Le 14 décembre 2022
Dans Yves Engler
De nombreux Péruviens sont descendus dans la rue pour s’opposer à la destitution du président élu Pedro Castillo qui a eu lieu la semaine dernière. Ottawa a soutenu l’éviction de l’ancien enseignant et dirigeant syndical lorsque le gouvernement s’est retiré du Groupe de Lima.
Les manifestants ont bloqué d’importantes autoroutes et se sont emparés de l’aéroport de Arequipa, la deuxième plus grande ville du Pérou. Des grèves ont lieu dans tout le pays.
Pour réprimer le soulèvement populaire, les forces de sécurité ont tué au moins six manifestants au cours des deux derniers jours. Des dizaines d’autres ont été blessés et le gouvernement a déclaré l’état d’urgence dans de nombreuses régions du pays. L’armée a été déployée pour sécuriser les infrastructures et Kawsachun News a publié une vidéo inquiétante d’un chef de police à Andahuaylas, un foyer de résistance autochtone, qui encourage ses forces en déclarant qu’il faut « tuer ou mourir ».
Le premier président de gauche du Pérou a été destitué et emprisonné le 7 décembre. Depuis son élection, il y a 18 mois, Castillo a été attaqué par les médias, l’élite économique et le Congrès. Son adversaire de droite a refusé de reconnaître sa victoire électorale et le Congrès a cherché plusieurs fois à le mettre en accusation.
C’est en partie pour cette raison que Castillo a été largement inefficace dans la poursuite de son programme visant à réduire les inégalités flagrantes du pays. La tentative du président de dissoudre le Congrès en réaction à sa mise en accusation était mal planifiée et constitutionnellement discutable.
Si Washington a soutenu la destitution de Castillo, au moins huit pays de la région ne l’ont pas fait. En colère contre son gouvernement pour avoir qualifié le Groupe de Lima, qui s’oppose au Venezuela, de « la chose la plus désastreuse que nous ayons faite en politique internationale dans l’histoire du Pérou », Ottawa a soutenu la destitution de Castillo. Lors d’une réunion spéciale de l’Organisation des États américains (OEA), peu après l’arrestation de Castillo, le représentant du Canada a déclaré : « Le Canada tient à exprimer sa profonde inquiétude face à la tentative du président Castillo de dissoudre le Congrès et d’établir un gouvernement d’exception au Pérou. Ces actions déstabilisantes vont directement à l’encontre de la recommandation du groupe de haut niveau de l’OEA et risquent de mettre en péril l’adhésion du Pérou aux normes démocratiques. » Selon Ottawa, la destitution du président élu est un pas en avant pour la démocratie.
Affaires mondiales Canada a fait écho à cette position dans un tweet. Le 12 décembre, l’ambassadeur du Canada au Pérou, Louis Marcotte, a réagi à l’assassinat par les forces de sécurité de plusieurs manifestants, dont deux adolescents, en tweetant : « Au vu des plus récents événements au Pérou, le Canada appelle au calme et invite tous les acteurs à éviter l’escalade des tensions par un dialogue civil et démocratique. Le droit de réunion pacifique doit être respecté et protégé. »
Alors que le Canada a largement blâmé Castillo pour la crise politique, la Colombie, le Mexique, la Bolivie et l’Argentine ont publié une déclaration collective le qualifiant de « victime d’un harcèlement antidémocratique » : « Nos gouvernements demandent à tous les acteurs impliqués dans le processus de donner la priorité à la volonté des citoyens qui a été prononcée dans les urnes. »
Le Canada a soutenu à plusieurs reprises la destitution de politiciens élus. En 1992, le président péruvien Alberto Fujimori avait organisé un « auto-coup d’État » en déployant l’armée pour sécuriser le Congrès, les médias, le siège du parti et les rues de Lima. Dans ce cas, le Canada avait refusé de condamner le coup d’État du président péruvien néolibéral contre le congrès élu.
Le parallèle le plus proche de la situation actuelle est peut-être le soutien du Canada aux coups d’État parlementaires contre la présidente sociale-démocrate brésilienne Dilma Rousseff en 2016 et le président paraguayen Fernando Lugo en 2012. Ottawa a soutenu passivement ces destitutions, qui étaient embourbés dans des manœuvres juridiquement discutables.
Au lieu de se ranger du côté des États-Unis, Ottawa devrait dénoncer avec force la répression policière au Pérou, demander la libération de Castillo et son retour à la présidence (ou des élections immédiates). Avec les protestations qui se multiplient, le peuple peut encore renverser ce coup d’État.