En janvier 2021, après avoir mené une action avec la communauté pour retirer les dragues (machine conçue pour l’exploitation des dépôts d’or (placers) qui extrait l’or du sable et du gravier aurifère avec de l’eau grâce à des méthodes mécaniques basées sur la gravité importante de l’or) du fleuve, Augostina Mayán est devenue la cible de menaces de mort. Cela l’a obligée à se rendre à Lima (Pérou) pour demander de l’aide auprès des autorités péruviennes. Des experts estiment que les mécanismes de protection des défenseur.e.s de l’environnement tel.le.s que Augostina Mayán doivent être améliorés.
À l’âge de 13 ans, Augostina Mayán Apikai s’est enfuie de sa communauté dans le Cenepa, une région de l’Amazonie péruvienne à la frontière avec l’Équateur. Elle a agi ainsi pour échapper à une coutume Awajún et à la volonté de son père, qui voulait qu’elle se marie, abandonne l’école, ait des enfants et obéisse à son mari. « Les temps ont changé. Et je voulais continuer à apprendre, je savais déjà lire« , dit-elle. Elle n’a jamais imaginé qu’elle obtiendrait un diplôme de comptable, qu’elle reviendrait dans l’Amazonie pour devenir l’une des plus importantes leaders autochtones du Cenepa et qu’elle devrait affronter les mineurs illégaux et les mafias.
Augostina Mayán a surmonté tant de défis et de problèmes au cours de sa vie de leader autochtone Awajún qu’il lui semble parfois qu’il n’y a aucun obstacle qu’elle ne puisse surmonter. Elle a étudié à l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos à Lima, a obtenu une maîtrise et a voyagé en Espagne, en Italie et en France. Elle était membre de la direction de l’Association interethnique pour le développement de la selva péruvienne (AIDESEP), où elle a été menacée en 2009 après avoir participé au Baguazo, un soulèvement des communautés autochtones pour exiger le respect de la consultation préalable face à la proposition du gouvernement de promouvoir des concessions en Amazonie. Elle se souvient également que, bien que des organisations de défense des droits humains lui aient proposé de l’accompagner à un moment donné pour les modalités de son maintien en Europe, elle a décidé de retourner dans sa communauté de l’Amazonas pour reprendre son combat environnemental. Ce retour de la leader Awajún s’est accompagné de nouveaux dangers.
En février 2021, elle a reçu des menaces de mort. Ceux qui tentent de l’intimider, raconte Augostina Mayán, l’ont accusée de sorcellerie et veulent qu’elle quitte son travail, sa maison et ses parents. Depuis que les mineurs illégaux se sont installés dans la Cordillère del Cóndor en 2009 et sur les rives du fleuve Cenepa en 2016, ils ont proposé de l’argent à certain.e.s habitant.e.s de la région et même à des proches de Augostina Mayán en échange de la location de leurs fermes pour étendre leur zone d’exploitation, précise la leader autochtone. Ils leur offrent jusqu’à 3 000 soles et souhaitent la disparition de ceux et celles qui sont contre le projet, explique Augostina.
« Nous étions tranquilles, maintenant il y a des conflits au sein de la communauté, car il n’y a rien pour acheter des médicaments, dans cette situation, les mineurs sont présentés comme la solution aux problèmes« , dit Mayan Apikai, qui regrette que derrière les menaces se trouvent non seulement les mineurs illégaux, mais également les membres de la communauté Awajún qui sont désespérés face aux complications économiques et aux dettes que la pandémie génère.
La justice Awajún contre l’invasion minière
Les mineurs et leurs entreprises ont prospéré dans la zone frontalière de la région amazonienne du Pérou. Dans les territoires où Minera Afrodita voulait exploiter les métaux précieux, les exploitations prolifèrent à présent ; des immigrants d’Équateur sont arrivés pour creuser dans la région, ouvrant des puits dans la Cordillère del Cóndor. Dans la partie inférieure, où se trouve le fleuve Cenepa, l’exploitation minière illégale est pratiquée par des colons venus d’autres régions du Pérou et par des membres de la communauté qui trouvent peu de moyens pour faire face au manque de ressources, et l’extraction du minerai est présentée comme un moyen d’obtenir de l’argent rapidement, explique Rocío Meza, avocate de l’Institut de défense juridique (IDL), qui fournit une assistance aux communautés. Rocio Meza ajoute que des dragues ont été placées sur les rives du fleuve Cenepa pour extraire l’or.
Selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé intitulé « L’exploitation minière artisanale ou à petite échelle de l’or et la santé« , l’exploitation minière artisanale utilise le mercure, un métal très polluant. Le document fait valoir que parmi les conséquences environnementales du dragage des gisements alluviaux figurent la dégradation des sols, la perte de terres fertiles, la pénurie d’eau potable et l’augmentation des maladies.
Pendant la pandémie, l’activité minière alluviale a augmenté dans les communautés de Mamayaque, Kayamás, Nueva Vida, Mamayaque, Tutino, Omar Siete, San antonio, Aintam, Huampami, Canga et Kusu Pagata, toutes situées dans la région amazonienne. Des organisations de défense des droits humains, l’Institut de Défense Juridique (IDL) et CooperAcción ont lancé un avertissement à ce sujet. Dans la communauté à laquelle appartient Augostina Mayán, Nuevo Kanam, des mineurs colons sont arrivés et se sont installés dans la région en alliance avec certains membres de la communauté.
L’Organisation pour le développement des communautés frontalières du Cenepa (ODECOFROC), dont Augostina Mayán était présidente jusqu’en 2019, a favorisé la défense du territoire des Awajún. Elle a également dirigé des projets de développement social liés à la reforestation et à l’utilisation durable des ressources. Selon Rocio Meza, avocate de l’IDL, elle est le dernier bastion de résistance à la destruction que peut entraîner l’exploitation minière illégale.
Le problème est que cette défense a commencé à apporter la violence dans les communautés. Les menaces n’ont pas seulement atteint Augostina Mayán, mais aussi Hortez Baitug, actuel président de l’ODECOFROC, et Zebelio Kayap, un autre leader Awajún. Leurs cas ont déjà été portés à l’attention du Bureau du Médiateur et du Ministère de la Justice et des Droits Humains (MINJUS).
« Mais à Cenepa, il n’y a pas de postes de police ou de sécurité. Si quelque chose arrive, le bureau du procureur de Bagua en a connaissance le jour suivant. Il n’y a tout simplement pas d’État« , dit Mayán.
Pendant la pandémie, indique Siu Lang Castillo de CooperAcción, aucune opération n’a été menée dans la zone inférieure du Cenepa. Ces actions sont coordonnées par le ministère de l’Intérieur pour expulser les mineurs illégaux. La police intervient pour dynamiter ou confisquer les machines utilisées pour l’extraction des minéraux. Si la présence de l’État était faible dans la région, au milieu de l’urgence sanitaire, cette situation s’est aggravée, explique Rocio Meza de l’Institut de Défense Juridique (IDL).
Mongabay Latam a contacté le directeur de la Direction environnementale de la police, le général José Ludeña Condori de la PNP, qui a affirmé qu’ils n’ont pas effectué d’interdictions dans la partie inférieure du Cenepa, au moins depuis l’année dernière. Il a confirmé qu’il “existe une activité illégale dans la région, il y a quelques jours un document est arrivé informant de la présence de colons qui exploitent le bois et de l’activité minière illégale, nous l’avons transmis au département de police d’Amazonas. Nous attendons que le chef de la zone fasse un rapport et nous informe de ce qui se passe ».
Le Général a souligné que la pandémie représente un obstacle à la conduite des opérations et qu’un budget et une mobilisation des troupes sont nécessaires, ceci avec un budget limité.
L’assaut des mineurs illégaux
Le point de rupture dans les tensions qui existaient entre l’ODECOFROC et les mineurs illégaux s’est produit le 14 janvier de cette année. Ce jour-là, Augostina Mayán a mené l’expulsion des mineurs de sa communauté Nuevo Kanam. Elle affirme que, profitant de la situation économique et des décès dus à la pandémie, ils ont fait pression sur certain.e.s habitant.e.s de Nuevo Kanam pour qu’ils les laissent entrer.
Lorsque Augostina Mayán est venue voir ses parents âgés, qui vivent dans la région, elle a trouvé des dragues et autres instruments utilisés pour extraire le métal précieux sur les rives du fleuve, tout près de la propriété de sa famille. La leader autochtone n’a pu contenir son indignation. Elle, qui a assisté à tant de congrès sur l’environnement, savait parfaitement ce que l’extraction de l’or faisait aux rivières, elle connaissait le mercure et la pollution qu’il apporte.
Elle s’est immédiatement rappelée du cas de Madre de Dios, où l’exploitation minière illégale a entraîné d’autres problèmes tels que la traite des êtres humains et l’augmentation du trafic de drogue. Elle a décidé d’intervenir et de convoquer une assemblée générale. Elle a réussi à convaincre les habitant.e.s que la meilleure chose à faire était de retirer les dragues et leur a dit que le progrès promis n’apporterait que pauvreté et maladie.
