AccueilNouvelles« Pas touche à l’eau! » : interview avec Silvia Iñiguez sur la pollution de l’eau à Uspallata, Argentine

« Pas touche à l’eau! » : interview avec Silvia Iñiguez sur la pollution de l’eau à Uspallata, Argentine

Publié par Tennessee Maciol, Comité pour les droits humains en Amérique latine, le 10 avril 2025

 

TM : Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots?

SI : Je m’appelle Silvia Iñiguez, je suis enseignante à la retraite, militante syndicale, sociale et politique depuis plus de 40 ans. Je vis actuellement à Uspallata et j’ai rejoint l’une des assemblées qui défendent l’eau contre toute forme de pollution.

 

TM : En parlant de pollution et d’extractivisme, quelles sont les implications quant à l’implantation d’une mégamine à ciel ouvert près du village d’Uspallata?

SI : À l’heure actuelle, le plus grand risque est que le gouvernement tente de donner le feu vert au mégaprojet minier dénommé San Jorge, qui vise à extraire du cuivre en premier lieu, puis de l’or et de l’argent en plus petites quantités. Mais il n’y a plus de veines comme dans l’ancienne exploitation minière, où l’on creusait des trous dans les montagnes et où l’on extrayait le minerai. Aujourd’hui, l’épuisement de ce modèle d’extraction des métaux fait que le minerai est dispersé dans les montagnes, d’où l’appellation de mégamines à ciel ouvert, car il s’agit de démolir une colline entière à l’aide de milliers de tonnes d’explosifs. Pour extraire un gramme d’or, 9 000 tonnes d’explosifs sont généralement utilisés.

Si l’on parvient à séparer le métal de la roche, ces roches, que l’on appelle résidus, restent contaminées chaque fois qu’il pleut. Chaque fois qu’il neige, l’acide, les toxines contenues dans la roche, pénètrent dans la terre, contaminent les eaux profondes, les nappes phréatiques, mais aussi, en raison de la pente de la montagne, atteignent les ruisseaux qui nous fournissent de l’eau. Et il faut des milliers d’années pour que les résidus soient dépollués. Il faut qu’il pleuve, qu’il neige systématiquement sur ces roches, pour qu’elles perdent leur contamination. Ces es roches sont pleines de métaux lourds qui sont contenus dans les explosifs. Chaque explosion, ces 9 000 tonnes d’explosifs, le nuage de poussière qu’elle génère va quelque part, il va dans l’atmosphère, puis les vents l’amènent dans les régions où nous vivons, et ce nuage contient de l’uranium, du mercure, une série de métaux lourds qui se déposent sur notre peau, nous les respirons, sur les animaux, sur les plantes. Normalement, autour des mines à ciel ouvert, la faune et la flore disparaissent, car la pollution est tellement intense qu’elle tue tous les êtres vivants.

 

TM : Peux-tu expliquer pourquoi la mine San Jorge souhaite extraire du cuivre et d’autres minerais et pourquoi elle le fait en Argentine?

SI : Il s’agit ici d’extraire du cuivre, essentiellement, car nous sommes censés nous diriger vers la transition énergétique, c’est-à-dire que des panneaux solaires aux voitures électriques, tout fonctionne au lithium et au cuivre. Quelle est la réalité? La majeure partie du cuivre qui est extrait en Amérique du Sud – c’est-à-dire toute la zone de sacrifice sud-américaine : le Pérou, le Chili, l’Argentine, le Brésil – est destinée au monde, aux pays dits du premier monde, qui se servent des tragédies des pays qui ne sont pas sous-développés. Dans la division politique, dans la géopolitique des grands empires, il nous incombe de continuer à être les fournisseurs de matières premières.

