Publié par Guillermo Folguera, Agencia Tierra Viva, 27 août 2024
« Il n’y a pas de transition anti-extractiviste si le pillage de l’Amérique latine et de l’Afrique continue d’être entériné », affirme l’auteur. Contrairement à certains secteurs académiques et politiques qui promeuvent ce soi-disant drapeau vert, il souligne que la proposition laisse de côté le protagonisme nécessaire des communautés locales et, en fin de compte, constitue un pas de plus vers le pouvoir corporatif et gouvernemental sur les territoires et les corps.
La transition énergétique, telle qu’elle est présentée aujourd’hui, est loin de ce qui est compris et recherché lorsque les communautés et les personnes parlent de justice sociale et environnementale dans nos territoires, tant en Amérique latine qu’en Afrique. Dans cet article, je me concentrerai sur cinq aspects que je considère comme pertinents lorsque l’on réfléchit à des solutions à la crise climatique. J’anticipe en ce sens qu’aucune transition ne sera juste si elle approfondit l’extractivisme et, encore moins, si elle propose de nouvelles manières de sacrifier les corps et les territoires.
1- Le réductionnisme. La manière dont la crise climatique est configurée et dont sa supposée solution est présentée procède d’une première réduction. L’idée d’une crise climatique limitée à l’émission de gaz à effet de serre (GES) est promue par différents secteurs. Je reconnais bien sûr le rôle fondamental que jouent ces gaz dans le problème, et que leur augmentation dans l’atmosphère a des conséquences graves, comme l’augmentation de la température moyenne, l’acidification des mers ou la modification des régimes de précipitations, entre autres. Cependant, le réductionnisme implique de limiter les problèmes environnementaux à ce seul facteur. Ainsi, les scénarios de désertification, de pollution, d’incendies, d’augmentation des maladies ou d’expulsion des communautés locales, pour ne citer que les plus répandus, sont souvent négligés ou ignorés. Dans le même temps, des activités associées à de plus faibles émissions de GES, mais qui causent des dommages irréparables, sont développées et encouragées. Par exemple, l’énergie nucléaire est encouragée, les centrales hydroélectriques sont rendues viables, ou l’expansion des plantations forestières est proposée. Dans les trois cas, les dommages locaux et régionaux causés par l’extraction d’uranium, les barrages avec leurs réservoirs et leurs inondations, ou les plantations d’arbres en monoculture qui remplacent les forêts ou les terres boisées, sont omis. On occulte ainsi les graves conséquences subies par les communautés, aujourd’hui et dans le futur, à travers la transformation des territoires, la pollution, la difficulté d’accès à l’eau ou la perte de productions locales. Il n’est pas possible de promouvoir une transition juste qui augmente la destruction de l’environnement.
2- La technocratie. Le deuxième aspect est lié à la technicité de cette transition. En d’autres termes, la solution supposée est élaborée par et pour les professionnels, à l’exclusion de toute autre voix. Il ne s’agit pas de nier l’importance des aspects techniques, mais la transition énergétique est avant tout de nature politique, qui doit inclure la multiplicité des acteurs sociaux et ne peut être définie et délimitée uniquement par des techniciens. L’objectif démocratique, politique et juste est de collaborer avec les communautés locales et régionales dans la prise de décision. Cependant, les secteurs hégémoniques empêchent toute discussion approfondie, diversifiée et dissonante sur ces questions. Qui donc peut discuter de la transition énergétique : l’expert? le technicien? l’ingénieur? l’entreprise? le fonctionnaire de service? Au final, dans ces démocraties limitées, les décisions sont prises quelque part dans le monde et ne sont jamais liées aux communautés locales et régionales, à leurs caractéristiques, à leurs particularités et à leurs besoins réels. Il n’y a pas de transition démocratique lorsque les décisions excluent les communautés vivant dans les territoires.
3- L’électromobilité. Le troisième aspect concerne la solution que présente la transition énergétique déjà restreinte. D’une manière générale, l’accent est mis sur l’électromobilité. Il s’agit de remplacer les véhicules à essence par des véhicules électriques avec des batteries au lithium, au cuivre et autres minéraux. Cette substitution « un pour un » empêche – une fois de plus – la discussion et la problématisation des questions sous-jacentes. Par exemple, le fait que la proposition vise directement les secteurs à forte consommation, en cherchant à assurer la transition des États-Unis, de la Chine, de l’Europe et d’une poignée d’autres pays. Ou encore le fait que les stratégies collectives, plutôt que la consommation privée, ne sont pas encouragées. De cette manière, les niveaux d’inégalité sociale entre les pays et au sein des sociétés sont encore amplifiés. Cette soi-disant solution ne dit rien de la concentration des richesses, de la consommation excessive ou du fait qu’une poignée d’entreprises consomment plus d’électricité que des provinces entières. Par exemple, les gouvernements et les entreprises poussent le projet minier Josemaría, qui consommera plus d’électricité que la province de San Juan, au nom de la transition énergétique, pour extraire du cuivre. Quelle est cette stratégie face à la crise climatique? Que signifie une transition énergétique qui privilégie la garantie des taux de profit de certains secteurs? Il n’y a pas de transition avec équité sociale si l’on amplifie les inégalités sociales et que l’on détruit le tissu des communautés pour résoudre la crise climatique.
