HomeNouvellesNation Mapuche. La question mapuche : le caillou dans la chaussure de Boric

Nation Mapuche. La question mapuche : le caillou dans la chaussure de Boric

Le peuple mapuche est l’un des plus importants peuples autochtones du Chili, tant par son poids social que par son fort sentiment d’identité culturelle. Avant la création de l’État chilien, ils ont résisté à la guerre d’Arauco contre la domination espagnole et la « Pacification de La Araucanía ». Aujourd’hui, le peuple lutte pour la réappropriation territoriale et l’autonomie.

 

« Les Mapuches sont un peuple autochtone avec de nombreuses diversités qui existait avant l’État chilien », déclare Natalia Caniguan, chercheuse au Centre d’études interculturelles et autochtones (CIIR), au média Sputnik à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones commémorée chaque 9 août.

 

« Encore aujourd’hui, je ne pourrais pas donner une définition culturelle, mais leurs pratiques sont porteuses d’une histoire qui s’explique aussi sur la base d’une dépossession territoriale, culturelle et sous plusieurs autres formes », explique la chercheuse.

 

« Il s’agit d’un groupe résilient doté d’une grande diversité, aussi générée par des processus historiques qui les ont placés dans une situation d’inégalité », ajoute-t-elle.

 

Au Chili, il y a 2 185 792 personnes qui ont déclaré appartenir à un peuple autochtone selon le Recensement de la population et du logement (2017), ce qui correspond à 12,8% de la population totale comptabilisée. Parmi ce groupe, la majorité (79,8%) a déclaré appartenir au peuple mapuche, soit 1 745 147 personnes.

 

Une résistance de plus de 500 ans

 

Historiquement, les Mapuches se sont installés entre les rivières Itata et Toltén dans le centre-sud du Chili. Ils ont opposé une résistance farouche à la domination espagnole tout au long du XVIe siècle, jusqu’à expulser les colonisateurs de leur territoire, un événement connu sous le nom de la Guerre d’Arauco (1550-1656).

 

Après la guerre et la création de l’État du Chili en 1810, le peuple mapuche a été massacré par les soldats chiliens lors de la « Pacification de La Araucanía » qui a débuté en 1861.

 

Au cours du XIXe siècle, les Mapuches ont dû résister à la pression militaire des nouvelles républiques du Chili et de l’Argentine qui occupaient la région.

 

Cependant, ce n’est pas la seule dépossession dont a souffert le peuple mapuche. En 1974, la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990), par l’intermédiaire de l’homme d’affaires forestier et ministre de l’économie Fernando Leniz ainsi que d’autres économistes, a rédigé le décret controversé DL701 permettant à l’État de subventionner les opérations forestières pendant des années.

 

« Des groupes de travailleurs de la province d’Arauco, souvent d’anciens mineurs, ont été emmené dans des camions militaires vers la chaîne de montagnes de Nahuelbuta (située à 607 kilomètres au sud de Santiago) pour creuser des trous et planter des pins pour des entreprises forestières. Les terres ont été achetées à bas prix et les plantations se sont révélées très rentables. Cette forme créole            d’ “accumulation originelle” a conduit à la création d’énormes fortunes et ils se vantent aujourd’hui d’exporter dans toutes les parties du monde », écrit José Bengoa dans le livre Réforme agraire et révolte paysanne.

 

Les militaires et un dialogue distant

 

Bien que Gabriel Boric ait critiqué la militarisation du Wallmapu (le territoire historique mapuche en langue mapudungún) lorsqu’il était député et durant sa campagne électorale, son gouvernement a maintenu les militaires dans les rues pendant près de trois mois dans les régions de Biobío et de La Araucanía.

 

Dans cette zone, un conflit territorial oppose depuis des années l’État, certaines communautés mapuches et des entreprises forestières. Le conflit s’est intensifié au cours des dernières décennies. Les attaques contre les entreprises forestières ainsi que les affrontements entre les Carabiniers (police militarisée) et les membres de la communauté mapuche sont courantes.

 

En octobre 2021, l’ancien président Sebastián Piñera (2010-2014; 2018-2022) a décrété l’état d’urgence dans les régions de La Araucanía et de Biobío où se trouve le territoire historique mapuche.

 

Le gouvernement actuel de Boric a décidé de ne pas renouveler l’état d’urgence, celui-ci a donc pris fin en mars 2022. Cependant, le 16 mai dernier, le ministre de l’Intérieur Izkia Siches a annoncé que le gouvernement décrétait à nouveau l’état d’urgence à Wallmapu. Cette mesure est encore en vigueur aujourd’hui.