Toute l’Amérique latine, nous sommes les fournisseurs. On nous empêche d’être des pays développés sur le plan technologique et industriel. Aujourd’hui, l’Argentine est sous le régime de l’extrême-droite, qui essaie de la convertir en un pays sans identité culturelle, à la merci du marché. De quoi le marché a-t-il besoin? Vous avez besoin de cuivre? Eh bien, vous avez toute la chaîne de montagnes, faites-la sauter, prenez le cuivre, prenez l’argent, prenez l’or, prenez le lithium. De quoi d’autre avez-vous besoin? De soja. Continuez à tout exploiter depuis la Pampa Húmeda, jusqu’à l’est, vers le Chaco, Formosa, Santiago del Estero, Corrientes, tout est soja. L’Amérique du Sud est la zone de sacrifice. Ils ne regardent pas les tragédies du peuple, tout comme ils ne regardent pas la tragédie du peuple de Gaza, du peuple palestinien.

Ici, en Argentine, les radios communautaires sont notre seul moyen d’informer tout le pays sur ce qui se passe dans chacune des provinces.

Le cuivre extrait en Amérique du Sud, qui détruit les communautés – Calama, Chili, Andalgalá, Catamarca – a fait augmenter les cas de cancer de 800 %, les pathologies dès la naissance, les maladies mortelles de toutes sortes : personne ne voit cela, cette tragédie des communautés pauvres et subjuguées. La seule chose qu’il leur reste, c’est de travailler en sachant qu’elles et leurs familles vont mourir, c’est de survivre aussi longtemps qu’elles le peuvent.

La majeure partie de ce cuivre est utilisé par l’industrie de la guerre, et non pour la transition énergétique – porte-avions, chars, hélicoptères – et les grands empires s’en servent : les États-Unis, l’Europe, la Chine, la Russie et l’Inde. Ainsi, détruire des populations, détruire des territoires pour des échanges commerciaux, c’est faire disparaître non seulement des êtres humains, mais aussi la biodiversité. La dispute pour l’eau pure est un élément central dans le monde. Cela fait 20 ans que nous avertissons qu’à l’avenir, des guerres seront menées pour s’approprier l’eau, et en effet, ici en Argentine, la guerre est arrivée, non pas avec des bombes de l’armée, mais avec des bombes des mines. Une loi vient d’être approuvée par le Congrès au début de l’année, la loi Bases qui incorpore le RIGI (régime de promotion pour les grands investissements). L’extrême-droite a réussi, par le biais de pots-de-vin, de pressions et de postes dans les ambassades, à faire en sorte que la majorité, à l’exception de la gauche, vote en faveur de la loi Bases qui incorpore le RIGI, et le RIGI stipule très clairement que lorsqu’une entreprise utilise de grandes quantités d’eau, comme le font les mégamines, la priorité est accordée à l’entreprise, et non à la population. C’est ça que dit le RIGI.

 

TM : On sait bien qu’il en faudra beaucoup aux mégamines pour arrêter l’extractivisme et la pollution, mais on peut en dire autant des défenseur.es de l’eau qui ne lâcheront pas leur lutte de si peu. À ce sujet, quand le mouvement de lutte pour la défense de l’eau est-il né à Uspallata et comment s’est-il organisé au cours des années?

SI : Cela fait 15 ans que les premiers projets sont apparus, tentant d’installer ici une mégamine à ciel ouvert. Dès le début, vers 2010, 2008, les gens ont commencé à s’alarmer. Ils ont commencé à encourager les voisins, à les informer.

En Argentine, notre rôle dans le concert économique mondial est la production de matières premières sans valeur ajoutée, comme c’est le cas de l’industrialisation. Si je récolte du coton, je l’exporte directement et j’achète ensuite les vêtements fabriqués avec le coton récolté par les habitants de mon village. Et évidemment, je l’achète à la valeur que l’industrie lui a attribuée, plus toutes les taxes, la valeur de l’importation, etc. Mais je ne peux pas créer une industrie ici, parce que je me noierais. Je ne peux pas rivaliser avec les grandes industries du monde, qui exploitent une main-d’œuvre bon marché, comme vous l’avez peut-être entendu un millier de fois, soit des enfants qui avaient la main petite et précise. On ne peut clairement pas rivaliser en termes de valeur du produit final.