4- Les entreprises au centre : Qui sont derrière cette façon de façonner la transition énergétique? En premier lieu, les États-Unis et la Chine. A leur tour, l’Union européenne et en particulier l’Allemagne, dont le rôle moteur a été mis en évidence par la rébellion serbe contre l’exploitation du lithium. Mais les États d’Afrique, les différentes régions d’Asie et d’Amérique latine jouent également un rôle clé. Par exemple, dans le cas de notre région, l’Argentine et le Chili figurent également sur cette carte, car ils autorisent le pillage territorial pour obtenir du lithium et du cuivre, entre autres minerais.
Derrière les États, ce sont les entreprises qui occupent une place centrale. Elles opèrent et déterminent le quand et le comment de la transition énergétique. Les compagnies minières apparaissent alors, avec un cadre stratégique et un amalgame très clair dans différentes parties du monde. Rappelons que dans le cas de l’Argentine, les entreprises de pays tels que le Canada, les États-Unis, la France, la Corée, la Chine et l’Australie, entre autres, se multiplient. Outre les entreprises minières, les entreprises automobiles jouent un rôle très important. Ainsi, des entreprises comme Volkswagen et Toyota sont essentielles pour comprendre comment se construit la transition énergétique. Enfin, il est essentiel de reconnaître le rôle des groupes financiers, dont le rôle est clé dans cette triade. A cet égard, la lettre dans laquelle Larry Fink, PDG de BlackRock, annonce à ses actionnaires qu’ils vont se lancer dans les énergies vertes est illustrative. Aux côtés de BlackRock, apparaissent le groupe Vanguard, la Deutsche Bank et la banque HSBC, entre autres.
Les États susmentionnés, ainsi que la triade minière-automobile-financière, sont les principaux moteurs de l’extractivisme dont nous souffrons dans les territoires. Par exemple, dans le cas particulier de l’Argentine, l’exploitation du cuivre, du lithium et de l’hydrogène vert fait partie des grands projets qui sont teintés de cette couleur.
Dans la situation actuelle de l’Argentine, cette carte est indissociable de l’approbation du Régime d’incitation aux grands investissements (RIGI) ou des grandes annonces de BHP et Lunding Mining avec Josemaría. Les transitions ne se feront pas pour les peuples et les communautés si ce sont les entreprises, certains États et les institutions financières qui les déterminent.
5- Multiplication de l’extractivisme. L’extractivisme des entreprises qui s’enrichissent grâce à l’extraction des hydrocarbures a été et continue d’être un désastre pour les territoires. Aux formes conventionnelles d’extraction du pétrole et du gaz se sont ajoutées, au cours des dernières décennies, le développement de la fracturation et de l’exploitation offshore, stratégies non conventionnelles qui élargissent les voies de la déprédation. Cependant, et sans préjudice de l’impérieuse nécessité de mettre fin à la production et à la consommation d’énergies fossiles, la transition énergétique ne peut cautionner d’autres formes de décarbonisation tout aussi néfastes en termes sociaux et environnementaux. L’énumération de ces questions le montre clairement. Le lithium qui menace d’assécher la Puna, les mines de cuivre de San Juan et de Catamarca, le nickel qui multiplie les pillages au Guatemala, au Brésil et en Indonésie, l’Afrique et le cobalt, l’Aluar déjà cité avec le barrage de Futaleufú à son service (symboles des dernières dictatures en Argentine). La liste est interminable. Il n’y a pas de transition anti-extractiviste si l’on continue à cautionner le pillage de l’Amérique latine et de l’Afrique.
Parfois, on nous présente l’étrange dichotomie entre le déni total d’une crise climatique (comme le font Javier Milei, Jair Bolsonaro ou Donald Trump), ou l’acceptation d’une transition organisée par et pour les Corporations au nom d’une décarbonisation globale. Ici, j’ai évité les deux options. Et nous sommes nombreux à avoir choisi de sortir de cette prétendue dichotomie et d’emprunter une voie différente. Le parcours historique de l’Amérique latine et de l’Afrique l’exige. La seule transition vers le bien-être social et environnemental est celle qui rejette toute option dans laquelle les territoires et les communautés sont des zones et des corps de sacrifice.