 

Sputnik s’est entretenu avec Miguel Melín Pehuen, représentant de l’Alliance territoriale mapuche, au sujet de cette militarisation prolongée du territoire et de la manière dont un dialogue entre les communautés mapuches et l’État pourrait progresser.

 

« Une condition de base pour le dialogue est de faire sortir les militaires du territoire. Cela ne peut pas continuer. Avec la pandémie, ils en ont profité pour y mettre des militaires. Puis cela s’est normalisé et je pense que cela s’est naturalisé », commente Melín.

 

« Aujourd’hui, la classe politique et les médias de communication partagent l’idée que les militaires sont nécessaires. Je crois qu’ils sont totalement contre-productifs pour le dialogue », déclare le représentant de l’Alliance territoriale mapuche.

 

« En tant qu’État, et en tant que Mapuche, nous devons considérer le modèle forestier. Celui-ci a été imposé pendant la dictature. Il a été imposé, tout comme la Constitution. Le modèle est donc contre-productif pour le dialogue et tant que la question forestière ne fera pas partie du problème, je pense qu’il sera très difficile d’avancer », conclut Melín.

 

Dans le même ordre d’idées, le lonko (chef) du lof (espace territorial) de Temulemu, Juan Pichun, a expliqué à Sputnik que le dialogue offert par l’État aux communautés met en avant les intérêts des entreprises forestières et de l’extractivisme qui existe dans la zone de Wallmapu.

 

« C’est à cela que sert la militarisation. Parce que si c’était pour les armes, il y a beaucoup plus d’armes dans la zone centrale que dans les communautés. En ce sens, je crois que ce gouvernement a commis une erreur en maintenant la politique que Piñera a menée en ce qui concerne le retrait des militaires du territoire mapuche », ajoute Pichun.

 

Le racisme est-il un problème de société ou un problème créé par l’élite?

 

Au cours des derniers mois, et au fur et à mesure de l’avancement des travaux sur la nouvelle Constitution, un secteur de la société a commencé à remettre en question les propositions sur la plurinationalité formulées par la Convention constitutionnelle.

 

Au Chili, les grands médias sont liés aux grands hommes d’affaires. Beaucoup ont même des intérêts économiques dans des entreprises forestières et à Wallmapu.

 

« Il y a un intérêt de la part de l’élite politique chilienne à souiller la demande légitime du peuple mapuche de récupérer ses territoires », déclare Juan Pichun.

 

Le chef mapuche de Temulemu a expliqué que l’élite chilienne cherche à changer l’opinion publique concernant les demandes que les communautés ont soulevées par le biais des médias.

 

« La société chilienne en général respecte le courage du peuple mapuche qui n’a pas fait de compromis et qui ne s’est pas laissé vaincre. Mais aujourd’hui, ce que les élites veulent faire, c’est transformer cela, manipuler, pour que cette même société soit celle qui condamne une action légitime de récupération des territoires », ajoute Pichun.

 

« El Mercurio [journal qui a été financé par la CIA pour déstabiliser le gouvernement de Salvador Allende (1970-1973)] a un rôle historique dans le discrédit des revendications des Mapuches », déclare Miguel Melín.

 

« Dans l’éditorial de El Mercurio en 1868, on encourageait l’occupation et la dépossession du territoire mapuche, même en connaissant l’existence d’une nation indépendante. En même temps, ils ont utilisé l’occupation et des adjectifs qui sont presque les mêmes qu’aujourd’hui », ajoute le représentant de l’Alliance territoriale mapuche.

 

Aucun progrès sur le « problème de fond »

 

Les trois personnes interrogées soulignent que ni le gouvernement de Gabriel Boric ni aucun des gouvernements précédents ne se sont attaqués au problème de fond, soit la restitution des terres, l’autodétermination et l’expulsion des entreprises forestières de Wallmapu.

 

« Il n’y a pas de ligne directrice claire. Il n’y a pas de conviction sur la façon d’aborder cette question. Par conséquent, ils prennent des mesures parfois erratiques, parfois plus précises. Il n’y a pas de ligne directrice qui nous dise que nous allons dans la voie d’une restitution territoriale ou vers la conciliation des droits des peuples autochtones », souligne Caniguan.

 

Dans le même ordre d’idées, Melín a expliqué que les questions fondamentales n’ont pas été abordées comme l’État n’a pas inclus les contenus demandés par les communautés tels que l’autonomie et les ressources naturelles.

 

Enfin, le représentant de l’Alliance territoriale mapuche a déclaré que le gouvernement de Gabriel Boric était une énorme déception. « En général, dans les territoires, on s’attendait à beaucoup plus. »

 

 

Article d’Alexis Polo González (Sputnik) et Resumen Latinoamericano

Publié le 8 août 2022