Malgré les conditions de travail difficiles, les difficultés économiques, et le manque d’offre d’emploi, les gens ont décidé qu’ils n’étaient pas prêts à risquer leur vie, la vie de leur famille, le territoire ou la nature. C’est ainsi que des assemblées ont commencé à se constituer dans toute la province, des assemblées auto-convoquées, qui ont dit : « Venez, discutons de ce qui se passe », et elles ont commencé à articuler les différentes assemblées, et à dire : « Nous devons unir nos forces ». Nous disons toujours : « les grandes puissances mondiales et les grands monopoles économiques ont tout le temps du monde », ou plutôt « tout le temps du monde pour piller les richesses des peuples pauvres, ou des peuples appauvris ».

Enfin, les assemblées ont commencé à se réunir, à s’alerter et à dire qu’il fallait arrêter cela. En fait, lorsque le premier rapport sur l’impact environnemental a été rédigé, en 2008, des collègues ayant une formation universitaire se sont assis pour le lire, et l’université nationale de Cuyo a également publié son propre rapport : il n’était pas possible de mener à bien le développement minier ici à Uspallata. En 2010, ils ont à nouveau produit un rapport d’impact environnemental.

 

TM : L’arrivée d’une mine de cette envergure transforme un village de manière irréversible. En plus de la pollution de l’eau, comment l’implantation d’une mine affecte-t-elle directement la population d’Uspallata ?

SI : Le conflit social généré par l’arrivée d’une entreprise minière produit une reconfiguration sociale et culturelle dans les villages où elle arrive, comme pour le pétrole. Beaucoup d’hommes sont contractés. La plupart d’entre eux disent qu’ils vont employer des femmes, mais ce sont les hommes qui font les travaux pénibles. Et parallèlement à l’arrivée d’une mine, la prostitution se développe.

Nous ne sommes qu’à 80 kilomètres du Chili, le trafic d’êtres humains et de drogue vont se développer. Les jeunes qui travaillent dans les douanes gagnent très bien leur vie, ce sont des jeunes qui reviennent dans leur village avec beaucoup d’argent, un village qui est fait pour observer la nature, pour profiter du silence, mais un jeune qui a de l’argent ne cherche pas cela. Donc, les circuits de la drogue ici à Uspallata aujourd’hui circulent à travers ces lieux. Ceux qui ont accès à un salaire bien supérieur à la moyenne commencent à chercher le plaisir dans autre chose. Par conséquent, la reconfiguration sociale et culturelle va être énorme. En d’autres termes, la méga-exploitation ne produit pas seulement une pollution de l’air, de l’eau et du sol, mais aussi une utilisation scandaleuse de l’eau dans un endroit où l’eau est extrêmement rare, parce que nous dépendons exclusivement de l’accumulation de neige. Chaque explosion des mégamines va contribuer au réchauffement climatique. La mine va accélérer le processus de fonte et de rétrécissement des glaciers et de la zone périglacière. Si le progrès signifie la disparition d’une communauté, ce n’est pas un progrès. Il n’y a pas seulement des explosions, des résidus, ou de la pollution de l’eau : l’exploitation minière à grande échelle génère la mort.

Et maintenant, ils viennent nous dire qu’ils ont des mécanismes technologiques avancés qui vont empêcher cela. Ils ne vont rien empêcher du tout.

Où ira le nuage généré par les explosions? Où mettront-ils les débris? Ici, en Argentine, il y a une longue histoire sur les débris : ils ont essayé d’apporter d’Europe, je pense du Canada à un moment donné, des déchets toxiques, pour les déposer quelque part en Argentine et soi-disant, les mettre dans un endroit. C’est une bombe à retardement. Ils ont tout contaminé.

 

TM : Tu m’as dit qu’avec la mine si proche du village, en plus de détruire la biodiversité, ces explosions feront trembler les murs des maisons et pourraient même les détruire. Comment gérer les impacts de ces explosions?