Quelques jours plus tard, les membres de la communauté Awajún ont procédé à une « interdiction ». Ils ont coupé les cordes qui maintiennent les dragues en place et les ont jetées en aval, « parce que personne ne peut demander à la rivière de rendre ce qu’elle a pris », dit Mayán. Cette action a déclenché la colère des mineurs.
Ce fait a divisé la communauté en deux, car, de fait, un groupe de membres de la communauté a exigé que Mayán paie 15 000 soles pour le matériel perdu. « Lorsqu’une expulsion ou une interdiction communautaire a lieu, s’ensuivent une confrontation, de la violence, des agressions, des insultes« , explique l’avocat Siu Lang Carrillo.
Depuis janvier, les menaces ont commencé à arriver par l’intermédiaire de tiers, de voisins ou d’amis qui ont entendu parler de plans d’attaque contre la leader Awajún. L’un des mineurs s’est même rendu chez les parents d’Augostina Mayán pour la menacer. « Ils ont dit à mon père qu’ils vivent de l’exploitation minière, que je n’ai pas le droit de les expulser et qu’ils devraient s’occuper de moi. Ils l’ont insulté et mon père, qui souffre d’hypertension artérielle, s’est évanoui« , dit-elle en colère.
Quelques mois plus tard, en mars, la station de radio communautaire de l’ODECOFROC a été attaquée. « Les cadenas étaient usés, la porte était entrouverte, la table où se trouve l’émetteur était inclinée et les câbles étaient mélangés. Les socles et les microphones sont tombés, et le câble qui a été le plus endommagé est celui qui sert à transmettre la musique« , a dénoncé Zebelio Kayap.
Malgré les menaces et les problèmes de sécurité dans la région, Augostina Mayán ne veut pas quitter Cenepa ni abandonner la lutte environnementale dans sa communauté.
La lutte pour la protection
L’Amérique latine est l’une des régions les plus dangereuses pour les défenseur.e.s de l’environnement. Au Pérou, entre 2020 et 2021, le bureau du médiateur a signalé la mort de huit dirigeant.e.s autochtones. Nelly Aedo Rueda, responsable du programme des peuples autochtones du bureau du médiateur, est préoccupée par la situation. Elle note que les activités illégales ont augmenté avec la pandémie et que la vie de nombreuses/nombreux défenseur.e.s de l’environnement est ainsi mise en danger.
Le cas d’Augostina Mayán et de ses compagnons Hortez Baitug et Zebelio Kayap a attiré l’attention. « Nous savons ce qui s’est passé et nous avons commencé à mettre en garde contre ce problème« , déclare Aedo. Elle ajoute qu' »aucune autorité compétente en la matière ne peut dire qu’elle ignore le risque que les défenseur.e.s vivent à Cenepa, il serait inacceptable qu’elle n’agisse pas face à cette situation.”
Entre février et mars, le bureau du médiateur a envoyé au moins six lettres au ministère public, au ministère de l’Energie et des Mines, au ministère de l’Intérieur, au ministère de la justice et des droits humains, à l’Agence d’évaluation et de surveillance de l’environnement (OEFA) et au ministère des affaires étrangères pour signaler le danger de l’exploitation minière illégale et les menaces à l’encontre des dirigeant.e.s autochtones du Cenepa.
Jorge Abregó Espinoza, coordinateur de l’équipe de mise en œuvre du protocole des défenseur.e.s du ministère de la Justice, a répondu que le protocole des défenseur.e.s de l’environnement a été activé et qu’ils ont entamé les démarches correspondantes. Combien de temps cela prendra-t-il ? Le temps est compté pour les défenseur.e.s du Cenepa.
Siu Lang Carrillo de CooperAcción assure que le protocole n’est pas applicable aux conditions dans lesquelles vivent les défenseur.e.s. En principe, elle envisage une protection policière dans une zone où il n’y a pas de postes de sécurité, l’interdiction est donc le moyen qu’elle juge le plus approprié.
« S’ils voulaient me faire disparaître, ils le feraient dans la brousse, là où il n’y a personne », dit Augostina Mayán. La leader autochtone estime que la seule façon d’être en sécurité est d’expulser les mineurs illégaux de la région.
Il y avait des antécédents. En 2019, le président de l’ODECOFROC, Hortez Baitug, a dénoncé l’existence de l’exploitation minière illégale devant le bureau du procureur provincial spécialisé de Bagua. Bien qu’il n’y ait pas eu de réponse et que le processus ait été bloqué, les dangers pour les dirigeant.e.s de la région étaient déjà mentionnés.
