Louis-Gilles Francoeur
Plusieurs s’étouffent quand ils entendent nos voisins étasuniens dire que l’hydroélectricité n’est pas une énergie verte et que la subvention fédérale de 1,5 ¢ du kilowatt-heure ne s’y appliquera pas, ce qui nuit à nos exportations.
Nos politiciens répètent pour leur part tous les stéréotypes mis au point au Québec depuis deux générations pour vendre l’hydroélectricité, une énergie plus propre que les combustibles fossiles mais moins que les énergies vertes (économies d’énergie, solaire, éolien et géothermie). Certains voient dans la philosophie étasunienne un relent de protectionnisme mais, par prudence, aucun n’a encore osé invoquer le traité de libre-échange pour contester cette politique. Probablement pour nous éviter une raclée historique qui rendrait inutilisable même au Québec cette idée reçue.
On se comporte en matière d’hydroélectricité comme des vendeurs de chars ou d’amiante. Nous en avons, donc c’est bon même si tout le reste de la planète pense le contraire.
Admettons que la pluie nous fournit de l’eau de façon régulière quoiqu’intermittente, comme le vent, ce qu’on oublie souvent. Mais on peut la capter et l’utiliser comme source d’énergie continue parce qu’on sait la capter, tout comme on le fait maintenant pour l’éolien couplé à l’hydroélectricité, ce qu’Hydro-Québec devrait cesser de nier avec démagogie.
Ce n’est certes pas demain que nos rivières vont se tarir, ce qui crée l’image — fausse! — qu’il s’agit d’une ressource inépuisable. En effet, ce ne sont pas toutes les rivières qui offrent des rapides et des chutes de haute valeur esthétique, biologique et récréative, des qualités qui leur confèrent une valeur de patrimoine naturel. Pour nos voisins du sud, c’est là que réside le problème que nous occultons au Québec: les rivières vierges sont de moins en moins nombreuses, au point de devenir assimilables à une espèce menacée. Voilà pourquoi plusieurs États entendent préserver au moins le tiers des cours d’eau, quitte à en restaurer.
La valeur que les États-Uniens attribuent à ce patrimoine témoigne d’une prise de conscience que notre indécrottable sentiment d’abondance mythique nous empêche de faire à notre tour. On en voit les résultats avec la morue, avec la forêt et bientôt avec nos dernières grandes rivières sauvages. C’est pourquoi le gouvernement fédéral des États-Unis et la plupart des États voient dans la construction des grands barrages et de leurs indispensables réservoirs un enjeu majeur de conservation.
Ils en tirent des conclusions concrètes. Ainsi, ils accordent aux barrages des autorisations limitées dans le temps — de 25 à 50 ans en général — afin de ne pas lier les mains aux générations futures. Ici, les permis sont éternels. À l’échéance des permis, nos voisins débattent de la pertinence de maintenir ces ouvrages, ce qui explique qu’ils vont en démolir 27 en 2009, dont plusieurs importants.
Une Côte-Nord en déclin
Le rapport de la récente commission d’enquête fédérale-provinciale sur le projet de la Romaine apporte un éclairage majeur dans ce débat au Québec. Il établit que le nombre de rivières bétonnées par des barrages et des centrales hydroélectriques est en croissance fulgurante. En 1996, il existait 106 centrales sur 30 rivières. Quatre ans plus tard, leur nombre était passé à 145, et le nombre de rivières touchées, de 30 à 50. L’an dernier, 162 centrales artificialisaient 115 rivières. Avec les projets en préparation, on aura bientôt 174 centrales installées sur 121 rivières! En clair, en 15 ans, le nombre de centrales aura augmenté de 64 % et celui des rivières harnachées, de 400 %.
La commission d’enquête a dressé une carte particulièrement inquiétante pour la santé biologique de la Côte-Nord. On y voit que les bassins versants aménagés, c’est-à-dire dont les rivières ont été transformées en lacs — ce qui constitue un profond changement de nature — vont bientôt occuper la moitié de toute cette région si Québec va de l’avant avec l’idée d’harnacher la Petit Mécatina, comme l’a annoncé le premier ministre Jean Charest cette semaine. Les commissaires ont calculé qu’avec ce dernier projet, 43 % de la Côte-Nord aura été artificialisée par ces projets qui fournissent des emplois temporaires et qu’il faut répéter pour soutenir l’économie locale, dans une inlassable fuite en avant économique qui n’est pas sans rappeler l’époque de la Grande Noirceur (voir la carte à la page 109 du rapport du BAPE sur la Romaine au www.bape.gouv.qc.ca).
La commission d’enquête fédérale-provinciale a proposé d’appliquer aux rivières l’engagement pris par le premier ministre Jean Charest lors de l’annonce de son plan Nord, le 15 novembre dernier, soit de protéger la moitié du territoire nordique. On pourrait décemment prétendre, si les cours d’eau sont les veines qui assurent la santé des écosystèmes terrestres que le premier ministre veut protéger, qu’il serait logique de protéger non pas la moitié, mais les deux tiers des cours d’eau de ce territoire presque vierge. Mais ce n’est clairement pas le cas et le plan Nord des libéraux vise à ajouter 3500 MW aux 4500 déjà en préparation. On parle même de plans pour détourner la tête de la Grande-Baleine vers les turbines de la baie James afin de moins mécontenter les Cris.
Jusqu’ici, Hydro et Québec ont morcelé le problème rivière par rivière, ce qui évite de débattre de la justesse de ce plan d’ensemble. Pourtant, la politique énergétique qu’endosse l’actuel gouvernement oblige le gouvernement à assurer la protection du patrimoine aquatique par des aires protégées. Neuf projets seulement sont sur la table et pas encore une seule aire aquatique n’a de statut permanent. On est loin du compte de la politique du 50 % de Jean Charest avec un bilan global en hydroélectricité qui frappe déjà 121 rivières.
n Lecture: L’Écologie pour les nuls, par Frank Courchamp, Éditions First, 427 pages. Un livre à offrir à votre politicien favori pour l’aider à acquérir les concepts de base en écologie. Mais il faut le lire avant de le donner! Bien fait et fort complet.