SI : Ici, c’est la zone la plus sismique d’Argentine. En fait, Mendoza est née d’un tremblement de terre d’une magnitude de 10 sur l’échelle de Richter. Ville de Mendoza, 1862. La plaque tectonique océanique bouge sous le continent. Chaque fois qu’elle bouge, on bouge. Elle est précisément dans cette zone, entre San Juan et Mendoza, du côté chilien. C’est pourquoi nous avons l’Aconcagua, qui est la plus haute montagne de la Cordillère, parce que l’Aconcagua est très récent, il est jeune, il est adolescent. Et il grandit un peu plus chaque année, parce qu’à mesure que la plaque océanique se déplace, le continent s’élève. Il est question de construire un barrage à résidus dans le Cordon du Tigre, une zone hautement sismique. On peut avoir jusqu’à 18 tremblements de terre par jour. On rêve toujours d’avoir une secousse au moins une fois par mois, car elle aide à libérer la pression. On sait que lorsqu’il n’y a pas eu de secousses depuis longtemps, comme c’est le cas en ce moment, c’est parce qu’il y a une accumulation de pression et que cela peut générer un tremblement de terre avec un indice de Richter très élevé. Un tremblement de terre qui fend la montagne, avec tout le contenu du liquide qui a séparé le métal de la roche nous tombe dessus. Il n’existe aucune technologie au monde qui empêche la méga-exploitation minière d’entraîner des tragédies. Partout où on regarde, elle crée des tragédies. Le dynamitage crée des tragédies. Les décharges de résidus miniers créent des tragédies. La digue à résidus crée des tragédies. L’embauche d’hommes pour se rendre dans la ville la plus proche est source de tragédie pour les petites communautés.

Uspallata ne compte pas plus de 16 000 habitants, c’est très petit. Le jeu, le trafic, la prostitution, la drogue vont reconfigurer la construction culturelle. Aucun endroit n’est parfait, car les peuples autochtones ont été laissés de côté. En Argentine, on en compte plus de 20 ou 25 qui ont conservé leur propre vision du monde, leur culture, et ce gouvernement, avec ses alliés, essaie de les transformer, tout comme nous, en terroristes.

 

TM : Justement, je voulais te demander ce que tu penses de la criminalisation de la protestation à Uspallata? Je ne sais pas si c’est encore trop récent, et si tu veux aussi parler de ce qui s’est passé lundi? Jusqu’où une lutte peut-elle nous mener? Parce qu’il y a aussi une criminalisation de la lutte, qui joue sur la peur et qui dit : “On va t’arrêter parce que tu te luttes.” Quelle est la réponse du peuple face à la criminalisation des défenseur.es?

SI : Qu’est-ce qu’on entend par la « criminalisation de la protestation »? D’un point de vue théorique, la loi nous donne le pouvoir en tant que citoyens. En 1994, l’Argentine a modifié sa constitution nationale. À certains égards, il s’agissait d’une mesure progressiste. En effet, à l’époque, elle adhérait aux pactes internationaux relatifs aux droits humains et aux conventions de l’Organisation internationale du travail. Les pactes internationaux relatifs aux droits humains sont supranationaux. Ils sont au même rang que la Constitution nationale. Ça, c’est en théorie.

On vit dans un cadre politique capitaliste. Et pour le capitalisme, tout va bien, tant qu’on ne touche pas aux intérêts qui permettent de faire des affaires. Je suis une femme de gauche, je n’ai rien à voir avec le capitalisme. Je le combats. On essaye toujours d’expliquer que la corruption est inhérente au système capitaliste. Il n’est pas possible pour le système capitaliste de survivre sans corruption. L’un des problèmes qui a forcé un gouvernement progressiste, comme le kirchnerisme, à voter en 2012 une loi antiterroriste, c’est qu’il est devenu un gouvernement progressiste qui a fait passer des lois favorables à la corruption. Ce gouvernement a notamment adopté des lois favorables pour les femmes. En Argentine, 20 à 25 femmes sont assassinées chaque mois, soit presque une par jour. Le féminicide est une pandémie ici. Un gouvernement qui a créé le ministère de la femme, qui a promu l’éducation sexuelle complète dans les écoles, ce gouvernement a voté une loi antiterroriste et, pendant de nombreuses années, nous, les militants, savions parfaitement que, le moment venu, un gouvernement l’utiliserait. Plus tard, Macri a essayé de l’utiliser.

