Dans le cadre d’une tournée nord-américaine et européenne, Nestora Salgado était de passage à Montréal début novembre pour dénoncer la violence structurelle et les violations des droits humains perpétrées par l’État mexicain, en complicité avec les entreprises et gouvernements étrangers, et facilitées dans le contexte de l’implantation de mégaprojets qui se sont multipliés depuis la signature de traités de libre-échange.
Nestora Salgado a participé à la mise sur pied d’une police communautaire autochtone à Olinalá, sa ville natale, dans l’État de Guerrero au Mexique. Cette police a été créée en 2013 en toute légalité (suivant la loi 701 de l’État de Guerrero au niveau étatique, l’article 2 de la Constitution mexicaine au plan fédéral et la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail [OIT] sur la scène internationale, concernant le droit à l’autodétermination et la reconnaissance des droits des peuples autochtones) et avec l’appui financier et matériel du gouvernement local. Elle est l’issue d’un ras-le-bol collectif quant à l’inaction du gouvernement face aux violences ignobles dont sont victimes les membres de la communauté, et ce, malgré les dénonciations fréquentes : séquestrations, extorsions, disparitions, assassinats, féminicides et violences sexuelles envers les femmes et les enfants, réseaux de traite des personnes et de prostitution. La police communautaire s’est rapidement attaquée aux crimes graves ayant lieu dans la communauté, dévoilant ainsi l’implication du gouvernement dans certains de ceux-ci.
Mme Salgado souligne que « le gouvernement n’aime pas les peuples qui s’organisent. Non seulement la police communautaire est poursuivie, mais aussi les enseignant-e-s, les étudiant-e-s, tout type de militant-e-s sociales et sociaux, et [le gouvernement] suit une façon de faire systématique de fabrication de preuves : charges de séquestration, crime organisé, terrorisme, les charges les plus difficiles contre lesquelles se défendre et, dans mon cas, cela est bien prouvé »[1]. La mise en lumière de cette tendance du gouvernement mexicain à judiciariser les mouvements sociaux a même été corroborée par le Groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations Unies. Ainsi, après avoir refusé des pots-de-vin offerts par des membres du gouvernement pour que la police communautaire abandonne ses enquêtes, Mme Salgado a été interceptée par un effectif imposant de membres de la marine, de l’armée et de la police étatique. Ceux-ci ne se sont pas identifiés en bonne et due forme et ne possédaient pas de mandat d’arrêt. Ils ont saisi son passeport des États-Unis (pays duquel elle a obtenu la citoyenneté) en omettant d’informer l’ambassade états-unienne de son arrestation, contrairement à ce que veut la loi. C’est là qu’a commencé une longue série de violations des droits fondamentaux de Mme Salgado, notamment ceux qui concernent la liberté et la sécurité et qui préviennent des détentions arbitraires, pourtant stipulées dans la Déclaration universelle des droits humains (art. 9 et 10) et le Pacte international des droits civils et politiques (art. 9 et 14), ratifiés par l’État mexicain.
Durant les deux ans et sept mois de sa détention illégitime, elle a été confrontée à des conditions qui peuvent être considérées comme de la torture : elle a passé 27 mois en isolement, parfois dans l’obscurité totale ou parfois sous une lumière incessante et aveuglante, a vécu des déplacements constants et a été détenue dans des lieux suspects et irréguliers, en plus de ne pas avoir eu accès à un avocat pendant près d’un an. Son accès à l’eau potable et à des soins de santé, malgré sa condition physique fragile due à des séquelles d’un accident de voiture, ont été entravés et ses contacts avec sa famille, très rares. Elle a été acquittée en 2014, pourtant il a fallu attendre deux ans après ce jugement avant qu’elle soit libérée. Elle a, de plus, été poursuivie une deuxième fois pour des charges dont elle avait déjà été acquittée, ce qui est contraire à la Constitution du Mexique. Tel que mentionné dans le rapport du Groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations Unies, « Mme Salgado García a été accusée des infractions de criminalité organisée (chef d’accusation fédéral) et d’enlèvement (chef d’accusation de l’État). Toutes les accusations reposent sur les actions menées par la police communautaire d’Olinalá, en tant qu’autorité légalement reconnue dans l’exercice de ses obligations en matière de sécurité publique »[2]. Comme le mentionne Mme Salgado, « sur les 250 membres de la police communautaire, comment se fait-il qu’uniquement moi, Nestora, ait été arrêtée ? ».
Elle affirme qu’elle a été détenue en raison de sa lutte pour la défense des peuples autochtones. Lors de son passage à Montréal, Nestora Salgado a martelé que son cas, qui a même été condamné par les Nations Unies, constitue une « radiographie totale de l’impunité et de l’abus d’autorité et de pouvoir de la part du gouvernement, étatique comme fédéral, parce que pour [les membres du gouvernement], c’est facile de fabriquer des délits. Au Mexique, il y a tant de prisonniers politiques pour lesquels des preuves ont été fabriquées et on constate les violations de tous nos droits ». Elle trace le lien entre son cas et ceux de nombreuses personnes étudiantes et professeures dans les dernières années, notamment les 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa. Elle dénonce le « terrorisme d’État » et le « crime organisé [qui] est à l’intérieur du gouvernement, ses députés, ses gens, son système [qui] travaillent main dans la main. Le gouvernement ne reconnaît pas ces violations de droits humains, peu de gens dans les médias veulent parler de nous ».
C’est pourquoi Nestora Salgado réalise une tournée en Amérique du Nord et en Europe pour sensibiliser la société civile et les gouvernements à ces violations des droits humains, pour demander que « cesse ce narco-gouvernement et ces assassinats et pour faire en sorte que nos droits humains et autochtones soient respectés », ainsi que pour tisser des liens avec d’autres organisations pour « défendre ce qui est nôtre, crier haut et fort pour défendre notre liberté et notre autonomie, particulièrement celle des femmes ». Nestora Salgado nous invite à la vigilance puisque certaines des charges contre elle sont encore en appel et que plusieurs camarades demeurent en prison au Mexique pour des raisons politiques[3].