Louis-Gilles Francoeur
Québec a accepté de céder à la MRC des Basques les forces hydrauliques des chutes de la rivière Trois-Pistoles et de lui louer ce site acheté 250 000 $, en plus d’un paiement de 3,3 millions destiné à mettre fin en 2003 au projet de la société Grade Trois-Pistoles. Cette dernière voulait construire sur l’ancien site industriel une centrale privée de 3,3 MW.
C’est ce qu’a affirmé au Devoir le préfet de cette MRC, André Leblond, qui prépare depuis des années un nouveau projet de centrale hydroélectrique grâce aux plans et devis ainsi qu’au certificat d’autorisation obtenu à l’époque par Grade Trois-Pistoles. M. Leblond affirme avoir conclu une entente qui lui assure d’obtenir pour 1 $ de l’ancien promoteur tous les documents préparatoires du projet s’il devait être retenu dans le prochain appel d’offres d’Hydro-Québec destiné à relancer dans la province le programme des petites centrales privées.
Le gouvernement québécois a mis fin au programme des petites centrales privées à la fin de 2002. Mais le projet de Grade Trois-Pistoles était déjà autorisé par le ministère de l’Environnement et a démarré sur le terrain. Le premier ministre de l’époque, Bernard Landry, avait alors fait entreprendre des démarches pour que le projet soit racheté par Québec ainsi que les terrains que la municipalité devait prêter au promoteur afin d’empêcher que la puissante chute locale ne soit harnachée.
Québec a alors payé 3,3 millions aux deux actionnaires de Grade Trois-Pistoles, soit André Boulanger, alors vice-président de Gaz Métro et aujourd’hui président d’Hydro-Québec Distribution (HDQ), ainsi qu’à l’homme d’affaires Jean-Marc Carpentier. M. Carpentier est toujours actionnaire de cette société, mais ce n’est plus le cas du président d’HQD.
Le préfet Leblond a obtenu un nouveau partenaire pour son projet dans le cadre d’un appel d’offres, finalement remporté par une société d’investissement, Invessor Capital. Ses deux actionnaires sont Réjean Breton, d’Otterburn Park, et Louis Têtu, de Toronto. Ces derniers détiennent 45 % des actions du projet, la majorité étant détenue par la MRC, qui n’y investirait pas un sou. Mais, assure le préfet, la part du capital-action détenue par la MRC lui assurerait des revenus globaux de 700 000 $ à 800 000 $.
«Les investisseurs, ajoute M. Leblond, se sont associés avec la firme BPR pour l’ingénierie du projet», sa gestion, en somme pour réaliser le projet clés en mains.
La firme BPR possède une succursale à Rivière-du-Loup dont le vice-président au développement des affaires est Jean D’Amour, le président du Parti libéral du Québec et ancien maire de Trois-Pistoles. M. D’Amour, qui a été battu aux dernières élections par Mario Dumont, rêve de reconquérir le comté.
Le préfet Leblond ne voit rien d’amoral dans le fait que la collectivité québécoise a investi 3,3 millions pour empêcher un projet hydroélectrique sur la Trois-Pistoles et que l’effet de cet investissement sera annulé si Québec en autorise aujourd’hui un autre, enlevant au cours d’eau le statut de patrimoine collectif qu’il a obtenu avec le rachat du projet et du site.
Selon André Leblond, la MRC a vérifié si elle pouvait obtenir les droits hydrauliques et la location du site acheté par Québec. C’est d’ailleurs, dit-il, une exigence formelle du Guide des mini-centrales de 2008 pour la préparation des projets.
«On a eu la réponse de Québec, c’est oui», dit-il en ajoutant qu’aucun ministère ne s’y serait objecté. Il précise avoir obtenu cette assurance du responsable des services hydriques du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, René Paquette. «On nous a dit qu’il n’y avait pas d’empêchement connu», conclut-il, pour relancer un projet de centrale sur le site acquis afin d’empêcher celui de Grade Trois-Pistoles.
«Scandaleux!»
Rejoint au téléphone par Le Devoir, l’ancien premier ministre Bernard Landry a été littéralement estomaqué d’apprendre que les efforts de son gouvernement pour mettre fin à tout projet de mini-centrale sur la Trois-Pistoles pouvaient être compromis même si le public québécois a payé plus de 3 millions pour y arriver.
«Quand on a pris la décision d’investir dans le rachat du projet, on voulait qu’il n’y ait plus de nouveau barrage», raconte l’ancien premier ministre. Après évaluation de la pertinence de racheter le site et le projet, le gouvernement québécois, dit-il, en était venu à la conclusion «que l’impact économique et énergétique de ce projet ne compensait pas les impacts visuels et environnementaux. Et cela, malgré l’intérêt à l’époque de la municipalité pour le projet. Quand on a 40 000 MW à notre disposition, on ne gaspille pas un site patrimonial pour 3 MW de plus!».
Selon Bernard Landry, «d’un point de vue éthique, le gouvernement ne peut pas revenir en arrière dans ce dossier» et faire comme si la collectivité n’avait pas investi pour en faire un actif patrimonial.
«C’est scandaleux» si on tente de faire indirectement ce que Québec a bloqué à l’époque, conclut-il.
Dossier complexe
En 2004, la MRC des Basques a tenté de relancer le projet de mini-centrale avec la Société de gestion-conseil SCP de Sherbrooke, laquelle ne s’occupe plus désormais du dossier, en principe.
L’actionnaire majoritaire de SCP était la société BPR-Énergie.
Au registre des sociétés, on retrouve aussi SCP Hydro-international comme «premier actionnaire» de Grade Trois-Pistoles, qui pilotait le projet à l’époque et se serait entendu avec la MRC des Basques, selon le préfet Leblond, pour lui céder éventuellement pour $1 ses plans et devis ainsi que son certificat d’autorisation, lequel n’aurait pas été annulé.
Les nouveaux actionnaires du projet de mini-centrale, soit la MRC et Invessor Capital, pourraient ainsi figurer en bonne place dans l’appel d’offres d’Hydro-Québec s’ils n’ont qu’un dollar à débourser pour obtenir des plans et devis que Québec a remboursés à Grade Trois-Pistoles pour la somme de 1,38 million.
Selon le préfet Leblond, la firme BPR doit revoir au cours du prochain mois tous les coûts du projet de 3,3 MW afin de les actualiser en vue de l’appel d’offres de 150 MW qu’HQD doit lancer en avril au profit des promoteurs privés de mini-centrales.
On se rappellera que le programme des petites centrales privées avait mobilisé plusieurs artistes de premier plan dans la coalition Adoptez une rivière, laquelle allait devenir quelques années plus tard la Fondation Rivières, dont le cofondateur est le comédien Roy Dupuis.