C’est pourquoi un garçon qui voulait empêcher les Mapuches de Chubut d’être spoliés de leurs terres est mort. Santiago Maldonado a été jeté dans la rivière par les gendarmes. Le garçon ne savait pas nager. L’autopsie, pour disculper la ministre de la sécurité, Patricia Bullrich, dit qu’il s’est noyé. Évidemment, si je jette à l’eau quelqu’un qui ne sait pas nager, le plus probable est qu’il se noie.

Nous, les organisations sociales, politiques et syndicales, savions qu’à un moment donné, il y aurait un gouvernement qui utiliserait la loi pour criminaliser la protestation, et en toute conscience, le code pénal a été modifié afin de criminaliser. Les premiers visés ont été les Mapuches du sud, parce que leurs terres sont très convoitées par le grand capital pour des développements immobiliers, pour des mégamines, ou simplement pour s’approprier la terre. Et il se trouve que le peuple mapuche a résisté à la conquête du désert en 1879, avec Roca à sa tête. Il s’agit d’un génocide des peuples autochtones. Le projet s’appelait la conquête du désert. Ils ont massacré les gens et ensuite le gouvernement a distribué les terres de Patagonie à ses amis riches. Les Mapuches résistent depuis lors, car les peuples autochtones sont antérieurs à la constitution des États nationaux. Les peuples s’appelaient selon leur géographie : de tel ou tel côté de la chaîne de montagnes. C’était le même peuple, avec la même cosmovision, mais il habitait des deux côtés de la chaîne de montagnes, et ils communiquaient, ils se connectaient. Ils avaient la même culture, seulement l’un était du côté argentin, l’autre du côté chilien. Ce sont ces personnes qui ont subi les premières attaques de la loi antiterroriste.

Cette loi transforme les gens en terroristes et diffuse cette logique dans les médias de communication que tous les gouvernements ont utilisés, des médias d’extrême droite dirigés par de grandes corporations économiques, devenus les porte-parole officiels des gouvernements pour faire croire à la société que les Mapuches ne sont pas argentins et qu’ils sont des terroristes. Dès lors, quiconque se manifeste contre des biens précieux aux yeux des gouvernements sera persécuté.

En Argentine, nous avons une longue histoire de persécution, d’emprisonnement, de poursuites judiciaires, mais ce n’est que depuis Macri que les gens sont transformés en terroristes. Ça fait 10 ans qu’on est gouverné.es par l’extrême-droite la plus fasciste. (Alfredo) Cornejo a gouverné la province pendant 10 ans, et il l’a transformée en fief. Cette province n’a pas de lois. Personne ne peut s’opposer à lui, il contrôle la législature, il contrôle les juges. Les juges n’osent même pas le contredire. Il était donc très clair pour nous que ce qui se préparait était la persécution.