Les avocats qui suivent l’affaire, Rocio Meza et Siu Lang Carrillo, ont soutenu la demande de garanties pour les dirigeant.e.s menacé.e.s de Cenepa. Le processus est toutefois lent. À un moment donné, explique Meza, le sous-préfet de la province de Condorcanqui a demandé une réunion en tête-à-tête avec les chef.fe.s autochtones pendant la deuxième vague de la pandémie. L’avocat a demandé que cette réunion soit annulée car elle mettait en danger la vie d’Augostina Mayán et des autres dirigeant.e.s. Le 12 février, les autorités ont finalement accordé des garanties aux trois dirigeant.e.s menacé.e.s.
La leader Awajún ne se lasse pas de dénoncer le manque de présence des autorités étatiques dans la région. Pour elle, sa meilleure protection est sa famille, sa communauté et celles et ceux qui croient en elle.
Ce qui l’attriste le plus, c’est qu’une autre partie de sa propre famille a décidé que l’exploitation minière illégale était la voie du « développement ». « L’exploitation minière détruit les liens communautaires, il n’y a pas de tranquillité« , dit Mayán.
Siu Lang Carrillo affirme qu' »ils ont fait appel aux procédures légales et épuisent toutes les possibilités pour que l’État agisse« . Il estime que le seul moyen de mettre fin à cette situation risquée est de procéder à une nouvelle interdiction et de faire en sorte que le ministère de l’intérieur et la police prennent des mesures énergiques. « Parce que nous avons affaire à des criminels« , dit-il.
« C’est une situation difficile et le fait qu’ils doivent abandonner leurs activités, leurs vies à cause des mineurs illégaux est comme une punition et ils ne font que protéger leurs territoires, et l’Amazonie« , dit Carrillo.
Les femmes s’organisent
Il est difficile à Cenepa de faire face aux besoins économiques qui ont augmenté avec la pandémie. Augostina Mayán se souvient qu’il y a quelques mois, l’une des mères avec lesquelles elle travaille dans le cadre du projet Maestras ceramistas del Cenepa a frappé à sa porte et est venue lui dire qu’en raison de la possible maladie de l’un de ses fils due au COVID-19, elle avait loué sa ferme à l’un des mineurs illégaux pour 3 000 soles.
« Ils profitent des besoins de mon peuple, ils leur offrent de l’argent, des choses et eux, qui cherchent des moyens pour s’en sortir, commencent à accepter les offres des mineurs (colons)« , dit Mayán.
La leader autochtones de Cenepa est convaincue que les femmes Awajún sont de véritables défenseur.e.s du territoire, mais qu’elles doivent cesser de dépendre économiquement de leurs maris. C’est pourquoi elle soutient et promeut activement le groupe des enseignantes de poterie du Cenepa, un espace que Mayán met à profit pour réfléchir avec ses compagnes aux problèmes qu’elles doivent affronter. Elles font partie du soutien communautaire qui s’est construit face aux activités illégales.
L’actuel président de l’ODECOFROC, Ortez Baitug Wajai, reconnaît le rôle de leader d’Augostina Mayán et souligne le travail des mères Awajún. « Dans la culture Awajún, une femme ne peut pas être blessée, elle est considérée comme une guerrière, une gardienne du savoir. Maintenant, nous avons 7 ou 8 écoles de poterie, elles s’y développent et ce sont leurs maris qui les soutiennent« , explique la dirigeante.
Malgré le harcèlement des mineurs illégaux, Augostina Mayán ne veut pas cesser de travailler avec les professeurs de poterie. Avec eux, elle a obtenu des avancées importantes, comme la reconnaissance de ce savoir par le ministère de la Culture, la participation des femmes Awajún aux foires organisées à Lima, et un circuit de vente de céramiques. « Comment puis-je les laisser maintenant ? Je ne peux pas« , dit-elle.
Ses deux parents âgés sont son plus grand souci. « Mon père s’est excusé auprès de moi, il a reconnu mes réalisations, il m’a dit : je suis fier. » Lorsqu’elle était présidente de l’ODECOFROC et que les problèmes avec les mineurs ont commencé à apparaître, son père a décidé de garder la porte de son bureau et de ne laisser entrer personne.
Elle chérit ce geste.
La leader Awajún est prête à continuer à se battre malgré les dangers et les menaces. Les petits gestes des membres de la communauté lui donnent la force dont elle a besoin.
« Le sourire des filles, qui disent vouloir être comme moi« , dit Augostina Mayán, « est la plus grande récompense malgré ce qui peut m’arriver.”
Source: Mongabay Latam