en péril partout les droits du travail et la préservation d’un environnement sain et ce, en Colombie comme au Canada.
Je vous demande de ne pas soutenir l’Accord, ni l’Accord amendé et de demander une étude d’impact indépendante avant de prendre une décision sur l’adoption du projet de loi C-2
Veuillez agréer, Monsieur Généreux, mes salutations distinguées,
Manuel Suarez
Sainte-Louise, Québec, Canada
(418) 919-0526
C.C. Envoyée par la poste à votre bureau d’Ottawa