Le 24 janvier, deux de nos voisins ont été arrêtés et emprisonnés illégalement pendant un mois. Il existe une législation qui dit que tant qu’on n’est pas dangereux pour soi ou autrui et qu’on ne va pas s’échapper, l’affaire est ouverte, le procureur doit enquêter et on est ensuite jugé, mais on doit rester libre. Eh bien non, ils ont été détenus pendant un mois dans une prison commune. Un article disant qu’ils faisaient partie d’une organisation utilisant la coercition et la violence pour imposer ses idées a même été rajouté à leur dossier. Un d’entre eux a accepté un procès abrégé, c’est un nouvel article du code pénal, donc on sort rapidement si on accepte sa propre culpabilité. D’ailleurs, le camarade emprisonné lundi, Mauricio Cornejo, s’est vu appliquer le même article. En plus de cela, ce camarade a eu un accident de moto et s’est cassé la clavicule. Il vient d’être opéré, ils ont dû opérer ses pieds, quelques doigts, parce qu’il s’était cassé des os, et le message que le gouvernement donne à la population est « attention, si vous continuez à vous opposer à la mégamine, vous courez le risque d’être emprisonné ». Maintenant, nous, on dit à nos camarades, qu’au contraire, il faut redoubler d’efforts et descendre davantage dans la rue. Ils ne pourront pas mettre tous les gens en prison, ça, c’est clair. Donc, la garantie pour celles et ceux d’entre nous qui se battent depuis tant d’années, c’est toujours la rue, c’est la force du nombre, c’est l’appropriation du savoir par la communauté pour résister à l’assaut qu’ils préparent en sachant très bien que leur seule manière de nous faire plier, c’est de nous écraser. Mais, bon, il y aura probablement plus de camarades emprisonnés et jugés. Disons que, oui, il est possible qu’ils continuent cette persécution pour nous faire abandonner. Nous allons répondre par d’autres marches, d’autres dénonciations, d’autres actions qui feront comprendre aux gens que cela, quelle que soit la manière dont on le dépeint, entraînera toujours la mort. Il n’y a pas d’autre possibilité.

 

TM : En tant que militant.es, nous agissons actuellement à travers la diffusion d’information, nous prenons part à des actions urgentes, nous dénonçons la violations des droits humains des compagnies minières transnationales et nous manifestons. Comment agir au niveau régional, national et international afin d’arrêter le processus destructeur des mégamines face aux nouvelles formes de gouvernance? Peut-on entrevoir un avenir alternatif optimiste?

SI : Pour nous, il est essentiel de pouvoir dépasser les frontières de la province. Avec plus ou moins de succès, et au niveau international, il s’agit de mettre à nu ce qui se passe, parce que ce n’est pas différent de la conquête de l’Amérique, c’est plus moderne, mais ce n’est pas différent. La richesse de l’Europe s’est construite sur le malheur de l’Amérique latine, sur l’expoliation de ses richesses. La richesse des grandes puissances est liée à la soumission et à la conquête d’autres peuples qui n’avaient pas la même voracité de richesse. Et aujourd’hui, ce n’est pas différent, parce que celles et ceux qui profitent de l’or, de l’argent, du cuivre, de l’uranium, du plutonium qu’on extrait d’Amérique, et de l’eau aussi, ce ne sont pas les peuples d’Amérique latine qui en bénéficient, ni les peuples des grandes puissances. Quand je parle des peuples, je parle des travailleurs et des peuples autochtones.

Lorsque le monde s’effondrera, il ne fera pas d’exception. Nous disons toujours qu’il n’y a pas de planète B. Où vont-ils prendre cette richesse lorsque cette planète s’effondrera? Personne ne sera sauvé. Ainsi, le malheur de nos peuples rejaillit sur le monde entier.

L’Europe et les États-Unis sont en train de goûter à leur propre médecine. Ils ont plongé des peuples dans la pauvreté, les ont arrachés à leurs terres, et l’immigration qu’ils reçoivent aujourd’hui, d’où vent-elle? De ces mêmes peuples qu’ils ont soumis. Comment des gens qui sont conscients que leur bien-être n’est pas le résultat du succès de leur gouvernement, mais du fait que chacun de ces gouvernements, en 100 ou 200 ans, a soumis d’autres peuples pour leur extorquer leurs richesses?

Générons des industries qui nous apportent la prospérité sans avoir à générer la mort dans d’autres endroits.

Alors, si seulement nous pouvions trouver la force sur toute la planète d’arrêter cette folie, n’est-ce pas? Cette folie du capitalisme et de sa nouvelle version, le techno-féodalisme. Des gouvernements qui sont des gestionnaires, qui ne gouvernent pas les pays, mais qui gèrent les pays en faveur des propriétaires de plateformes qui sont devenus immensément riches. Ici, nous sommes habitués à voir passer les satellites d’Elon Musk. Il a déjà envoyé 700 satellites dans l’espace. Il a l’intention d’en envoyer 42 000 pour contrôler l’internet mondial.

