Publié par : Iniciativa Mesoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Humanos (2024)
Des données qui nous blessent, des réseaux qui nous sauvent : plus de 10 ans d’attaques contre les femmes défenseures des droits humains en Mésoamérique (2012-2023)
Depuis plus de 10 ans, l’Initiative mésoaméricaine des femmes défenseures des droits humains (IM-Defensoras) a développé un système d’enregistrement des agressions qui documente, quantifie et permet d’effectuer une analyse de genre de la violence perpétrée contre la diversité des femmes et des dissidents de genre qui défendent les droits humains en Mésoamérique. La richesse de ce système, pionnier dans le monde, est que, dans son interaction avec le reste des stratégies de protection féministe intégrale, il contribue à la protection des femmes défenseures en identifiant la violence et les réalités concrètes que nous vivons à la fois individuellement et dans nos collectifs.
Ce rapport présente non seulement une analyse des données numériques enregistrées, sur la base d’une relation étroite et engagée avec les territoires, par des dizaines de défenseures chargées de l’enregistrement et de la documentation dans les différents réseaux nationaux de défenseures qui, au niveau régional, sont articulés dans notre stratégie d’enregistrement. Il contient également une compilation des analyses et des réflexions que nous avons construites collectivement au cours de ces plus de dix années.
Les défenseures des droits humains, avec les peuples, les communautés et les organisations, s’organisent dans différents territoires pour résister à la violence qui les menace, pour protéger la vie et le bien-être collectif, et pour construire l’espoir et les alternatives d’une vie digne. Notre existence même en tant que sujets politiques remet en question les mandats patriarcaux qui cherchent à réduire au silence le pouvoir des femmes et la dissidence fondée sur le genre. Le monde pour lequel nous luttons est diamétralement opposé à celui qu’ils tentent de nous imposer et, par conséquent, notre travail met en péril les intérêts des puissants.
En Mésoamérique, nous vivons sous un modèle économique, politique et culturel d’héritage colonial qui se manifeste par des oppressions structurelles et une continuité historique de la violence patriarcale, capitaliste et raciste contre le corps et les territoires des femmes. Dans le contexte de la crise mondiale provoquée par ce modèle, les inégalités économiques, la violence, la pauvreté et les impacts du changement climatique s’aggravent dans notre région. Dans leurs particularités respectives, le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Mexique et le Nicaragua ont été caractérisés au cours de la dernière décennie par l’intensification de l’autoritarisme, la corruption, la fermeture des espaces de participation sociale et politique, la militarisation, l’extractivisme, la pénétration ou l’approfondissement de la présence du crime organisé, le féminicide et d’autres formes de violence à l’égard des femmes et de dissidence fondée sur le genre, ainsi que par une crise migratoire sans précédent. Même dans les pays où des changements électoraux progressifs ont eu lieu, il n’a pas été possible de surmonter la violence structurelle et les inégalités.
Les pouvoirs qui profitent de ce modèle meurtrier trouvent dans la répression, la violence et l’usage de la force le seul moyen de contenir notre pouvoir collectif.
Entre 2012 et 2023, nous avons recensé 35 077 attaques contre 8 926 femmes défenseures et 953 organisations de défense des droits humains en Mésoamérique.
Au cours de la même période, 200 femmes défenseures ont été assassinées. En plus de ce chiffre, 228 tentatives d’assassinat ont été enregistrées, ce qui signifie que si les intentions des auteurs s’étaient concrétisées, nous parlerions de 428 femmes défenseures anéanties parce qu’elles luttent pour un monde meilleur.
Il est important de noter que sur les 58 meurtres de femmes défenseurs documentés entre 2020 et 2023, 40% ont été commis contre des femmes défenseurs trans, avec un total de 23 transféminicides caractérisés par la torture et la cruauté avec lesquelles ils ont été commis.
Conclusions et recommandations
Ces données historiques, collectées sur plus d’une décennie, montrent comment les femmes défenseures mésoaméricaines sont systématiquement attaquées afin de faire taire nos voix et d’affaiblir notre résistance collective, générant des environnements de terreur qui nous laissent, à nous et à nos communautés, des messages qui donnent à réfléchir. Cette violence, loin d’être la conséquence d’États défaillants, est liée à des oppressions historiques et structurelles qui utilisent les systèmes judiciaires et les forces de sécurité publique, entre autres acteurs, pour soutenir un capitalisme raciste et patriarcal.
L’analyse des schémas d’agression nous permet d’identifier comment la violence continue à s’intensifier et comment la pandémie de COVID-19 a jeté les bases de la consolidation des stratégies de contrôle qui se poursuivent encore aujourd’hui. Elle nous permet également de reconnaître comment la construction sociale du genre se manifeste dans les formes et le contenu du harcèlement, des campagnes de diffamation, de la criminalisation et de la violence physique, psychologique et sexuelle subie par les femmes et les dissidents du genre qui défendent les droits humains dans la région.
Malgré cela, les femmes défenseures continuent à parier sur la vie et à construire l’espoir. Pour nous protéger de la violence qui cherche à faire taire nos luttes, IM-Defensoras promeut la Protection Féministe Intégrale (PIF) depuis plus de treize ans. La PIF est un pacte de protection entre les femmes défenseures de différents mouvements sociaux, identités et territoires afin de faire face ensemble à la violence qui nous affecte. Nous le faisons par le biais de réseaux nationaux, d’une alliance régionale et de diverses stratégies de sécurité, de soins personnels, de soins collectifs et de guérison.
Nos luttes pour la pleine conquête des droits humains méritent la garantie de notre droit à les défendre. C’est pourquoi nous exigeons :
– La reconnaissance et la légitimation de nos contributions et de nos luttes.
– L’engagement et l’action effective des États et des institutions pour qu’ils cessent de nous attaquer pour protéger des intérêts privés.
– Des mécanismes internationaux forts ayant la capacité de répondre aux manquements des États à leurs obligations en matière de droits humains.
– Un soutien durable et flexible à nos processus de renforcement et de protection.
– La fin de la violence à laquelle nous sommes confrontés dans nos espaces organisationnels, communautaires et familiaux.
– La garantie des cadres juridiques et politiques, ainsi que des protocoles, qui garantissent notre protection intégrale et celle des personnes qui dépendent de nous.
Lisez le rapport complet ici : https://im-defensoras.org/2024/04/resumen-ejecutivo/#los-derechos-que-defendemos