C’est peut-être le moment de tous nous déconnecter du Wi-Fi, des téléphones portables, et de recommencer à vivre une vie différente. Cette nouvelle version de l’accumulation du capital est un féodalisme technologique.

Les gouvernements comme Milei ou Trump lui-même, qui sont des managers, travaillent pour leurs patrons qui dominent le monde. Ceux d’entre nous qui ont ouvert leur conscience à la tragédie de ces modèles économiques, politiques, sociaux et culturels ne peuvent pas fermer les yeux, car c’est comme essayer d’occulter le soleil avec un doigt ou avec la main. Le soleil continuera de briller. Ce que nous devons faire, c’est réfléchir à la manière dont nous pouvons amener les gens à commencer à penser.

Nous devons réfléchir à de nouvelles stratégies pour que les gens puissent travailler, pour que nous puissions vivre modérément…. La première stratégie consiste à prendre soin de la nature. Sans la nature, il n’y a pas de vie. La mégamine de San Jorge ne va pas seulement polluer Uspallata. Elle va polluer tout Mendoza. Un million et demi de personnes. Il n’y a aucun moyen d’arrêter la pollution à Mendoza. Celles et ceux qui auront accès à l’eau seront donc celles et ceux qui pourront la payer.

En fait, le gouvernement précédent argentin a conclu un accord avec Mekorot, l’entreprise publique israélienne qui contrôle l’eau en Israël et en Palestine. Elle est la responsable dénoncée par Amnesty International des violations des droits humains, du génocide avant les bombardements, pour avoir coupé l’eau à la bande de Gaza. Cela fait partie de la stratégie géopolitique du gouvernement sioniste d’Israël. C’est Mekorot qui va contrôler l’eau à Mendoza. Nous nous battons donc contre de grandes entreprises internationales. C’est aussi pour cela que nous comprenons la criminalisation de la protestation. Parce qu’elles ne vont pas nous laisser ruiner leurs affaires de plusieurs millions de dollars. Ils prennent 97 % de la valeur de ce qu’ils exploitent ici, et ils laissent 3 % à l’Argentine. Mais c’est encore pire. Le RIGI dit qu’ils ne laisseront 3 % que les deux premières années. La troisième année, sais-tu combien ils laissent à l’Argentine? 0 %. De plus, le RIGI dit qu’ils peuvent embaucher du personnel de n’importe où dans le monde si la main d’œuvre d’ici est trop chère. Ils n’ont même pas l’obligation d’embaucher du personnel local.

 

TM : Pourquoi le capitalisme est-il corrompu? Comment tente-il d’acheter l’esprit critique de chacun? Parlerait-on ici d’une forme d’esclavage moderne?

SI : Tel est le plan macabre pour nos peuples d’Amérique latine. Tout est pensé. Tout est planifié. C’est une stratégie globale pour continuer à piller nos richesses. Ce n’est plus comme Hernán Cortés qui entre au Mexique pour prendre tout l’or des Aztèques avec des épées et des chiens. Ils n’ont plus besoin de cela. Ils ont maintenant besoin de traîtres qui ne pensent qu’à leurs propres poches : gouverneurs, maires, législateurs, présidents, députés. S’ils s’enrichissent, tout va bien. Pour eux, la seule chose qui compte, c’est leur fortune personnelle. En fait, en Argentine, comme ailleurs en Amérique latine, l’entrée dans la carrière politique est un symbole d’enrichissement. Elle est synonyme de corruption. Ils ne sont pas des législateurs pour le peuple. Ce sont des législateurs pour le profit. Aucun de mes collègues de gauche ne s’est enrichi en tant que législateur. Parce qu’ils n’ont gardé qu’une partie de leur revenu, comme s’ils étaient enseignants.